« L’imagination a été inventée pour alimenter l’espoir »
Roger FOURNIER
Ce dont je parle, c’est ce projet de modification de la loi électorale, qui permettra aux ministres du cabinet de retrouver leur mandat de député, s’ils sont chassés du gouvernement. Les plumitifs de la Wadésie répondront certainement que ça se fait dans certains pays. Non, ça se fait dans certaines monarchies parlementaires, il faut préciser. Dans ces pays, les députés sont exclusivement élus dans des circonscriptions. C’est-à-dire qu’il n’y a pas la possibilité pour un chef de parti, de cacher des copains sur une liste « nationale », pour les faire élire. La deuxième différence, et elle est importante celle-là, c’est que, par Convention, le Premier ministre comme les ministres dans ces pays doivent être des députés élus dans leurs circonscriptions. On ne peut pas être ministre si on n’a pas été élu député. Il n’y a d’ailleurs qu’au Sénégal où on peut perdre la confiance du peuple, et gagner celle du président de la République.
Maître Wade pourra faire élire des députés en les mettant à la bonne position sur sa liste nationale, en faire des députés, le lendemain des ministres, et le surlendemain en refaire des députés. La conséquence directe de cette loi, c’est que le député nommé ministre ne serait pas remplacé, puisqu’on ne voit pas comment son suivant immédiat va devenir député deux mois, retrouver la rue après, parce que celui qu’il avait remplacé sera redevenu entre temps député.
L’autre conséquence, grave, que Wade ne mesure certainement pas, c’est qu’étant ministre, on ne perd pas son mandat, puisque ça compromettrait l’équilibre de l’Assemblée nationale, et le vote des lois. C’est dire, qu’en pratique, on peut faire un projet de loi, revenir le défendre à l’Assemblée nationale, et voter pour ce même projet de loi. C’est ce que le président de la République vient de faire, pour contenter des alliés qui lui ont dit « Monsieur le président, on ne sait jamais. Notre présence au gouvernement peut durer un mois, deux mois. Nous voudrions retrouver notre siège au Parlement dans ce cas-là, sans quoi nous redeviendrions des chômeurs ». Mais oui, selon cette loi, si Abdoulaye Babou n’est plus ministre, il redevient député, avec un mandat qu’il avait obtenu de l’Afp. Un vrai marché aux puces qui fera de l’Assemblée nationale ce que le gouvernement est déjà. Quelqu’un a parlé Galeries Lafayette, mais ça ne vaut même pas le parc Lambaay. Quand cette loi entrera par la grande porte de l’Assemblée nationale, la séparation des pouvoirs foutra le camp pour toujours.
Nous paierons très cher ce penchant chez Wade, pour l’absolutisme et la monarchie. Le même goût du luxe, des honneurs, et la même obstination à n’en faire qu’à sa tête. Il ajoute à ces défauts, une suffisance intellectuelle désastreuse. Depuis qu’il a quitté le milieu enseignant, en 1971, Abdoulaye Wade il ne lit plus et ne se renouvelle plus. Et même là, si vous interrogez ses étudiants en économie générale, ils vous diront qu’il passait ses heures à leur raconter sa vie. Il croit qu’il a résumé tout le savoir universel dans «Un destin pour l’Afrique ». J’ai entendu son Directeur de cabinet dire que les journalistes récalcitrants seront « corrigés ». Croyez-le ou pas, il a emprunté ce vocabulaire méprisant à son patron, qui l’a emprunté à Mobutu. C’est un père qui nous prend tous pour des enfants mal élevés, et à l’occasion, il nous punit pour mauvaise conduite. Il est normal, dans ces conditions, qu’on aille de scandale en scandale. Pape Sy appelle le président tonton, Karim Wade appelle le président papa, Aminata Tall tata, Cheikh Tidiane Sy tonton, et tout le monde est content.
J’ai lu avec un peu d’amusement, les révélations dans la presse, concernant l’entreprise Genesys, et les versements de plusieurs centaines de millions, au bénéfice de Pape Sy et de son frère Arona. Je l’ai écouté corriger le portrait qu’on lui a fait dans les journaux, avec sa barbe moussée. Il avait un employé nécessiteux qu’il aidait, à qui il prêtait de l’argent (ce doit encore être une prescription du Coran qui ne le quitte jamais), et qui est devenu subitement riche, pour lui faire des chèques de plusieurs centaines de millions. Ce même employé a voulu garder cent millions pour lui, et ils ont voulu le « corriger ». Cheikh Tidiane Sy avait lui-même éprouvé les mêmes difficultés, pour expliquer dans quelles conditions il a prêté 100 millions de francs à Pape Massata Diack de Pamodzi. Caramba ! Quand on a un père garde des sots, on peut se permettre de telles âneries.
Pour continuer la fête, ils savent bien comment. Ca ne se passe pas en dehors du ministère de l’Intérieur, organisateur des élections et du ministère de la Justice, juge des élections. Le budget 2007 est trop important, pour qu’ils le laissent aux mains de quelqu’un qui menace, en plus, de les amener tous en prison. S’ils passent l’obstacle du 25 février, 2007 sera encore une année de vie princière. Les charges non réparties se chiffrent à 168,200 milliards, et les charges « autres » à 98,300 milliards. C’est là que le président va puiser à volonté, par des décrets de virement, pour alimenter ses fonds politiques, les comptes ouverts un peu partout, en France notamment. Je n’ai d’ailleurs jamais compris, et on nous doit le comment du pourquoi, ce que des fonds politiques de l’Etat du Sénégal vont faire dans des comptes bancaires de France.
Il y a de l’argent à faire tourner des têtes. Mais il n’y a rien de diable. Tout cet argent est tiré de la poche des sénégalais. En 2000, quand les libéraux arrivaient au pouvoir, les recettes fiscales étaient à 488 milliards. Elles ont été à 876 milliards en 2006, elles seront à 995 milliards en 2007. Nous payons très cher de notre poche, le train de vie de l’État et les gâteries du président de la République. Malgré la pénurie de carburant, l’Etat a consommé 13 millions de litres de super en 2006, soit 8 milliards 819 millions de francs Cfa, alors que la maintenance du parc automobile a coûté 18 milliards. C’est ce qui nous fait payer le pain plus cher, le riz plus cher, l’essence plus cher. Si l’Etat renonçait à une partie de ces taxes, nous paierions moins cher le pain, le lait en poudre, le sucre et le riz. Mais Abdoulaye Wade ne pourrait pas voyager comme il le veut, nommer des ministres comme il le veut, et surtout, « gagner le cœur » de ses adversaires. Cheikh Tidiane Sy a eu raison de dire aux diplomates sénégalais présents au siège des Nations-Unies le 23 mars 2000 « ah, les diplomates sénégalais. Vous avez un Premier ministre, mais vous n’avez pas de président ». Il parlait de Wade, évidemment. Mais quand on a conseillé Mobutu, on doit être très à l’aise dans la cour du PR.
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