Youssou Ndour est parti d’un ’’mot’’ de son père pour investir le champ économique

‘’Je crois que tout est parti d’un mot de mon père qui s’était opposé à ce que je fasse de la musique pour plusieurs raisons. Un jour, il m’a dit : +je ne suis pas allé à l’école, je viens du Baol, je veux que tu continues tes études, je veux te voir demain dans un bureau, devenir un avocat, un banquier, un quelqu’un... +. Je lui ai dit : +malheureusement papa, l’école c’est bien mais je suis plutôt passionné par la musique. Si tu m’y autorises, je vais faire la musique mais tu ne verras jamais ton fils sur un mauvais chemin+. Tout est parti de là’’.

Youssou Ndour ajoute que quand il a commencé à gagner ‘’un peu d’argent, après avoir défalqué les frais’’, il s’est dit : ‘’je vais chercher un bureau pour montrer à mon père, comme les avocats et banquiers avec leurs bureaux, on pouvait être musicien et avoir un bureau’’.

‘’Je suis allé à l’avenue Malick Sy — les actuels locaux du Crédit mutuel Sénégal (CMS) —, j’ai trouvé un appartement à louer, j’ai donné une avance et j’y ai aménagé. Avec un bureau, un téléphone, une salle d’attente et une salle pour répéter’’, poursuit le chanteur, lead vocal du Super Etoile. Ndour a alors pris un de ses meilleurs amis, qui était ‘’plus instruit’’ que lui et lui a dit +toi, tu es le manager, tu vas calculer tout ce qui entre, tout ce qui sort, tout ce qu’on gagne, tout ce qu’on perd. Tu vas salarier tous les gens qui travaillent ici+.

‘’Tout est parti’’ de ce ‘’cadre informel’’, selon l’artiste en soulignant que l’évolution a été ’’difficile dans la mesure où quand vous êtes dans un milieu informel et que vous voulez aller vers le formel, c’est d’abord une bataille contre soi-même. Quotidiennement.’’

‘’Ça demande une certaine rigueur, dit-il. Après les débuts avec mon ami, j’ai fait appel à quelqu’un de plus qualifié, Latyr Diouf, mon premier manager, qui s’occupait de tout ce qui est administratif, comptable, financier... La formalisation n’a pas du tout été facile parce que le show-biz était, à l’époque, très informel, la vente des cassettes, l’environnement...’’

Youssou Ndour raconte avoir soutenu ‘’tout le processus’’. Il ajoute qu’il lui est arrivé, à plusieurs reprises, à la fin du mois, de ne pas avoir de quoi payer les salaires. ‘’J’étais obligé de prendre des engagements par-ci, par-là ou à emprunter pour faire face à mes charges sociales’’, dit-il estimant que pour lui ‘’il était hors de question’’ que les gens travaillent avec lui sans être payés. ‘’Il était hors de question !’’

Selon lui, ‘’quand il y avait des surplus, il fallait être vigilant, veiller à ce quoi ça ne soit pas dépensé trop vite. Il fallait jongler pour tenir le coup. Ensuite, il fallait aller vers autre chose’’. Cette ‘’autre chose’’ c’était la Société africaine de production musicale (SAPROM).

La SAPROM a été créée sur les conseils de son ami expert-comptable, Abdoul Aziz Dièye, ‘’qui aimait beaucoup la musique’’ et lui avait demandé de créer une société ‘’pour ne pas trop s’exposer personnellement’’.

Il s’agissait, avec cette société, d’aider à ‘’révolutionner le monde du showbiz’’ tout en encadrant le personnel, explique Youssou Ndour rappelant que pour ses activités, la SAPROM avait deux véhicules de transport, l’un pour le matériel et l’autre pour le personnel pour les sorties.

‘’On avait du matériel de sonorisation que j’avais acquis, dès le début, pour être à l’aise quand il fallait jouer. Les jours où on ne jouait pas, Latyr (son manager) était chargé de louer le matériel et les véhicules pour les rentabiliser.’’

Selon le chanteur, la SAPROM a eu ‘’beaucoup de publicité mais sans gros moyens’’. ‘’Ma carrière, par contre, continuait à être fulgurante, dit-il. Je devenais automatiquement le premier bailleur de fonds. Que la SAPROM ait des problèmes, c’était une honte pour moi. Et ça, il en était hors de question ! Même si j’avais séparé les activités.’’

Ensuite, rappelle-t-il, ‘’j’ai rêvé avoir mon propre studio d’enregistrement. J’ai eu des contacts pour reprendre le Golden Baobab, un studio du fils de Senghor. Je l’ai racheté et j’y ai mis du matériel. Ainsi, on a créé le studio XIPPI pour s’occuper des enregistrements et plus tard de la duplication et de la distribution des cassettes. Mais la SAPROM restait la société de production et de promotion.’’

Youssou Ndour explique ainsi qu’il était ’’obligé’’ d’investir dans tous les secteurs de la musique. ’’On fait des cassettes, on les duplique, on les distribue. Rien n’était organisé dans le secteur. Moi, j’ai un peu de moyens, de la notoriété, j’ai eu envie de mettre ça en place. Pour en bénéficier en tant qu’artiste mais aussi pour tous les autres qui en avaient besoin.’’