«L’Afrique est un continent qui vient de très loin, avec plein de pays. Il y a des réalités, il y a des ethnies, il y a des tribus. Cela il faut le comprendre. Lutter contre la pauvreté en Afrique, ça n’est pas un plan de deux ans ou de trois ans…» Ainsi parle Baaba Maal, silhouette juvénile de trentenaire, il cache bien ses 56 ans. La voix de ce natif du Fuuta porte, au-delà des disques et des concerts. Récemment, c’était au sommet d’Edimbourg. En remettant les racines et la culture au centre de tout, le compositeur impose la vision multiple d’un continent mosaïque.
- Baaba Maal, pourquoi faites-vous de la musique?
Depuis mon plus jeune âge, ma voix est un atout. Lorsque je chante, on me prête attention. Enfant, j’étais très timide. J’observais plus que je ne parlais. Les mots ne sortaient pas, sauf en musique.
- Quelle a été votre formation musicale?
Le conservatoire «naturel». Ma mère aimait la danse, créait des chansons, dirigeait des troupes de théâtre. Je l’observais créer des costumes dans des tissus colorés. J’assistais aux répétitions à la maison, j’entendais le tam-tam. J’ai baigné dans la musique populaire.
- Et votre père?
Mon père était muezzin. Il était doté d’une voix exceptionnelle. J’étais fan de lui. Mais, plus que tout, mon école a été ma ville natale. On y trouvait toutes les ethnies de l’Afrique de l’Ouest.
- Votre ville natale, c’est Podor au Sénégal, vous avez ensuite migré à Dakar.
Ma ville avait accueilli dans certains quartiers les Peuhls, dans d’autres, des rois déchus du Mali. Les Maures y passaient. Chaque ethnie organisait presque tous les soirs quelque chose qui faisait partie de sa propre culture. J’ai eu la chance d’entendre différentes langues, différents instruments, différents arts musicaux.
- L’Afrique, selon une vision occidentale, devrait ressembler à nos schémas de compréhension. Votre dernier album soulève cette interrogation.
C’est exact. Mais je m’adresse aussi aux Africains. Sur certains titres, je chante en Wolof par exemple. L’avenir de l’Afrique doit commencer en Afrique avec les Africains. Il nous faut lutter contre les conflits, les guerres, la pauvreté et travailler à l’éducation.
- Le rôle de la femme est central.
On les oublie trop souvent. Elles ont, chez nous, cette capacité à se mobiliser. Plus que les hommes, elles ont la force de s’unir. Il faut transposer cela dans la politique, dans la culture ou l’économie.
- Vous êtes resté un musicien itinérant dans votre propre pays.
Avec mon groupe, depuis 20 ans, nous voyageons du nord au sud. C’est notre façon de faire passer l’information dans les villages où les enfants n’y ont pas accès. Ils sont abandonnés. Qui va vers eux? Je ne parle même pas des leaders politiques, mais culturels. Les jeunes ont besoin de ressentir qu’ils appartiennent à une communauté, sinon ils quittent leur village. C’est ce qui m’a poussé à collaborer au programme des Nations Unies pour le développement.
- Ne craignez-vous pas d’être récupéré?
Pas localement. Je suis très fier que ma musique puisse jouer un rôle. Je ne passe pas par des agents de spectacle. Ce sont des associations de jeunes, de femmes, qui se débrouillent seules et recherchent des fonds pour financer des projets. La musique permet ainsi d’acheter des tables pour des salles de classe ou une motopompe. C’est concret.
- Lorsque vous composez, qu’est-ce qui vibre en vous?
Pour le dernier album, «Television», c’est ma fibre de musicien, ce que je pense et comment je le pense. Cela m’a pris 5 ans. Pour les autres, c’était une révolte. Je n’aimais pas l’étiquette de World Music, qui nous rangeait à côté des autres. Je suis très proche de tous les musiciens du monde lorsque je saisis ma guitare. On a oublié qu’il existe en Afrique une musique classique véhiculée par les griots.
- Pourquoi ce titre, «Television»?
Avant, chez nous, l’éducation passait par l’arbre à palabre. On échangeait. Dans les villes, les parents n’ont plus eu ce temps disponible. Maintenant, avec l’avènement de la télévision, tout le monde est dans le salon après dîner. Je me demande quel est l’impact de cet outil formidable dans la tête d’un enfant africain. On est bombardés d’images. Est-on conscient du message que l’on fait passer? La technologie va transformer l’Afrique. Mais, c’est bien l’Afrique qui est notre futur.
0 Commentaires
Participer à la Discussion