« La pire erreur n’est pas dans l’échec mais
dans l’incapacité de dominer l’échec »
F. MITTERRAND
La fonction présidentielle exige de la tenue. Abdoulaye Wade n’en a jamais eu. Mais ce qui manque le plus à notre président de la République, c’est de la retenue. Lundi après-midi, il a décidé du sort de son « cousin » Kader Boye en moins de deux heures. Ses réseaux parallèles parisiens l’ont informé et il a sévi. M. Boye, ambassadeur du Sénégal à l’Unesco, a non seulement prêté les locaux de l’organisation à un groupe de jeunes dits de la « Génération du concret », mais il a été à leur « gala du samedi soir », son péché capital. Vous me direz qu’il n’y a rien de grave à cela. Non. En d’autres temps, il aurait sans doute reçu les félicitations du palais de la République. Mais un petit détail a courroucé le président de la République. C’était une soirée organisée par la tendance « Abdoulaye Baldé » de la Génération du concret. Vous avez bien lu « tendance ». Depuis que depuis que la Gc s’est lancée dans la capitale française, il n’y a que quelques casamançais et un petit groupe de bissau-guinéens qui squattent l’organisation pour arrondir leurs fins de mois. Ils doivent tout à Abdoulaye Baldé, rien à Karim Wade et ils ne s’en cachent pas. Kader Boye ignorait ce fait. Il ne savait pas qu’entre le secrétaire général de la présidence de la République et le président de la République, entre le président de l’Anoci et le Directeur exécutif de l’Anoci, une brouille était possible. Mais le lundi qui a suivi, la décision d’Abdoulaye Wade était déjà prise : « ah, il est parti à la soirée de Baldé ? Il va voir avec moi ». Il a « signé » son décret sans avoir jamais entendu la version du professeur Kader Boye.
J’avais averti ceux qui se sont rendu à cette rencontre nocturne, qu’ils mettaient en péril la carrière d’Abdoulaye Baldé, et sans doute celle de Kader Boye. Il faut dire, à la décharge du doyen Boye, qu’il a plusieurs fois insisté auprès des jeunes de la Gc parisienne pour s’assurer que cette rencontre parisienne n’avait rien de « politique ».
Mais c’est devenu un secret de polichinelle qu’Abdoulaye Wade cherche depuis deux mois des prétextes pour se débarrasser d’Abdoulaye Baldé. Quand il était à Québec City le mois dernier, Babacar Gaye n’arrêtait pas de proférer les pires injures contre celui qu’il considère comme un « opportuniste qui veut l’argent de Karim Wade ». Abdoulaye Wade battait ses paupières pour approuver le message. Le président de la République a par la suite donné des signaux à tous les « amis » qu’il a reçus, leur précisant qu’il ne connaît pas la Génération du concret. Rentré de Paris en catastrophe, Abdoulaye Baldé rase les murs comme une larve. Il sait que « le vieux » a monté de toute pièce les marches qui mènent au purgatoire. Le chef de l’Etat reproche à son ancien homme de main d’avoir mis en place un réseau parallèle de renseignements avec ses amis de la police, d’avoir noyauté l’Etat pour créer sa propre chaîne de commandement. Voilà comment finit un autre produit manufacturé du wadisme : à la poubelle. Baldé se targuait d’avoir l’estime de Viviane Wade, l’amitié de Karim Wade et la confiance d’Abdoulaye Wade. Il a tout perdu en une soirée.
Le sort réservé à ce policier passé à la politique est un classique des mises à mort sous Wade. Baldé était commissaire de police principal. Wade l’a démis de son corps d’origine pour en faire un inspecteur général d’Etat, beaucoup plus prestigieux. La contrepartie était son engagement politique dans le guêpier casamançais. C’était l’objectif final du chef de l’Etat, le seul qu’il avait en tête, la véritable raison pour laquelle il avait demandé son départ de la police. Mais là où le président de la République a fait la démonstration de son cynisme, c’est qu’entre temps, il a fait modifier les textes régissant le corps des inspecteurs d’Etat pour obliger son poulain à la démission. Inspecteur d’Etat et député-maire ne pouvaient plus aller ensemble.
Ses différentes fonctions lui assuraient un statut particulier. Baldé n’en a plus aucun. Son sort dépend du bon vouloir du ministre de l’Intérieur, qui lui a toujours fait part de son inimitié. Cheikh Tidiane Sy a tout tenté pour le faire tomber dans l’affaire dite « du corbeau ». Le président de la République croyait détenir dans ses mains la preuve que les comptes bancaires frauduleux n’étaient pas fictifs, et que le principal collaborateur de son fils s’était rempli les poches. Une mission rogatoire avait même été instituée pour « enquêter ». Il a fallu l’intervention de Karim Wade pour le sortir de là. Il a convaincu son père que cette affaire était une instigation de Macky Sall, qui visait à le déstabiliser. Ce n’était pas la première fois que la moralité du jeune secrétaire général de la présidence était mise en cause. Il avait été rudement éprouvé par l’affaire dite des « licences de pêche chinoises » en 2002. Le fisc avait perdu dans cette opération douteuse plus de 2 milliards de francs Cfa. Au lieu de s’en prendre à Baldé, le président de la République s’était défait de son conseiller fiscal Amid Fall. Dans les milieux avertis, on avait reproché au « carriériste » Baldé d’avoir manqué de solidarité. Tous étaient persuadés que son tour viendrait un jour chez le « coiffeur ». En matière étatique comme dans la vie de tous les jours, Abdoulaye Wade fait comme de Gaulle. Il n’a pas d’amis, il n’a que des intérêts. Le domicile de Baldé est surveillé, les comptes de sa première épouse fouillés, ses réseaux de renseignement démantelés les uns après les autres. L’homme le plus puissant de l’administration est devenu impuissant face à son propre sort. Le président de la République l’a fait venir dans son bureau, figurez-vous, pour l’accuser de convoyer des immigrants clandestins vers la France et l’Espagne. Il lui a asséné son premier coup de couteau en Conseil des ministres, en élevant Innocence Ntap au rang de ministre d’Etat. Adjibou Soumaré n’était pas au courant, mais il est habitué à ces issues douloureuses. Baldé non. Jamais il n’a pensé que le président de la République s’attaquerait à lui aussi frontalement. La méthode, elle, est bien éprouvée. Quand il a voulu se débarrasser d’Idrissa Seck, Wade a promu Abdou Fall, transfuge du Plp. Quand il a voulu se débarrasser de Modou Diagne Fada, il a promu Thierno Lô, transfuge de la Cdp. Quand il a voulu se débarrasser de Macky Sall, il a promu Mame Birame Diouf, transfuge du Ps. Il honore les uns pour déshonorer les autres.
Mais la descente aux enfers a commencé bien plus tôt pour Baldé. En plus d’avoir trois directeurs de cabinet, le président de la République a promu il y a deux mois un proche de la famille Agne au poste de Directeur de cabinet adjoint. C’est à ce Hamidou Agne, membre de la Génération du concret, qu’ont été confiés l’Inspection générale, les chiffres et le patrimoine bâti de l’Etat, qui dépendaient jusqu’ici du secrétaire général de la présidence de la République. Baldé jure qu’il n’a fait aucun mal. Mais il n’est pas étranger à son propre malheur. Il a accepté un salaire pour un travail qu’il ne sait pas faire, la politique. Karim Wade est dans la même situation, mais il a l’excuse de la parenté. Le président de la République a délégué à des gens bien désignés, la tâche de faire accepter un fils qui nous est inconnu. On n’entre depuis deux ans au gouvernement que pour cette noble mission.
Le président Wade a tout essayé, il veut maintenant s’essayer lui-même. Il est entré en campagne électorale ce mercredi. Il crie partout « j’ai réalisé tout ce que je vous ai promis », comme s’il était en fin de mandat. Mais c’est pour promettre encore impunément. C’est ce qu’un jeune banlieusard a compris. Je pense que son intention n’était pas de tuer le président de la République. Il voulait le corriger.
SJD
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