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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

Les sous et les dessous

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Les sous et les dessous

« On porte ses défauts comme
on porte son corps, sans le sentir »
Arthur SCHOPEHAUER



Toute la wadésie en rit. Idrissa Seck s’est tiré une balle. Oui, il s’est tiré une balle, le pauvre. A vouloir être bien sincère, son discours a fini comme une chimère. Qu’a-t-il dit au fond ? Que Wade lui a confié la gestion de fonds, dits « secrets », dont il a disposé, selon ses principes, ceux du Coran. Ce sont ces principes qui commandaient la distribution selon des cercles concentriques, commençant par ses « proches ». Dans sa propre logique, le président, dépositaire de ces grosses « coupures », peut en disposer comme il veut, ou même les « brûler ». Ce qui vient d’être dit est légalement défendable, et la justice sénégalaise en a bien attesté. Avant lui, d’autres directeurs de cabinet ont géré ces mêmes fonds.
Hélas, depuis que la République a vu le jour, un certain 04 avril 1960, voilà comment elle marche. A trois pattes, la quatrième plongée dans la poche du contribuable. Senghor avait un goût modéré pour l’argent. Il en faisait rarement usage. Au cours d’un entretien suite à son décès, son ancien aide de camp, le général Ly, m’a fait savoir qu’il arrivait que l’ancien président lui demande s’il n’a pas 5 000 francs à lui passer. Et il arrivait ainsi que Senghor s’excuse de ne pas avoir d’argent avec lui. Son fils Philippe est mort, alors qu’il habitait le domicile de la famille Niane, place Soweto.
En dépit de quelques joyeusetés qu’on pourrait leur reprocher, les Diouf n’ont que peu profité des gâteries du pouvoir. Le président Diouf vivait en ascète de la République, avec un peu d’eau, un peu de pain, un peu de paille. Beaucoup de gens n’auraient pas souhaité vivre au palais de la République, tellement il avait l’air à l’abandon. Et pire, quand il a quitté le pouvoir, il n’avait pas où aller. La seule maison où il aurait pu habiter à Dakar appartenait à son épouse. Tout ceci relève un peu de la légende, mais…

Mais observez bien qu’en six ans, la maison familiale de Wade, à Usine Niarri Tally a été rasée, la maison du Point-E, agrandie et complètement rebâtie, et la maison de son épouse à Versailles léguée à ses enfants, mise en chantier. C’est sans compter les châteaux construits à Sendou, à Ngaparou, aux Almadies, à coups de centaines de millions. Au cours de son passage devant le juge, Idrissa Seck a bien expliqué, appuyé par le Directeur général d’une banque, comment deux milliards offerts par le Koweït au peuple sénégalais, ont servi à éponger la dette d’un conseiller du président d’origine libanaise, pour qui son fils s’était porté garant à hauteur de 400 millions. Nous avons vu, de nos propres yeux, les centaines de millions décaissés par le garde du corps du fils du président de la République, signatures à l’appui. Ces épisodes, dommageables à l’image de notre pays, n’ont ému personne, curieusement.
Durant les derniers six mois qu’elle a passés à la Primature, Mame Madior Boye refusait de payer la totalité des frais de mission aux proches du président de la République. Parce que le président les prenait en charge en tout, jusqu’à l’argent de poche, avec les fonds politiques évidemment. Son attitude, noble et compréhensible en République, lui a suscité le courroux des accompagnants du président. Cette respectable dame, que l’on est prêt aujourd’hui à livrer à la justice française, a tenu tête, et a même refusé les 200 millions de fonds politiques que lui donnait la présidence de la République.
En réalité, cette frénésie de milliards a commencé quand Wade a demandé à Diouf, en 1991, d’utiliser les fonds politiques pour payer en sous main les ministres, qui étaient selon lui « sous payés ». Quand il est arrivé au pouvoir en mars 2000, il a étendu ces largesses au commandement territorial et à ses alliés de la Cap 21. Ne demandez donc pas à la République d’arrêter le distributeur de billets. Elle va disparaître. Avec ses courtisans, ses félons, ses marabouts, et même ses « opposants », qui squattent les allées du palais tous les mois pour visiter « le colonel ».

Le Wadisme est, à bien des égards, une prolongation, sous une forme plus révulsive, du Senghorisme et du Dioufisme. Il en est la caricature, et c’est en cela qu’il a trahi ses aspirants. Idrissa Seck n’a pas violé la loi sur les fonds politiques. Parce que justement il n’y a pas une loi sur les fonds politiques. Il faudrait peut-être qu’on en fasse une. Mais ça n’excuse pas la gifle qu’il vient d’administrer à ceux qui voyaient en lui un « redresseur de tort ». Ce n’est pas sur le plan de la légalité que sa déclaration est détestable, c’est sur le plan de la moralité. C’est inacceptable de dire, devant tant de misère, de désespoir, que le président dispose de sommes qu’il peut même « brûler », sans ajouter, tout de suite après, « mais je ne suis pas d’accord avec ça ». On ne peut d’ailleurs pas comprendre pourquoi il s’est descendu tout seul, après avoir pourtant été remarquable dans sa dernière explication, face à toute la presse nationale. C’est difficile de sortir dans la rue, avec dans le dos la marque « a volé », alors que ses accusateurs ne font aucun effort pour apporter leurs preuves. C’est un peu injuste, mais on ne peut pas répondre à une tentative d’assassinat politique par un suicide politique. C’est bien ce qu’a failli faire l’ancien Premier ministre, sauvé peut-être par son « mais moi je tenais ma comptabilité ». Alors que de tous ceux qui ont hérité du pouvoir le 19 mars 2000, il n’était pas le plus fauché. De tous, il est d’ailleurs le seul à n’avoir pas déménagé de chez lui, parce qu’il avait un chez lui.
C’est pourquoi la vague d’indignation suscitée par cette sortie sur les fonds politiques sera toujours celle du bas peuple, jamais celle de ses dignitaires. Ils sont de mauvaise foi, les éternels Saint-Just qui lui disent « prouvez votre vertu, ou entrez en prison ». C'est encore triste, quand une certaine presse participe à cette mise à mort, en lui faisant dire ce qu'il n'a jamais dit. Si ces gens s’appliquaient cette même rigueur, ils ne seraient pas là à parler. C’est évidemment coûteux d’avoir fait cette déclaration. Mais c’est le seul argument sur lequel ceux qui veulent le remettre dans les prisons comptaient s’appuyer, le temps d’endormir l’opposition avec un pseudo gouvernement d’Union nationale.
Le Sénégal est le seul pays au monde où un président de la République se permet de consigner, dans un communiqué du Conseil des ministres, qu’un ami lui a donné 7 milliards, qu’il allait remettre dans les caisses de l’Etat. Et jusqu’à ce jour, aucune trace de ce généreux donateur, ni de cet argent ! En réalité, les fonds politiques étaient devenus, des deux dernières années, un moyen pour opérer de gigantesques fraudes. Des comptes ont été ouverts, des milliards déposés, alors que les fonds politiques ne font, en tout et pour tout, selon les répartitions du ministère des Finances, que 680 millions de francs. Ne pas répondre de ces questions, et vouloir instruire un procès individuel ressemble à une tentative liquidation. Eh bien, croyez-le, le bonhomme s’est attaché une ceinture d’explosifs à la taille.


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