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Vendredi 01 Juin, 2018 +33
Chronique

L’agent orange

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L’agent orange

 

 

L’agent orange

 

 

« Les vieillards ne deviennent pas sages,

ils deviennent plus prudents »

Ernest Hemingway

 

 

Non, il ne fait pas beau en Wadésie. Maître Wade a donc bonne raison de ne pas mettre le nez dehors, et de laisser passer la tempête. Après, il pourra sortir, pour mesurer l’ampleur des dégâts. Ce sont ses cabots qui montent la garde, et essaient de contenir la vague orange, en brandissant à nouveau la menace judiciaire. On se demande alors quelle dose de culot il faut, pour se permettre de défier un président, de se dire « njiitu rewmi », alors qu’on est en « liberté provisoire ».Non. On ne peut pas attendre d’un procès politique qu’il soit juste. Mais tout ceci risque de finir très bas, dans la cage d’escalier. Il y a chez nos gouvernants une inconscience indescriptible propre aux ambitieux. Ils deviennent sourds et n’entendent raisonner que la voix de leurs intérêts et de leurs ambitions. Le président, évidemment, a une haute idée de lui-même et de ce qu’il représente. Mais il est à un âge où on ne doit plus se faire des illusions. Ni sur lui-même, ni sur les autres. Il sait que la machine Idrissa Seck est entrée dans sa dernière phase, celle de la carbonisation, et même la prison ne pourra arrêter ce pourrissement. Ils sont nombreux à avoir déjà fait leurs valises, et à attendre le signal. C’est surtout à eux que les menaces de Cheikh Tidiane Sy s’adressent, mais le président sait que ce serait une grosse bêtise.

La veille du fameux congrès de « Rewmi », il a interpellé Insa Sankharé au téléphone :

-Insa, on m’a dit que le congrès que tu prépares, c’est pour soutenir Idrissa Seck.

-Monsieur le président, je peux vous dire que ce n’est pas le congrès d’Idrissa Seck, mais celui du FPJ.

C’était suffisant pour rassurer le président. Surtout qu’à côté de lui, Iba Der Thiam criait à tue-tête « je vous l’avais dit, ce sont les mauvaises langues de la Cap 21 qui diffusent ce genre de rumeurs ». Ce sont les bégaiements de ces conteurs de fagot qui lui ont fait perdre sa route, en lui faisant croire que « tout va bien ».

 

Depuis ce fameux lundi de feu, le président s’est mis en mode appels entrant illimités. Il reçoit tout le monde, parle à tout le monde, en pratiquant la méthode chiraquienne : promettre la même chose à plusieurs personnes. Mardi, c’était autour des vétérans, qui portent le combat de rue en bouton de chemise. Ils sont rentrés chez eux la gorge nouée, en attendant les bus pour leurs coopératives et quelques places au Sénat. Oui, c’est maintenant officiel. Après le Conseil de la République, qui ne devait « rien coûter », les vétérans et blessés de guerre du Sopi vont occuper la chambre d’en haut, pour « services rendus ». Tout le monde en a eu pour ses efforts, sauf les vrais compagnons. Depuis six ans, l’argent du contribuable sert à cela, élever la coterie du président. Les maires des grandes communes, qui avaient des indemnités de 45 000 francs par mois, gagnent maintenant 900 000 francs. Les magistrats, qui avaient 350 000 francs, gagnent maintenant 800 000. Les ministres, qui avaient moins de 500 000 francs sous Diouf, gagnent maintenant 2 millions. Et en toute logique, les salaires des membres de bureau de l’Assemblée nationale et des députés ont suivi. Les alliés politiques ne sont pas en reste. Tous les leaders de parti membres de la Cap 21 touchent tous les mois 400 000 francs, tirés des fonds politiques de la présidence de la République et de l’Assemblée nationale, pour faire « moitié-moitié ».

 

Il compte tout de même sur son bilan, meilleur que celui du Parti socialiste, pour se faire réélire. La comparaison paraît logique, comme à chaque fois qu’il est interpellé sur ses réalisations. Et ce n’est pas tout à fait faux. Dans cette longue série noire, il y a de petites éclaircies. Nous avons plus d’écoles qu’avant, plus de médecins qu’avant, et nous aurons certainement plus de routes qu’avant. Mais que de mal a-t-on fait, pour si peu de bien ! Les pouvoirs ne restent pas en place par leurs réalisations, mais par leur réalisme. C’est dommage, si, au bout de six ans, Wade n’a pas encore assimilé cette leçon de politique et d’histoire. Il doit se demander pourquoi Senghor est célébré partout dans le monde, et Diouf applaudi partout où il passe. L’héritage qu’ils nous ont laissé n’est pas matériel, il est moral. Ce que les autres avaient en autoroutes, en édifices, nous l’avons eu dans nos esprits et dans nos cœurs : de la générosité et de l’ouverture. Senghor a voulu bâtir un Etat, Diouf, une Nation. Wade a voulu être l’Etat et la Nation. Il a fini par dresser un Sénégal contre un autre, et c’est ce qui risque de le perdre, ou de nous perdre.

 

Notre savant président vole si haut au-dessus de nos têtes, qu’il en a parfois le vertige. Il serait  le meilleur d’entre nous, le seul capable de nous gouverner. C’est ce qu’il a dit aux journalistes du journal L’Observateur, qu’il a reçus le 16 mars 2004 : « vous savez, ce n’est pas facile du tout de trouver quelqu’un pour me remplacer. Un président, cela demande des qualités indéniables, beaucoup de caractère, et un environnement favorable. Les gens doivent avoir une bonne opinion de lui, il ne doit pas être quelqu’un qui n’est pas aimé. Je n’ai pas encore vu ce personnage dans mon parti, mais je cherche ».

C’est pourquoi je ne crois pas que la décision d’Idrissa Seck de le dépouiller de tout va avoir pour effet de le dissuader de se présenter aux élections. Je crois qu’il va plutôt le persuader davantage de ne pas les organiser. Ou alors, un des deux attendra. Il y a trop de choses qui permettent de le penser. Les retards dans la distribution des cartes, le manque de fiabilité du fichier électoral. Mais surtout, la décision, assez étonnante, pour un président « mouride », de convoquer les élections la veille du grand « maggal » de Touba. On ne peut pas subordonner le calendrier républicain à l’agenda religieux de sa confrérie, mais c’est quand même bizarre…

Non, je ne suis pro personne. J’ai des amis. Ce qui, depuis 2000, est passible de la peine capitale. Comme 58% de sénégalais, j’ai cru au changement le 19 mars 2000, et à tout ce qu’Abdoulaye Wade pouvait nous apporter. Ce n’est pas une histoire de chapelle. C’est pourquoi, quand on me demande de quelle religion politique je suis, je préfère dire que je suis un athée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



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