La 34e édition de la Coupe d'Afrique des Nations est un prétexte idéal pour découvrir le pays hôte. Véritable Côte d'Ivoire en miniature, le Musée des Civilisations, est un lieu regroupant des objets représentatifs de la culture ivoirienne. Immersion.
Des endroits les plus chics d’Abidjan, le Plateau est incontestablement le plus beau. En plus d’être le cœur administratif et le centre des affaires de la Côte d’Ivoire, le Petit Manhattan d’Afrique de l’Ouest est un endroit chargé d’histoire et de lieux qui la racontent. En face des célèbres tours A et B (qui feront l’objet d’une présentation dans un prochain article), le Musée des Civilisations de Côte d’Ivoire ne passe pas inaperçu. En pénétrant cet édifice, nous rencontrons le responsable du service des expositions, Guy-Stéphane Amangui. C’est avec enthousiasme qu’il accueille chaque personne franchissant le seuil de cette porte avec l’expression “Akwaba” qui signifie “Bienvenue” en langue Akan. La première image saisissante en pénétrant ce lieu est un imposant crâne d’éléphant posé sur un socle en pierre peint en verre accompagné des ossements de ses fémurs.
Bien au-delà d’être l'emblème de la Côte d’Ivoire et de participer à souhaiter la bienvenue aux visiteurs, ce pachyderme à cheval entre les éléphants de forêt et de savane était le dernier de son espèce. “Il était de très grande taille. Sa taille tournait autour de 4 mètres, alors qu'aujourd'hui, nos éléphants tournent autour de 3,5 mètres”, renchérit Guy-Stéphane Amangui qui accepte généreusement de nous faire une visite guidée des lieux.
De gauche à droite de l’entrée principale, sont fixés sur le mur des tableaux sur lesquels sont inscrits des messages uniques. Ils ont la particularité de porter chacun d’entre eux quelques proverbes des principaux groupes ethniques de la Côte d’Ivoire à savoir : les Akans, les Krou, les Mand et les Gour. “Si tu suis l’éléphant, sache que ton pied ne heurtera pas l’écureuil”, dit un proverbe Akan qui veut tout simplement dire que celui qui suit un homme puissant n’a rien à craindre.
Des cauris au Franc CFA : L’évolution monétaire de l’Afrique subsaharienne retracée
Dans une démarche didactique mais aussi afin de mieux montrer l’organisation ancestrale, le musée est divisé en cinq secteurs : Économie ; Arts, Invention et Technologie ; Organisation sociale ; Royauté et Vie politique. La première exposition sur laquelle les visiteurs tomberont, en s’orientant vers la droite, est celle consacrée à l’économie. À l'intérieur d'une coupole en verre, le musée présente l’évolution de la monnaie en Afrique subsaharienne. On y retrouve notamment les premiers billets de banque édités à Dakar, des billets de pays arabes et des monnaies traditionnelles telles que des cauris, des tiges métalliques (utilisées par des peuples de l’Ouest de la Côte d’Ivoire).
“Tandis que les cauris étaient utilisés dans les transactions mineures, les tiges servaient dans celles qui étaient importantes, telles que l’achat des dots et des vaches. Vu que le fer était rare en ce temps, cette tige avait une forte valeur”, nous explique Guy-Stéphane. À côté, d'autres devises encore plus curieuses y sont exposées, à l’exemple des bracelets en manille et du système le plus prestigieux, les poids à peser l’or. Ce dernier était surtout utilisé par la royauté.
Toujours concernant les activités économiques, des objets artisanaux servant à la pêche, à l’agriculture, à la chasse, tels que des cannes de culture, des arcs, des pirogues et des paniers, y sont exposés dans un état impeccable.
Les technologies endogènes
La visite se poursuit cette fois-ci dans la partie intitulée “Arts, invention et technologie”. L’exposition s’ouvre sur des instruments sonores et de communication. Équivalent du téléphone portable à l’époque, le Tam-Tam parleur avait une capacité de résonance de 8 kilomètres à la ronde et permettait la transmission de messages codés d’un village à un autre. Un autre instrument bien connu au Sénégal s'y trouve : le Balafon, qui était utile lors des festivités.
La sécurité des récoltes a toujours été au cœur des priorités des peuples. C’est ainsi que notre guide nous présente une échelle mobile permettant d’accéder par le haut à un grenier à l’architecture originale. Par ces présentations, le musée des civilisations de Côte d’Ivoire souhaite montrer aux populations africaines que leurs ancêtres n’avaient pas tout hérité du colon. “Cette exposition est faite pour que l’Africain ait confiance. Depuis la nuit des temps, nos parents ont de la matière grise”, lance Guy-Stéphane.
Le roi, un être privilégié orné d’or
De l'économie à la technologie, une exposition sur la vie politique se présente au public dans le coin du musée. Ce lieu est essentiellement consacré à la royauté, avec un hamac mobile sur lequel est fixé un parasol recouvert de fil d'or. La mobilité de ce moyen de transport royal était assurée par les gardes de ce dernier, qui constituaient son "armée secrète".
Qui parle de roi en Côte d'Ivoire, parle inéluctablement d'or. Ceci serait dû au fait que la plupart d'entre eux proviendraient du Ghana, qui était appelé la "Gold Coast". Dans un dôme carré, les attributs du roi composés de sa couronne, de son trône, de son chasse-mouche (qu'il utilisait pour chasser les mauvais esprits), du sabre et de sculptures en or pur y sont exposés.
Juste en face, les visiteurs peuvent contempler la mise du roi en pagne tissé qui se composait de fils d'or. Au-delà des armes, les peuples anciens faisaient appel aux croyances mystiques pour protéger leurs territoires. C'est ainsi que l'on note la présence d'un masque intimidant orné de douilles de cartouches à fusil, intitulé "masque de la guerre".
Tel que le yin et le yang, le masque de la paix, d'une allure plus joviale, est placé à côté de son antonyme.
Le bouleversement colonial
La dernière exposition du musée est une sorte de transition de la tradition à la modernité avec l’avènement du colon. Il est dit que le roi a perdu drastiquement ses pouvoirs au contact de ce dernier. “Le roi qui avait un pouvoir religieux le perd parce qu'on crée l’institution de l’église. Le roi qui avait le droit de vie ou de mort le perd parce qu'on crée l’institution de la justice”, évoque Guy-Stéphane Amangui. Dans cet espace, figure le casque colonial qui avait plus de valeur que la couronne royale car à l'époque, toute personne désireuse de réaliser des activités commerciales se devait de l’arborer, car il faisait office d’autorité.
L’exposition met également l’accent sur des vestiges en ivoire de la haute classe, à l’exemple des peignes en ivoire et des chaussures en bois, mais aussi des fusils qui étaient utilisés comme arme de répression contre les populations indigènes.
La visite s’achève sur la présentation du bureau du président Alassane Ouattara, sur lequel il a signé le 8 novembre 2016 la nouvelle constitution du pays avec le style utilisé pour la parapher.
Le musée des civilisations, à l’origine
Originairement établi comme un centre artisanal sous la tutelle de l'administration coloniale, le Musée des Civilisations de Côte d'Ivoire a connu une trajectoire évolutive au cours des décennies écoulées. Fondé en 1942 par le Gouverneur Hubert Deschamps, l'établissement avait pour dessein la promotion des productions artisanales, initiative mise en œuvre avec brio par l'artiste Pierre Mauze.
L'atelier a été le théâtre d'une diversité de talents, comprenant des sculpteurs sur bois, des cordonniers, des potières, des tisserands, et des fondeurs de bronze. En 1943, l'alliance avec l'Institut Français d'Afrique Noire (I.F.A.N) de Dakar a marqué une expansion substantielle de ses activités. Sous la direction éclairée de Jean-Luc Tournier, responsable de la succursale rebaptisée CENTRIFAN, le musée a accentué son engagement avec l'acquisition et la préservation de pièces authentiques, aboutissant à la transformation du bâtiment principal en une salle d'exposition en 1944.
L'année 1945 a vu le musée s'étendre significativement avec la construction du bâtiment en forme de "U", actuellement dédié à l'administration et à une portion des réserves. Le passage des années, placé sous la direction de l'ethnologue Bohumil Holas de 1947 jusqu'à son décès en 1979, a été jalonné par des évolutions d'appellation, passant de CENTRIFAN au centre des sciences humaines en 1961, pour devenir le Musée National d'Abidjan en 1972.
En 1994, le professeur Georges Niangoran Bouah a marqué une étape cruciale en rebaptisant l'institution en Musée des Civilisations de Côte d'Ivoire (M.C.C.I). Ce réalignement sémantique a témoigné d'une intention délibérée de mettre en avant la diversité et la profondeur culturelle du pays à travers ses collections.
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