mots : WC, mains pas lavées, nourriture, maladie. Mais les données épidémiologiques suggèrent que les norovirus empruntent d'autres routes pour nous atteindre. Un scénario met en scène une possibilité aussi peu ragoûtante que la précédente, le vomissement. Mais il y a un hic : comme on n'est pas, en général – sauf rare malchance –, sur la trajectoire du jet jaillissant de la bouche d'un malade et comme on ne va pas non plus, sauf problème psychologique important, barboter ou s'abreuver dans une « pizza de trottoir », comment cette dernière transmet-elle ses virus ? L'idée retenue par les biologistes est que l'expulsion brutale du bol alimentaire transforme une fraction des particules virales en aérosols. C'est-à-dire en minuscules gouttelettes susceptibles d'être transportées par les courants d'air, tout comme la toux et l'éternuement favorisent la propagation du virus de la grippe. Encore faut-il prouver que le vomissement est capable de produire cette « aérosolisation »...
C'est à ce problème que travaille, et ce depuis quelques années, une équipe américaine de l'université de Caroline du Nord, laquelle a rendu compte de ses résultats dans une étude publiée le 19 août par PLOS One. La première difficulté que ces chercheurs ont eu à surmonter est la suivante : les norovirus ne se laissent pas cultiver in vitro. On aurait pu envisager, au nom de la science, de rendre malades quelques cobayes puis d'observer la manière dont le produit de leur estomac se serait projeté vers l'extérieur mais cela aurait probablement présenté quelques inconvénients déontologiques. Les auteurs de l'étude ont donc décidé de trouver un virus de substitution, une sorte de « doublure » ayant à peu près la même silhouette et les mêmes mensurations que les norovirus. Leur choix s'est porté sur le bactériophage MS2, un virus inoffensif pour l'homme et qui, comme son nom l'indique, se nourrit de bactéries.
Second obstacle à surmonter : le moyen de propulsion. Difficile de gaver quelques humains d'une bouillie de MS2 et de les obliger à la rendre. Qu'à cela ne tienne, les chercheurs ont donc conçu et fabriqué une authentique machine à vomir. Rien n'a été laissé au hasard : le volume à émettre, les différentes viscosités de la mixture – laquelle dépend des proportions de nourriture solide, semi-liquide et liquide ingérée –, la quantité d'air présente dans l'estomac, la pression. Ils n'ont pas oublié la position typique que l'on prend en vomissant ainsi que la toux qui accompagne l'acte, les deux ayant pour but d'empêcher des corps étrangers de pénétrer dans les poumons. Au terme de leurs travaux préliminaires, ils ont donc réalisé un système d'éjection dont le tuyau final aboutissait, comme on peut le voir sur le schéma ci-dessous, dans la bouche d'un visage en argile. Toutes les proportions de la tuyauterie humaine (longueur et diamètre de l'œsophage et de la bouche) étaient respectées, mais le prototype fabriqué ne faisait que le quart de la grandeur réelle.
Le mini visage artificiel a été placé dans une grande boîte transparente en plexiglas, stérilisée au préalable. On a introduit des mixtures de différente consistance dans le pseudo-estomac. On a mis la pression. Et schplaff ! Une sorte d'aspirateur récupérait l'air présent dans le vomitorium pour l'analyser. Résultat : après chaque simulation, les chercheurs ont détecté des aérosols contenant des bactériophages MS2 même si une fraction très faible des virus passait dans l'air (0,03 % dans les conditions optimales et bien moins sinon). L'étude estime que, dans le meilleur – pour nous – des cas, seulement 36 particules virales se sont muées en aérosols, mais, dans le pire, ce sont plus de 13 000 de ces particules qui ont pu se retrouver dans l'air. Or il suffit parfois de 20 exemplaires de norovirus pour infecter un humain...
Si l'on fait abstraction du côté saugrenu de la machine à vomir, l'étude répond donc à une question importante pour les spécialistes des épidémies à norovirus. Comme l'explique Lee-Ann Jaykus, qui a supervisé cette recherche, « les données épidémiologiques laissaient penser que l'aérosolisation du virus pendant le vomissement était une voie possible pour la propagation des norovirus et notre travail confirme que c'est non seulement possible mais aussi probable ». La chercheuse ajoute : « Quand une personne vomit, les aérosols contenant les particules de virus peuvent pénétrer dans la bouche d'une autre personne et, si elles sont avalées, conduire à l'infection. Mais ces particules en suspension dans l'air peuvent aussi atterrir sur des surfaces proches comme des tables ou des poignées de portes, provoquant une contamination environnementale. Et les norovirus peuvent attendre pendant des semaines. Donc si quelqu'un touche cette table puis porte sa main à sa bouche, il y a un risque d'infection. » Dans sa conclusion, l'article dePLOS One explique qu'il va falloir maintenant s'intéresser à la durée pendant laquelle les virus peuvent rester dans l'air et à la distance qu'ils peuvent ainsi parcourir. La machine à vomir n'a pas fini de travailler.
2 Commentaires
Anonymerat
En Septembre, 2015 (14:54 PM)Anonyme
En Septembre, 2015 (15:25 PM)Participer à la Discussion