Le secrétaire exécutif du conseil national de sécurité alimentaire du Sénégal (SE-CNSA) était à Sédhiou pour remettre la contribution de sa structure à l’effort de guerre contre le covid-19. Jean Pierre Senghor a saisi l’occasion pour décrire la situation de l’insécurité alimentaire aussi bien au Sénégal que dans les pays de la Cdeao. Seneweb Sédhiou l’a rencontré.
Monsieur le ministre, pouvez-vous d’abord nous distinguer les prérogatives du SE-CNSA et du ministère du développement communautaire ?
Il va de soi que le Ministère en charge du développement communautaire est un département ministériel de plein exercice alors que le SE-CNSA est, juste, un organe d’exécution rattaché au Secrétariat Général du Gouvernement.
Vous me donnez, d’ailleurs, là, l’occasion d’apporter quelques éléments de clarifications quant à la mission assignée au SE-CNSA, de même que le rôle déterminant qu’il joue dans le dispositif national de gouvernance de la sécurité alimentaire.
Il convient, en effet, de distinguer le SE-CNSA du Commissariat à la Sécurité Alimentaire (CSA) qui, lui, est, aujourd’hui, rattaché au ministère du développement communautaire, de l’équité sociale et territoriale (MDCEST).
Préciser d’abord que c’est en 1998, que le Conseil national de Sécurité alimentaire (CNSA) a été créé par décret; il assure le pilotage de la politique nationale de sécurité alimentaire du Pays. Le CNSA compte en son sein des acteurs publiques et privés de la sécurité alimentaire dont une quinzaine de ministères, des représentants de la société civile ainsi que des partenaires techniques et financiers.
Le Secrétariat exécutif du Conseil national (SE-CNSA) quant à lui, a été créé en 2000 en vue d’assurer, au nom et pour le compte du CNSA, la coordination et le suivi de la mise en œuvre de la Stratégie nationale de Sécurité alimentaire et de Résilience (SNSAR), laquelle est opérationnalisée par le Programme national d’Appui à la Sécurité alimentaire et à la Résilience (PNASAR). C’est, à ce titre, un portefeuille de plus de 217 projets et programmes, à date, répartis sur les 45 départements du pays, que nous coordonnons et suivons. Le SE-CNSA joue, par ailleurs, un rôle de veille et d’alerte sécurité alimentaire, en menant des activités lui permettant de dresser, deux fois par an, la cartographie de la situation alimentaire du pays. Ces cartes indiquent, principalement, les zones à risque d’insécurité alimentaire et donnent, par ailleurs, une estimation du nombre de personnes en insécurité alimentaire, avec, comme entrée territoriale, le département. C’est ce tableau de bord fourni régulièrement qui permet à l’autorité d’agir de façon précoce et d’éviter la survenue des crises alimentaires.
Quelle est la situation de la sécurité alimentaire au Sénégal avec cette pandémie ?
Du fait de la fermeture des frontières extérieures liée à la survenue de la pandémie à COVID-19, le pays court le risque de voir les circuits d’approvisionnement des produits alimentaires perturbés. Il en est de même de l’intérieur du pays car les restrictions dues à l’état d’urgence limitent la circulation des personnes et des biens, ce qui se traduit par une réduction notoire des transactions commerciales, des pertes de revenus qui affectent directement l’économie des ménages. La crise sanitaire, en cours, présente, de ce fait, dans l’ensemble des 17 pays du Sahel et de l’Afrique de l’ouest, un risque d’exacerbation des crises alimentaires récurrentes. Si l’on n’y prend pas garde, elle pourrait engendrer une double crise économique et sociale.
Afin de prévenir voire d’éviter la survenue d’un tel scénario, un Plan d’Urgence sécurité Alimentaire (PUSA) est élaboré par le SE-CNSA, en collaboration avec tous les acteurs qui « cotisent au panier de la sécurité alimentaire » dans le pays.
Le Plan d’Urgence Sécurité alimentaire (PUSA 2020) est une réponse conjoncturelle, d’envergure, de l’Etat du Sénégal, face au risque d’insécurité alimentaire et nutritionnelle, fortement exacerbée par les effets de la pandémie à COVID-19.
Il se décline en deux temps dont le premier tient de l’opération « aide alimentaire d’urgence » à un million de ménages, déployée, dès la fin du mois d’avril 2020, par le Ministère du Développement Communautaire, de l’Equité Sociale et Territoriale (MDCEST). Le PUSA 2020 se poursuit, dans la foulée, par l’intervention spécifique, dans sept(7) régions, parmi les plus vulnérables du pays, d’un consortium de six ONG partenaires, dénommé Réplica[1]. Cette action qui se veut, elle aussi, précoce est rendue possible grâce à un fonds dont le Sénégal a bénéficié, cette année, de la mutuelle panafricaine d’assurance, African Risk Capaty (ARC), au titre d’indemnité versée au pays, suite à la sécheresse qui a sévi, dans certaines régions du pays, au cours de la dernière campagne de l’hivernage 2019.
La poursuite de la mise en œuvre du PUSA consistera donc à apporter, au moment de la soudure (juin-août), au plus tard, un appui à 529 625 ménages qui, d’après les résultats du dernier Cadre Harmonisé (CH), courent un fort risque de basculer en insécurité alimentaire. Notons qu’avant la survenue de la pandémie, le nombre de ménages menacés d’insécurité alimentaire d’ici à juin 2020 était estimé à 95 828 ménages dont les besoins de prise en charge sont totalement couverts par les fonds ARC déjà disponible.
Lors de la dernière télé rencontre du Réseau de Prévention des Crises alimentaires (RPCA) qui s’est tenue le 02 avril 2020, la proposition du Sénégal de reconsidérer son Plan national de Riposte (PNR) en Plan d’Urgence Sécurité alimentaire (PUSA) a retenu l’attention du CILSS qui, dans sa lettre n°000574 du 14 avril 2020, en a fait une recommandation formelle à tous les 17 pays membres de ce réseau RPCA.
Il s’agit, surtout, de veiller à ce que la crise sanitaire en cours, n’engendre pas, dans la foulée, voire dans le même temps, une crise alimentaire sans précédent, source potentielle de crises sociales aux conséquences imprévisibles.
C’est tout le sens, l’objet et l’intérêt du Plan d’Urgence Sécurité alimentaire 2020 qui se veut contribuer à bâtir, avec la communauté des acteurs impliqués dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle, une réponse, rapide, vigoureuse et efficace, à la mesure du triple enjeu sanitaire, alimentaire et social auquel tous nos pays font face.
Avant la crise sanitaire il y avait des zones déjà en situation d’insécurité. Que deviennent-elles avec la crise alimentaire générale ?
Matam et Salémata étaient les deux départements classés Orange, donc considérés à risque d’insécurité alimentaire, par le CH du mois de mars dernier. C’est pourquoi, les actions précoces d’appui ont démarré par ces deux localités aussi bien par l’opération Aide alimentaire d’urgence du MDCEST que par un des acteurs du consortium Réplica, en l’occurrence Action Contre la Faim (ACF).
Le président de la République estime que la pandémie pourrait se prolonger jusqu’en Août Septembre. Le conseil national s’est-il préparé à cela ?
C’est, justement, pour cette raison que l’agenda du PUSA 2020 prévoit de prolonger son intervention à juin, juillet et août, marquant la période de soudure. Plusieurs partenaires dont l’UE, la BM, le Canada, le Japon, etc., ont déjà manifesté un fort intérêt à accompagner cette phase du PUSA2020.
S’il est vrai que face à la propagation rapide du virus l’Etat se devait de prendre les mesures de restriction que nous avons vécues jusque-là, pour autant, il était important de desserrer un peu l’étau, en vue de permettre à nos économies locales de respirer ; faute de quoi, une accumulation de pertes de revenus pourrait exacerber l’insécurité alimentaire voire engendrer des crises d’une autre nature. Prenons juste l’exemple de l’hivernage qui s’annonce à l’horizon, pour lequel les agriculteurs ont besoin de se préparer, dès à présent ; si les restrictions sont maintenues encore trop longtemps, vous imaginez ce qui pourrait se passer ? Oui, le chef de l’Etat a vu juste en décidant d’alléger les mesures prises le 23 mars tout en appelant à maintenir une vigilance encore accrue.
Par conséquent, loin d’être un ceint blanc donné pour baisser la garde, cet allègement des mesures restrictives, sonne, bien au contraire, comme un appel à la responsabilité individuelle et collective, face à une pandémie dont l’épilogue tient, dans une large mesure, de notre capacité intrinsèque à nous auto discipliner.
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