Au delà de la comparution inédite d'un ancien chef d'État, ce procès esquisse un nouveau rapport entre politique et justice.
POLITIQUE - Inédit. Le mot sera sur toutes les lèvres ce lundi 23 novembre, à l'occasion de l'ouverture du procès de Nicolas Sarkozy dans l'affaire dite des "écoutes". Et pour cause, c'est la toute première fois qu'un ancien président de la République comparaît physiquement devant la justice en France. Un dossier pour lequel l'ex-chef de l'État est soupçonné d'avoir tenté, via l'entremise de son avocat Thierry Herzog, d'obtenir de la part d'un haut magistrat, Gilbert Azibert, des informations couvertes par le secret dans une autre procédure judiciaire le concernant: l'affaire Bettencourt.
Raison pour laquelle -et après le rejet de plusieurs recours- Nicolas Sarkozy est renvoyé devant le tribunal correctionnel pour "corruption active sur personne dépositaire de l'autorité publique" et "trafic d'influence actif sur personne de l'autorité publique". Du jamais vu pour un ancien chef de l'État.
"C'est spectaculaire. C'est la première fois qu'on a le passage dans un tribunal d'un ancien président de la République. On peut remonter jusqu'à la IVe, la IIIe ou même la IIe République, on n'a jamais vu ça. Par héritage du monarque régalien, un président ou un ancien président bénéficiait de fait d'une sorte statut à part", détaille pour Le HuffPost Nicolas Roussellier, professeur des universités à Sciences Po, et spécialiste de l'histoire politique.
Avant la première de ce lundi, il y a pourtant bien failli y avoir un précédent. En 2011, Jacques Chirac, poursuivi dans l'affaire des emplois fictifs de la ville de Paris, ne s'était pas rendu au tribunal correctionnel. Motif invoqué, et certificat médical à l'appui, son état de santé ne lui permettait pas d'assister à son procès dans "des conditions humaines et de dignité", selon les mots de son gendre Frédéric Salat-Baroux. Mais au-delà de l'identité de celui qui ouvre le bal des anciens présidents appelés à la barre, c'est la nouvelle étape d'une longue évolution qui se manifeste ce lundi.
"Nouveau paradigme"
"Ce nouveau paradigme, c'est la montée en puissance du pouvoir judiciaire, qui aura son achèvement avec l'incrustation d'une procédure durant le mandat. Avec, pourquoi pas, une sorte d'impeachment à la française", observe Nicolas Roussellier, précisant que "le cercle de protection très fort qui entourait les présidents", s'est tout simplement érodé au fil des années. "Cette sorte d'aura sacrée faisait que beaucoup de journalistes et de magistrats n'osaient pas se pencher sur ces affaires, ce n'est plus le cas aujourd'hui", ajoute-t-il. Un mouvement qui s'accompagne en parallèle d'une plus forte judiciarisation du fait politique, et non seulement pour le seul cas de Nicolas Sarkozy.
Le chercheur prend en exemple la place de plus en prégnante acquise par le Conseil constitutionnel -"qui est devenue une Cour constitutionnelle"- ou le rôle rempli par le Conseil d'État "qui était une instance pensée pour appuyer le gouvernement" et qui aujourd'hui demande des comptes à l'exécutif. Un phénomène qui s'étend également au Parlement, "où des petits malins savent qu'ils peuvent tirer leur épingle du jeu en faisant du judiciaire qui ne dit pas son nom, via les commissions d'enquête". Pour Nicolas Roussellier, cette évolution résulte d'un "vide" laissé par les grandes formations politiques qui avaient justement pour rôle de contrôler ce que faisait le pouvoir.
Conséquence de cette évolution entraînant plus de judiciaire dans le politique: le soupçon jeté sur l'impartialité des juges. Ce que le camp de Nicolas Sarkozy illustre parfaitement. Que ce soit sur cette affaire des écoutes ou celle du présumé financement libyen de sa campagne de 2007, les ténors de la droite ne cessent de s'en prendre à l'institution judiciaire, jusqu'à qualifier le Parquet National Financier (saisi dans ces deux affaires) de "bras armé politique" à la solde du pouvoir.
"Les attaques très fortes portées contre le PNF depuis l'été 2020, visant à le décrédibiliser (...) constituent aujourd'hui un marchepied pour porter une atteinte similaire à l'indépendance des juges d'instruction spécialisés en matière économique et financière", ont rétorqué les deux principaux syndicats de magistrats vendredi 20 novembre dans un communiqué.
Le fantasme du "gouvernement des juges"
Ce même jour, le Conseil supérieur de la magistrature a accordé l'un de ses rares communiqués à ces critiques visant la justice. L'institution y rappelle que "l'indépendance juridictionnelle des juges est une condition essentielle de l'État de droit" et s'inquiète du fait que "ces mises en cause récentes de certains juges d'instruction portent gravement atteinte à cette indépendance". Des échanges par déclarations interposées qui s'inscrivent là encore dans un continuum historique.
"Pendant longtemps, les juges ont eu une perception très négative, notamment au 19e siècle, où l'on craignait l'avènement d'un ‘gouvernement des juges', favorables à la monarchie. D'ailleurs, l'immunité parlementaire vient de là, puisqu'il s'agissait de protéger les élus de la République de ce pouvoir. Les soutiens de Sarkozy ont beau jeu de réactiver cette vieille image", note Nicolas Roussellier, précisant que ces arguments, davantage politiques que juridiques, ne sont pas sans dangers dans un État de droit: "on met le soupçon sur le ressort même de la justice dans une démocratie, c'est-à-dire son impartialité, c'est terrible".
Pourtant, cela n'empêche pas celui qui a occupé la fonction de président de la République durant cinq ans de s'adonner à ce type de critiques. S'exprimant dans le cadre de l'affaire du financement libyen, Nicolas Sarkozy a déclaré: "Je ne suis pas un pourri, et ce qui m'est infligé est un scandale qui finira dans les annales". En attendant la démonstration de l'existence d'un tel scandale, c'est bien sa présence à la barre ce lundi qui sera d'abord retenue comme un événement historique sans précédent. Le reste, c'est à la justice de l'écrire.
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