Au-delà des réactions sensationnelles, du tollé général et des dénonciations quasi unanimes qu'a soulevé la dernière sortie du Ministre Cheikh Oumar Diagne sur la célébration de la mémoire des Tirailleurs sénégalais, il y a lieu d'examiner aussi un peu plus en profondeur et avec moins d’enthousiasme et de passion les propos incriminés. Cette sortie, déplorée par une grande partie de la population considère en effet les tirailleurs comme des « traitres » à la solde de la France coloniale contre les intérêts africains. Et Paradoxalement, elle intervient quasiment juste quelques semaines après la célébration en grande pompe au cimetière de Thiaroye le 1er décembre dernier du 80e anniversaire de ce drame colonial, offrant ainsi en exemple à la postérité les tirailleurs sénégalais.
Faut-il célébrer ces soldats de la France coloniale comme des héros africains ? les tirailleurs sont-ils des acteurs ou des victimes de la colonisation ? ou encore de façon plus brute des traitres ?
I. Le tirailleur sénégalais : un outil de la colonisation ?
Le Tirailleur sénégalais, un bras armé de la métropole pour asseoir la colonisation ?
Le BTS (bataillon des tirailleurs sénégalais) a été créé par décret impérial de Napoléon III (neveu de Napoléon Bonaparte) le 21 juillet 1857. Cependant c’est Faidherbe, gouverneur du Sénégal de 1854 à 1861 et de 1863 à 1865, en bâtisseur qui mit concrètement en place le BTS et peaufina son utilisation stratégique pour mener les conquêtes. Et à ce titre il faut bien reconnaître que les tirailleurs sénégalais ont été le bras armé qui a aidé à mener les exactions sur les populations africaines, à détruire nos royaumes et à combattre nos résistants.
Le Tirailleur sénégalais, une force coloniale de répression de la marche vers l’indépendance ?
Les tirailleurs ont combattu aussi au côté de la France coloniale comme des bourreaux contre les peuples africains et asiatiques en Algérie et en Indochine alors en lutte pour l'indépendance. Ils ont été cités dans de nombreuses exactions à Madagascar en 1947.
Vu sous cet angle, on pourrait comprendre le sens du débat soulevé par Cheikh Oumar Diagne.
Toutefois, faudrait-il pour autant aller très loin en les qualifiant tous de traîtres et au service de la France uniquement ?
Les conditions de leur recrutement, leur mobilisation, leur motivation sont en en effet très complexes et ont varié durant les époques. Au début, le BTS recrutait d’anciens esclaves qui cherchaient à s’émanciper de leur condition servile mais bien d’autres recrues ont vite rejoint les rangs : des fils d’otages capturés lors des campagnes militaires et enroulés de force ; des volontaires attirés par le prestige, l’aventure et l’espoir d’une vie meilleure (fuite de la pauvreté, promesse de terres) ; des repris de justice préférant l’armée à l’emprisonnement ; des engagés pour la liberté de la métropole et/ou pour le monde libre durant les guerres mondiales, pour l’amélioration du statut des colonisés…
Du coup, certains les voient comme des victimes et/ou des collaborateurs mêmes du système colonial.
II. Le Tirailleur sénégalais entre héritage controversé et contradiction apparente
Le Tirailleur une victime de la colonisation ?
Le tirailleur est donc un soldat français au service de la France et qui dans le cadre de sa mission de soldat à participer à la pacification des empires précoloniaux et à la répression des revendications nationales.
Mais la question fondamentale à se poser est la suivante : avaient-ils aussi pas le choix de leur engagement ? N’ayant pas forcément le choix de son enrôlement et de sa mobilisation, ce pauvre soldat peut-il être considéré comme un collaborateur ou serait-il une victime pure et simple du système colonial ?
Le tirailleur peut être considéré comme un héros par la France car ayant combattu pour la France. D’ailleurs, beaucoup ont reçu la fameuse distinction « Mort pour la France ». Leur implication dans les raids pour abattre les empires précoloniaux et dans les exactions contre les populations africaines et asiatiques surtout en lutte pour leur émancipation ont quelque noirci le tableau et certains voient en eux des traitres ou des collaborateurs du colon.
Le tirailleur un héros africain ?
Sur un autre plan, il est évident que les tirailleurs sénégalais ont largement contribué à la marche vers l'indépendance des colonies. Certains tirailleurs, quand bien même soldats français, ont fait le choix difficile de l’attachement à leur colonie d’origine face à la loyauté à l’armée coloniale. Certains tirailleurs ont déserté les rangs pour soutenir les mouvements d’émancipation et les anciens combattants revenus de la guerre ont contribué souvent à la démystification du mythe de l’homme blanc et de son invincibilité. Beaucoup d’anciens combattants ont animé des mouvements de revendication nationaliste dans les colonies au lendemain de la seconde guerre mondiale. En ce sens, ils sont perçus comme des héros africains. D'autant que certains se sont engagés au moment de la guerre pour venir au secours de la métropole, pensant ainsi lutter en même temps pour l'indépendance de leurs peuples.
III. Le massacre de Thiaroye : un devoir de mémoire et une nécessaire interrogation critique de notre histoire
Thiaroye 1944, un devoir de mémoire
Ce qui est par contre fondamental dans ce débat c'est d'inscrire l'épisode de Thiaroye dans les massacres coloniaux à l'image de celui de Sétif en Algérie ou de Haiphong en Indochine.
Le contexte historique, faut-il le rappeler surtout, c'est cette France qui ne voyait pas bien souffler cette immense vague de décolonisation actionnée par l’émergence du Tiers-monde comme force politique, l’éveil du nationalisme avec l’émergence d’une élite nationaliste dans les colonies contestant l’ordre colonial injuste, les impacts de la guerre mondiale mais aussi de la guerre froide suscitant l’anticolonialisme des États-Unis et de l’URSS et l’action anticolonialiste de l’ONU. Cette France qui manquait alors de réalisme politique a voulu s'entêter à maintenir son empire colonial en usant de menaces et de massacres, comme à l'accoutumée. Malheureusement, elle va en faire les frais et par conséquent avec les défaites coloniales en Algérie et en Indochine, elle va faire le virage à 360° pour la décolonisation pacifique.
Et l'épisode de Thiaroye mérite d'être enseigné pour réviser justement le contexte politique et social de l'époque, le rôle de l'Afrique dans la Seconde Guerre Mondiale, le drame colonial, l'ordre colonial et la marche vers l'indépendance en dépit des entraves posées par les métropoles Et à l'image de tous les massacres coloniaux, Thiaroye a contribué à accélérer la lutte pour l'émancipation des colonies.
Toutefois, l'ordre colonial ne s'est pas estompé avec le massacre colonial de Thiaroye. Il y aura Sétif bien après, le 8 mai 1945, mais aussi le bombardement de Haiphong en1946.
Ceux qui ont été massacrés à Thiaroye constitue le premier contingent de démobilisés de la guerre en un moment où l'issue de la guerre semble certaine et en France on prône le blanchiment des troupes. Il fallait en quelque sorte faire peur pour éradiquer toute tentative de rébellion future des autres contingents qui devaient suivre.
Cependant bien après cet épisode de Thiaroye, l'aventure coloniale a continué et des tirailleurs sénégalais ont été envoyés en Algérie contre le FLN de 1954 à 1962 mais aussi en Indochine de 1946 à 1954 contre HochiMing. Même pendant les manifestations pour l'indépendance à Madagascar des tirailleurs sénégalais ont été mobilisés.
On ne peut pas par contre dire que ceux qui ont été assassinés à Thiaroye étaient ceux qui ont fait les sales besognes de la France dans l’empire colonial. Ils étaient des engagés pour la guerre qui ont été faits prisonniers par les allemands puis libérés et rapatriés en vue de leur démobilisation.
Une nécessaire interrogation critique de notre histoire
Cependant, même si le ministre Cheikh Oumar Diagne a été certes provocateur comme à son habitude, son mérite c'est d'avoir soulevé un débat profond et nécessaire sur notre rapport à notre histoire et à notre réalité, sur le regard critique par rapport à notre histoire.
Les faits ne doivent pas être contemplés en effet juste pour s'en réjouir. Il faut en effet une perspective critique, malheureusement dans nos pays beaucoup restent très conservateurs et se limitent à l'événementiel et au sensationnel.
Sans chercher à défendre qui que ce soit, je crois que Cheikh Oumar Diagne se veut un intellectuel au sens entier du terme, il dérange et bouscule les certitudes pour, justement à la manière de Socrate face aux Sophistes, nous emmener à questionner avec un regard critique notre histoire, notre société, notre réalité…
Abdoul Khafor Diop
Doctorant en histoire (Enseignant au Lycée Taïba ICS de Mboro)
18 Commentaires
Hé!
il y a 5 jours (20:18 PM)Apprenons à rendre notre temps productif.
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il y a 5 jours (20:36 PM)Reply_author
il y a 5 jours (20:51 PM)Reply_author
il y a 5 jours (22:23 PM)L'artiste
il y a 5 jours (21:01 PM)Senegalais
il y a 5 jours (21:02 PM)Anonyme
il y a 5 jours (21:34 PM)Jeunes
il y a 5 jours (22:10 PM)Discerner le vrai du reel…
Cela est certaine qu’il yavait des traitres partis nos tirailleurs, des victimes et des opportunistes
Jeunes
il y a 5 jours (22:10 PM)Discerner le vrai du reel…
Cela est certaine qu’il yavait des traitres partis nos tirailleurs, des victimes et des opportunistes
Jeunes
il y a 5 jours (22:10 PM)Discerner le vrai du reel…
Cela est certaine qu’il yavait des traitres partis nos tirailleurs, des victimes et des opportunistes
Jeunes
il y a 5 jours (22:10 PM)Discerner le vrai du reel…
Cela est certaine qu’il yavait des traitres partis nos tirailleurs, des victimes et des opportunistes
Reply_author
il y a 5 jours (09:44 AM)1 Des tirailleurs qui sous la contrainte et les ordres qui leur ont donné par les colons se sont attaqués à leurs frères africains
2 Des tirailleurs particulièrement ceux qui ont participé à la deuxième guerre mondiale et dont certains furent massacrés à Thiaroye qui en aucun cas ne peuvent être considérés comme des traîtres.
Tout ceci pour dire que il ne faut mettre tous les tirailleurs sénégalais dans le même sac.
Messieurs les Universitaires et Chercheurs on aimerait bien vous lire sur ce sujet
Le contexte d’occupation coloniale faisait de toute les populations des pays colonisés des citoyens et sujets du pays colonisateur, soumis aux lois et règlements. Tous étaient par conséquent assujettis au service militaire.
Il a dit une bêtise et il se croit intelligent en la disant
Passons à autre chose !
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il y a 5 jours (00:20 AM)Quand j'étais élève, on avait que le journal le Soleil comme source de documentation. Quand un article pareil y sortait; je le découpais et l'archivais quelque part pour le lire et relire. Et, il arrivait souvent qu'un sujet de dissertation semblait être tiré d'un des articles du Soleil que j'avais archivé. Et dans ces cas-là, j'obtenais toujours une très bonne note.
Je recommande vivement aux élèves qui préparent le BAC ou le BFEM de lire et relire pour le garder en mémoire ce texte si bien libellé d'Abdoul Khafor Diop car il se peut qu'on leur donne un sujet du genre; "Les tirailleurs sénégalais: Héros ou traîtres?"
M.k
il y a 5 jours (01:14 AM)Reply_author
il y a 5 jours (12:13 PM)Sont-ils des héros? Tu réponds à une question et tu laisses l'autre. Ils ne sont pas traîtres, d'accord et la suite...si c'était une dissertation, je te donnerai 7 sur 20. Car la réflexion c'est 3 mouvements à savoir: Thèse, antithèse et synthèse
Doyen
il y a 5 jours (11:30 AM)Vous être un intellectuel utile pour votre société.
Bon courage et bonne continuation
Kane Ibrahima
il y a 4 jours (20:36 PM)Participer à la Discussion