Un peu moins de dix millions d’Afghans sont appelés aux urnes ce samedi 28 septembre pour se choisir un président. Mais l’élection se déroule une nouvelle fois dans un climat de violence extrême : les talibans ont multiplié les attentats depuis l’échec au début du mois des négociations qu’ils menaient avec les Américains.
Les Afghans craignent une élection sanglante. « Indépendamment des forces de sécurité afghanes qui assurent être prêtes, on sait que les talibans sont présents dans quasiment la moitié du territoire afghan », rappelle Jean-Luc Racine, directeur de recherche émérite au CNRS, qui souligne que sur les 5 400 centres de vote, 400 ont été fermés pour des raisons de sécurité.
Le spécialiste souligne que les talibans ont menacé particulièrement la communauté des enseignants, car certains bureaux de vote sont dans des écoles. Objectifs des talibans : « Si le taux de participation est beaucoup plus bas que celui des inscrits, ils en profiteront pour contester la légitimité du futur vainqueur de l’élection ».
15 candidats en lice
Sur les 15 candidats, comme lors du dernier scrutin, ce sont le président sortant Ashraf Ghani et son Premier ministre Abdullah Abdullah qui partent favoris. Pour Ashraf Ghani, qui avait été maintenu en dehors des négociations entre les Américains et les talibans, cette élection est l’occasion de « repartir sur une page blanche » et s’affirmer comme la figure politique principale du pays.
D’autant que « la plupart des autres candidats n’ont pas vraiment pu faire campagne », explique Romain Malejacq, professeur de sciences politiques à l’Université de Radboud aux Pays-Bas. Du coup, « Ashraf Ghani n’a pas voulu participer aux débats électoraux, et il a fait en sorte que l’élection se tienne le plus vite possible. Puisqu’il est le candidat sortant, c’est à son avantage ».
Une victoire franche changerait tout pour ce président sortant qui veut se débarrasser du gouvernement d’unité nationale qu’il traîne depuis 2014, et entamer un second mandat avec un gouvernement fort qu’il tienne complètement. Car depuis la dernière présidentielle, Ashraf Ghani doit composer avec un Premier ministre qu’il ne voulait pas. A l'issue du second tour, les deux hommes revendiquaient la victoire, et ce sont les Américains qui avaient finalement débloqué la situation en les forçant à travailler ensemble, comme numéro 1 et numéro 2. D’où une paralysie certaine du gouvernement...
Et c’est d’ailleurs en opposant qu’Abdullah Abdullah se présente à cette élection : un opposant à un gouvernement qu’il considère corrompu, fonctionnant comme une « clique politique ».
Romain Malejacq souligne qu’il n’existe pas de différence politique majeure entre les deux hommes : c’est surtout une question de personnalité, de réseau politique, de réseau de clientèle. Par contre, « la seule question vraiment importante qui semble les séparer c’est qu’Abdullah Abdullah a affirmé qu’en cas de négociations avec les talibans, s’ils étaient véritablement décidés à faire la paix, s’il était élu, il serait prêt à quitter le pouvoir pour laisser la place probablement à un gouvernement d’unité nationale ».
Une population en partie résignée
Au-delà des calculs et des désirs politiques, qu’attend la population afghane de ce scrutin ? Ces derniers mois, plus les négociations de paix entre Américains et talibans avançaient, plus il semblait certain qu’il serait une nouvelle fois repoussé. Avec l’échec des discussions, les Afghans se retrouvent avec une élection qui revient au premier plan, mais pour Romain Malejacq, « pas sûr que la population attende grand-chose de ce scrutin, qui sera marqué par la fraude, par les violences. La population s’attend à de la politique comme elle a toujours eu lieu depuis 2001. »
D’autant que les programmes des candidats ne diffèrent pas vraiment les uns des autres – et ce n’est pas l’absence de débat qui a permis d’y voir plus clair. Pourtant, la politique afghane compte des nouveaux visages comme celui du candidat Ahmad Massoud, le fils d’Ahmed Chah Massoud. « Mais quand on en vient au vote, on voit bien que ce sont toujours les mêmes candidats qui remportent le plus de votes », note Romain Malejacq. « En Afghanistan, c’est important d’apparaître comme l’homme fort, et il y en a qui ont une légitimité acquise pendant la guerre contre l’Union soviétique, mais aussi dans la guerre contre les talibans, explique-t-il. Les populations jeunes, en réalité, n’ont pas fait grand-chose. Elles n’arrivent donc pas à se faire une place pour avoir une véritable plateforme et être entendues. »
Une exigence de transparence
En attendant, pour que l’élection de ce samedi soit considérée comme un succès, il faut que les talibans ne mènent pas d’attentats d’envergure, que la fraude reste limitée – un système biométrique a entre autres été mis en place. Mais Romain Malejacq souligne déjà que les listes de la Commission électorale ne correspondent pas à celles des districts…
Ensuite, il faudra que les résultats soient transmis dans la transparence, ce qui n’a pas été le cas des derniers scrutins : les résultats des législatives de 2018 n’ont été communiqués qu’au bout de plusieurs mois, et lors du second tour de la présidentielle de 2014, la médiation américaine a certes permis de débloquer la situation entre Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah, mais rappelle Jean-Luc Racine « sans qu’on n’ait véritablement communiqué les résultats en faveur des uns et des autres ».
Cette fois la commission électorale, qui a été changée depuis le fiasco de 2018, « sait qu’elle est attendue par les Afghans, les observateurs et la communauté internationale qui attache du prix à ce que ces élections puissent aboutir à un résultat à peu près incontestable, puisque évidemment c’est une des clés pour la recherche de la paix ensuite ».
0 Commentaires
Participer à la Discussion