Nommé au lendemain de la prise du pouvoir par le Conseil national pour la démocratie et le développement (Cndd), le 23 décembre 2008, le chef du gouvernement guinéen, l’économiste Kabiné Komara, vit certainement ses dernières heures à la tête de la Primature avec la nomination très attendue d’un nouveau Premier ministre issu de l’opposition. M. Komara, qui eut l’honneur de délivrer un discours à la Nation à la fin de l’année, nous livre ici sa lecture de la situation du pays tout en traçant des perspectives pour une sortie définitive de la crise actuelle.
M. le Premier ministre, quel regard posez-vous sur la situation générale de la Guinée ?
La Guinée est aujourd’hui à la croisée des chemins. La situation est caractérisée par une reprise des consciences de la population et des forces politiques ainsi que du Cndd sur la nécessité d’apaiser les tensions et les rancœurs, de réconcilier les uns et les autres et de relancer le processus démocratique.
Les Guinéens sont également d’accord sur la nécessité de restructurer les forces de défense et de sécurité et notre système judiciaire.
Il faut aussi dire que l’année qui vient de s’écouler a été riche en événements dont l’analyse a permis de se convaincre de la nécessité de mettre fin à l’impunité à travers le rendu équitable, base indispensable de la réconciliation. Il ne faut pas non plus occulter certaines réalisations majeures que le pays a connues, notamment le démantèlement des réseaux de narcotrafiquants qui s’étaient emparés de l’appareil étatique, la prise de conscience de l’ampleur de tout ce qui a été compromis au détriment de l’Etat, le patrimoine public. Des réalisations importantes ont été faites avec une amélioration en cours de la desserte en eau et électricité, l’éradication de certaines maladies.
Vous parlez de mettre fin à l’impunité avec notamment un rendu équitable. Quelle est votre appréciation sur les événements du 28 septembre dernier et le sort qui devrait être réservé aux auteurs du massacre ?
Ce qui s’est passé le 28 septembre est inadmissible. Ces événements ont jeté le discrédit sur notre pays. Un autre acte ignoble a été commis le 3 décembre puisque la violence dans le règlement et l’attentat n’ont jamais été encouragés en Guinée, encore moins entre militaires.
Mais ce qui m’a frappé et que je trouve remarquable est que l’Armée s’est ressaisie après tous ces événements. Il y a donc une reprise en main de l’Armée. Il y a un mal profond dans l’armée. Maintenant, nous avons un nouveau contexte qui fait que la restructuration de l’armée passe par la restauration de la discipline, le respect des droits de l’homme, la formation et la sensibilisation des populations.
N’empêche qu’il y a des pressions de la communauté internationale en vue de faire traduire certains responsables de l’armée devant des juridictions pour crimes ?
Je pense qu’il faut savoir que ce sont nos inconséquences, nos négligences sur les ressources internes de négociations et de règlement de crise qui nous ont conduits à cette situation actuelle. Nous devons travailler avec la communauté internationale pour que les acteurs guinéens essaient parallèlement d’être à l’écoute de nos structures internes de réconciliation. Il s’agit des sages, des religieux qui ont créé des comités avec la coordination des quatre régions naturelles de la Guinée.
Le contexte actuel, marqué par une prise de conscience de la situation de blocage, dessert tout le monde, amène les uns et les autres à privilégier un dialogue sincère, à mettre l’intérêt supérieur en avant. La meilleure médiation n’aboutit à rien si les protagonistes ne sont pas animés par une volonté sincère d’arriver à un résultat.Ce que je demande à la communauté internationale, c’est d’analyser avec intelligence le contexte et de s’inscrire dans la dynamique non pas de l’exclusion et des sanctions, mais de rapprochement de toutes les parties en impliquant tous les pays voisins et les organisations sous-régionales qui ont des ressources.
Sur un autre registre, le quotidien des populations est marqué par des souffrances multiformes. Que fait votre gouvernement pour les atténuer ?
Vous savez que pendant qu’on traverse cette crise, il n’y a pas d’aide et de ressources extérieures. Ce qu’il y a lieu de faire est de mettre de l’ordre dans le système de gestion, définir des priorités, orienter les dépenses vers les secteurs et les projets capables d’avoir un impact supérieur rapide sur les conditions de vie et la relance des activités. Il nous faut donc investir dans l’eau et l’électricité, le secteur routier, restaurer la transparence dans la gestion et combattre tout ce qui freine les activités des opérateurs économiques. Un autre point important est la lutte contre l’insécurité.
Les responsables de la junte avaient, en vous confiant le gouvernement, le souci d’organiser des élections en 2009. Peut-on s’attendre à ce que la transition soit effective avec l’organisation d’élections générales cette année ?
Je pense que le souhait de tous est de voir la tenue d’élections générales en 2010. Il faut que toutes les parties se retrouvent et travaillent à l’avènement de ces élections tant souhaitées pour que la transition soit effective. Je reste engagé dans ce processus. Il faudra aussi bannir tout maximalisme entre les différentes parties.
L’état de santé du président Moussa Dadis Camara est entouré d’un mystère. Que peut dire le chef de gouvernement que vous êtes ?
Ce que je sais de l’état de santé du président est qu’il est actuellement en convalescence à un stade très avancé. Et d’après ce que m’en disent les médecins et les proches, en plus du fait que sa vie n’est pas en danger, il fait des progrès remarquables pour retrouver la santé. Je regrette ce qui lui est arrivé et lui souhaite un prompt rétablissement.
PROPOS RECUEILLIS PAR NOTRE ENVOYÉ SPÉCIAL IBRAHIMA KHALILOULLAH NDIAYE
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