C’est une découverte qui pourrait changer la perception et la prise en charge de l’anorexie mentale. Publiée ce mardi dans la revue Translational Psychiatry, une étude de l’Inserm, de l’université Paris-Descartes et du centre hospitalier Sainte-Anne remet en question les critères de diagnostic de cette pathologie, ce mal insidieux qui toucherait plus d’1 % des femmes, principalement des adolescentes, en quête d’un corps qu’elles ne trouvent jamais assez mince.
Circuit de la récompense et plaisir addictif de maigrir
Aujourd’hui, le diagnostic de l’anorexie mentale est fondé sur trois critères internationaux : une restriction alimentaire entraînant une perte de poids, souvent très rapide, une perception déformée de son corps et une peur phobique de grossir, détaille l’Inserm. Un troisième critère réévalué par le Pr Philip Gorwood, chef de service de la clinique des maladies mentales et de l’encéphale de l’hôpital Sainte-Anne, à Paris, dont les recherches démontrent que les personnes atteintes d’anorexie seraient gouvernées par le plaisir de maigrir plutôt que par la peur de grossir. « Certes, dans les deux cas, cela conduit à la perte de poids, admet le médecin. Mais cette découverte est loin d’être anodine, c’est en réalité d’un changement de paradigme qui pourrait avoir un réel impact dans la prise en charge de la maladie : on passe du registre de la phobie à celui de l’addiction, qui n’implique pas les mêmes circuits cérébraux. »
Pour en arriver à cette conclusion, les chercheurs ont mené des tests de « conductance cutanée », une mesure du taux de sudation de la peau, sur 70 patientes à différents degrés de sévérité de la maladie. Le but : mesurer selon des critères objectifs l’émotion suscitée par la vision de silhouettes de femmes en surpoids manifeste ou, au contraire, d’uneextrême maigreur. Si le fait de voir des corps en surpoids a provoqué la même réaction chez sujets malades et les sujets sains, la vision de corps très maigres a suscité « des émotions évaluées comme positives » chez les patientes anorexiques, rapporte l’Inserm. « Nous avons démontré que les circuits cérébraux de la récompense sont impliqués chez les personnes anorexiques, dévoilent le Pr Gorwood. Elles survalorisent la maigreur et basculent dans l’addiction à la perte de poids, où réussir à perdre un kilo donne une envie irrésistible d’en perdre un autre. »
L’influence de la génétique sur la maladie
« Ma fille avait toujours été mince, les gens se retournaient sur elle à la plage donc elle n’avait pas peur de grossir, mais elle ressentait du plaisir à maigrir », abonde Danielle Castellotti, présidente de la FNA-TCA (Fédération Nationale des Associations d’aide aux Troubles du Comportement Alimentaire), qui fédère 25 associations sur le territoire. « On a trop longtemps envisagé cette maladie à l’envers, on l’a abordée dans le mauvais sens. »
Si on ignore encore les causes et les mécanismes de l’anorexie, les chercheurs ont démontré que ce plaisir addictif de maigrir aurait un terrain génétique. Certes, il n’existe pas de gène de l’anorexie, mais plusieurs gènes auraient une incidence sur la survenue de la maladie, notamment le gène BDNF, impliqué dans le fonctionnement du cerveau. L’Inserm révèle d’ailleurs que « l’augmentation de la transpiration face aux images de maigreur corporelle s’explique par la présence d’une forme spécifique de ce gène ». Le Pr Gorwood, qui a mené les recherches, souligne que « l’anorexie résulte à 70 % de facteurs de vulnérabilité génétique », précisant toutefois que la pathologie est multifactorielle, et que « le parcours individuel et le contexte social des patientes jouent également un rôle ».
De nouvelles pistes thérapeutiques
A ce jour, aucun traitement pharmacologique ne permet de soigner l’anorexie mentale. « On est très démuni : on dispose d’un arsenal thérapeutique très large mais peu efficace, déplore le Pr Gorwood. Et aucun pays n’a reçu d’autorisation de mise sur le marché pour un médicament contre l’anorexie. » Conséquence : seuls « un tiers des cas, les formes les moins sévères, se soldent par une rémission réelle, regrette-t-il. C’est un schéma catastrophique, et un constat d’échec pour les deux tiers restants, qui ne parviennent pas à retrouver une vie normale. » Chaque année, 1 % des anorexiques meurent, « par suicide ou dénutrition, précise le chercheur. C’est la pathologie mentale la plus suicidaire ».
Cette « très forte probabilité » que l’anorexie relève du « registre des addictions » devrait permettre d’améliorer la prise en charge des patientes en ouvrant la voie à de nouvelles pistes thérapeutiques. Parmi elles, la remédiation cognitive et la thérapie de pleine conscience sont prometteuses. « Cela implique un fort travail psychoéducatif, explique le Pr Philip Gorwood. On essaie decasser les pensées automatiques des patientes. Il s’agit de les empêcher de penser qu’elles vont grossir si elles mangent quoi que ce soit et de leur apprendre comment fonctionne leur maladie ». Autant de voies qu’il est recommandé d’associer à la thérapie familiale. « Plus la prise en charge thérapeutique est précoce et globale, plus les résultats sont efficaces, note le chercheur, et dans ce processus, la participation de la famille est déterminante. »
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