PLEIN SUD - Diouf et Wade

« Abdou Diouf coupe court à la rumeur », nous dit Aïssatou Fall, correspondante permanente de Sud FM à Paris. L’ancien président de la République, actuel Secrétaire général de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF) met fin à la rumeur, savamment distillée par qui avait intérêt, de son improbable candidature aux élections présidentielles et législatives de février 2007. Abdou Diouf, successeur de Léopold Sédar Senghor et prédécesseur de Me Abdoulaye Wade, a toujours été partisan d’un exercice pacifique du pouvoir et d’une gestion méthodique et organisée des hommes. Vous ne l’entendrez jamais imposer ni édicter un commandement à un subordonné, ni à quiconque lui doit sa position. Sa posture habituelle est la concertation et le dialogue. Ses phrases favorites commencent ainsi: « j’aimerais, je souhaiterais, vous serait-il possible, pensez-vous, pourriez-vous s’il était possible… ».

Avant toute action, il prend le temps de la réflexion, pesant le pour et le contre, sollicitant l’avis et l’expertise de personnes habilitées. On lui a reproché cette lenteur à agir qui peut sans doute agacer les va-t-en-guerre. Mais ce n’est que l’expression de la sagacité d’un homme posé et connaisseur du genre humain. Mais surtout, Diouf est un homme d’Etat qui accorde sa confiance une fois pour toute. Il n’est pas question pour lui de douter de son homme de confiance, ni de peser sur la conscience de ses collaborateurs ou de pinailler sur des détails mineurs. Comme il a l’habitude de le paraphraser, de deux hypothèses il choisit délibérément la meilleure, la plus positive. Avec lui, le verre est à moitié rempli. Sa bienveillance, son calme et sa courtoisie lui assurent couramment le succès dans sa vie professionnelle. Pas d’éclats de voix, pas de mots déplacés ni de passage au savon. La sérénité et la sobriété de Diouf déteignent sur ceux qui travaillent avec lui.

Son style sobre frise l’austérité. Son naturel affable et raffiné met en exergue sa personnalité policée. Non seulement Diouf fait confiance, mais surtout il écoute. Sa capacité phénoménale d’écoute et sa patience infinie déroutent. Ses interlocuteurs sont souvent surpris de la qualité de son écoute et de l’intérêt qu’il porte à leur discours. Mais gare à son regard doux et résigné qui en dit plus long qu’il ne veut dire. Ses grandes mains s’agiteront légèrement et sa longue silhouette bougera imperceptiblement. Cependant, ses colères sont homériques parce que froides et rares.

Une fois sa décision prise, rien ne le fera revenir en arrière. Il l’appliquera en toute conscience, même si son plus proche collaborateur lui en a auparavant exprimé les aspects négatifs. Son extrême courtoisie lui fait tenir un mot gentil pour les uns et les autres. Diouf est fidèle en amitié, même au-delà de la mort. Les enfants de ses amis sont assurés de son soutien et de son affection particulièrement. Son attachement à son ami et ancien Premier ministre a surmonté les épreuves du pouvoir.

Sa fidélité englobe aussi le respect de la parole donnée en toutes circonstances. Il l’a dit, il le fait. En politique, il s’est engagé à assurer la fiabilité du processus électoral. Il l’a fait en le confiant à un général hors du jeu partisan. Il s’est engagé à respecter le verdict issu des urnes. Il l’a fait et même au-delà. Il a pris l’initiative, dans le secret de sa conscience et de son cabinet, d’appeler dès le lendemain le vainqueur et de reconnaître sa victoire sans appel. Il a fait montre d’un esprit républicain et d’une élégance rares pour ne pas dire inexistantes dans l’arène politique. Mieux, il s’est complètement effacé après sa défaite, mettant cinq mille kilomètres entre son successeur et lui, entre ses militants et partisans du Parti socialiste et lui, pour ne pas gêner le nouveau président de la République comme il s’y était par ailleurs engagé. Depuis, il ne rate aucune occasion de se montrer sous le meilleur jour possible pour le régime libéral en se montrant à Dakar le moins possible.

Le dernier acte qu’il vient de poser en démentant une nouvelle fois une volonté de revenir au pouvoir est une suite logique et l’expression de la cohérence de sa démarche. Le pouvoir au sommet est une page de sa vie définitivement tournée, nous transmet la correspondante de Sud FM. Après quarante ans d’une vie politique et administrative couronnée par 19 ans de magistrature suprême, Diouf a d’autres priorités et un immense besoin de se consacrer à sa vie personnelle. Il a assez donné à l’Etat et à la nation sénégalaise. C’est son option: il est passé à autre chose. Cela ne signifie point qu’il s’est détaché du pays et qu’il ne s’intéresse plus au sort des Sénégalais. Il continue de le faire dans une neutralité agissante. Cela ne signifie point non plus qu’il est devenu un aficionado de Me Wade, notre président bien aimé et de son parti. Penser cela, le déduire de son comportement courtois et républicain lors de la cérémonie de remise du Prix Houphouët-Boigny pour la Recherche de la Paix à l’UNESCO, c’est faire fausse route. En dehors de son caractère bienveillant, en dépit des excellentes relations que Me Wade et lui entretiennent, Diouf n’oublie certainement pas que tous ses enfants, à l’exception d’un, habitent et travaillent au Sénégal. Toutefois, les deux hommes se voient assez régulièrement, parfois en présence des enfants de Diouf et leurs relations sont empreintes de courtoisie et de téranga. Cela s’arrête au plan humain. Il n’y a pas de collusion politique entre les deux anciens adversaires.