Au Congo-Brazzaville, le président Denis Sassou Nguesso vient d’être réélu pour un quatrième mandat avec 88,4 % des voix. Un résultat légèrement inférieur à celui de son homologue béninois Patrice Talon, qui vient de remporter un deuxième mandat présidentiel, avec 86 % des suffrages. Au Tchad, le maréchal Idriss Deby Itno vient d’être tué dans le contexte d’une rébellion venue de Libye, au lendemain de l’annonce de sa réélection à la présidence pour un quatrième mandat qualifiée de « mascarade » par l’opposant Saleh Kebzabo. Il y a quatre mois, c’était l’Ivoirien Alassane Ouattara qui était plébiscité : 94,27 % des voix au premier tour d’une élection présidentielle ouvrant la voie à son troisième mandat.
Rien d’étonnant à première vue dans un espace francophone atteint de nanisme démocratique. Pourtant, quelque chose comme un soupçon de révolte semble prendre forme. Dans toutes ces élections ou presque, les principaux opposants ont milité pour le boycott de ces scrutins. En soi, la chose n’est pas spécialement nouvelle. Le mouvement est encore balbutiant. Il est moins le résultat d’une stratégie mûrement réfléchie que l’expression d’un sentiment d’impuissance. Néanmoins, il révèle peut-être le début d’une prise de conscience que les élections ont été profondément dévoyées par les gouvernements d’Afrique francophone, qui en ont fait non plus un instrument de libération, mais, au contraire, un instrument de consolidation de leur pouvoir. Si, comme certains nous le répètent à l’envi, la démocratie se réduit aux élections, alors il y a fort à parier que les plus fervents soutiens de la démocratie sur le continent sont les dirigeants africains, car dans la configuration actuelle celles-ci assurent leur pérennité tout en légitimant leur pouvoir.
L’erreur fondamentale est d’avoir pris le président François Mitterrand au sérieux lorsqu’il prononça son discours de La Baule. D’abord, il convient de rappeler que les militants africains n’ont pas attendu les bons mots de l’ancien récipiendaire de l’ordre de la Francisque et ex-ministre de la France d’outre-mer pour réclamer plus de libertés politiques.
Ensuite, derrière sa grandiloquence, le discours de La Baule révélait une vision si paternaliste de l’Afrique qu’il était illusoire de considérer que son auteur pensait les pays de la Françafrique aptes à l’autodétermination. Jugez plutôt: « Et voilà que ces États nouveaux, doivent gérer les anciennes contradictions héritées de l’Histoire, doivent bâtir une administration centrale, nommer des fonctionnaires après les avoir formés, gérer des finances publiques, entrer dans le grand circuit international, souvent sans avoir reçu des anciens pays coloniaux la formation nécessaire. Et on aurait à raisonner avec ces États comme on le ferait à l’égard de nations organisées depuis mille ans, comme c’est le cas de la France, de la Grande-Bretagne, de l’Espagne ou du Portugal ». Enfin, le primat des intérêts sur l’idéologie est une loi de l’Histoire qui interdisait de nourrir de faux espoirs.
Trois ans après le discours de La Baule, le parti socialiste de François Mitterrand, lequel, comme le rappellent les récents rapports Muse et Duclert sur le rôle de la France au Rwanda, était pleinement engagé aux côtés de l’ex-président rwandais Juvénal Habyarimana dans sa guerre contre le FPR, essuie une cuisante défaite aux législatives de 1993. C’est le début de la cohabitation. Jean-Marie Vianney Ndagijimana, alors ambassadeur du Rwanda en France, suit de près cette élection dont les résultats pouvaient potentiellement changer la donne pour le Rwanda.
"Jean-Marie Vianney Ndagijimana estime que la France restera dans l’esprit du discours de la Baule
Mais l’ambassadeur est confiant : dans un compte rendu du 30 mars 1993, il indique « [qu’] il n’y a aucune différence fondamentale entre la politique africaine de la gauche et de la droite en matière de politique étrangère, l’objectif principal étant de préserver les intérêts de la France et son influence dans le monde ». Le diplomate rwandais estime que la France restera dans l’esprit de La Baule, conditionnant l’aide au développement à la mise en place de réformes démocratiques, mais qu’elle accordera la priorité à la sécurité et à la stabilité des pays africains plutôt qu’à leur démocratisation. Bingo ! Les dirigeants africains l’ont vite compris aussi : la « stabilité », de bonnes dispositions à l’endroit des intérêts occidentaux, et quelques « gages » démocratiques suffisent à assurer le soutien des « démocrates » occidentaux.
Pour parvenir à une authentique démocratie, il faudrait délégitimer des systèmes électifs profondément corrompus.
Le boycott s’inscrit dans cette logique. Mais pour être efficace, celui-ci doit être actif, permanent, et devrait s’étendre à toutes les élections – pas uniquement les présidentielles. Il devrait en outre s’accompagner d’un effort massif de sensibilisation des masses, et de la constitution d’alliances à l’échelle du continent, l’objectif étant la constitution de fronts populaires exigeant des réformes profondes du cadre actuel.
Mais ce travail nécessaire ne peut être mené que par des leaders mus par l’intérêt général, éloignés des innombrables petits calculs et grandes compromissions qui empêchent la maturation de nos oppositions, insensibles aux sirènes de la corruption. Nos opposants en sont-ils capables ?
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