Qu’est-ce donc que le sida ?
Comment s’attrape-t-il ? Comment se prémunir contre cette maladie ?
Des questions dont tout le monde (presque) connaît les réponses ; mais des questions toujours à l’ordre du jour, tellement on est encore confronté à ce fléau ! C’est comme si on ne savait pas comment l’éviter ?
Il était une fois…, non, il était plusieurs fois… (puisque le sida continue de progresser) un homme qui avait une épouse, une très belle épouse.
Cet homme, d’une piété affichée et déclarée, n’arrivait cependant pas à être fidèle. Il n’était pas homme à se suffire d’une femme, comme on aime souvent le dire ! Il lui fallait fréquenter d’autres femmes, et de préférence des femmes divorcées ou veuves avec qui il pouvait s’adonner à ces activités extra muros avec toute la précaution possible, mais aussi avec toute la discrétion nécessaire.
Ces activités, il les menait et tout se passait pour le mieux du monde pour lui et pour son entourage jusqu’au jour où sa femme légale lui donna un enfant.
Ce bébé qui est né visiblement avec un bon état ne tarda pas à manifester des signes très inquiétants au bout de quelques semaines. Et cet état de plus en plus affligeant ne faisait qu’empirer jusqu’au jour où le médecin traitant voulut parler au père de cet enfant.
Ce jour-là, ce père de famille ne comprit point pourquoi le médecin du centre de santé voulait le voir. Lui qui ne mettait que rarement les pieds dans cet endroit. Lui qui n’avait jamais été dans ce lieu où cependant se rendait fréquemment sa femme depuis la naissance de leur rejeton.
Cependant, il n’eut pas de mal à se convaincre à juste titre que ce devait être en relation avec la maladie de son jeune garçon de quelques mois.
Devant le médecin, ce dernier lui posa des questions qui l’intrigua au plus haut point. Pourquoi le médecin me pose-t-il ces questions à la limite de l’indécence, se demanda-t-il ? Pourquoi me posait-il des questions sur ma sexualité, continua-t-il à se questionner ?
Après cette interrogation orale, le médecin lui demanda à lui et à sa femme de faire des analyses sanguines et de revenir le voir quand ils auront les résultats.
Hélas, ces analyses, il ne les fera que quatre ans après !
Il n’avait pas voulu les faire et il dissuada sa femme de le faire. Mais, cette dernière, à son insu et sous la douce pression du médecin les fît, et le verdict fut sans appel !
Affolée par la nouvelle, elle retourna chez elle avec une agitation difficile à dissimuler. Et il lui a fallu un effort surhumain pour se contenir jusqu’au retour de son mari de la mosquée à qui elle livra la nouvelle avec un air pathétique. Elle sanglota si fort que l’on croyait que c’était des râles. L’entourage crut tout simplement que c’était là encore une énième dispute conjugale. On commençait à s’y habituer. Sauf que cette fois-ci, pour qui savait prêter l’oreille et lire les émotions, il y avait là quelques choses de plus grave que ça. Et ce fut alors la dernière dispute. Ils divorcèrent lamentablement. Mais, puisque c’était un mariage endogamique, le linge sale se lava en famille et rien ne filtra des causes de ce divorce. Pour tous les autres, cela est du à une incompatibilité d’humeur, ni plus, ni moins. Et ce d’autant plus que depuis le début, aucun des deux conjoints ne voulait de ce mariage. Il résultait de la volonté des parents, et surtout du père du mari. Il croyait bien faire, hélas, sept fois hélas !
Ils divorcèrent donc et chacun partit de son côté.
Le petit garçon, de plus en plus, faiblissait. Lui, qui depuis sa naissance, était un abonné du kwashiorkor, avait des boutons partout sur son corps. Il ne lui restait plus qu’une grosse tête que le reste du corps avait du mal à supporter. Il lutta comme il put, mais quelques semaines après le divorce de ses parents, il succomba à sa maladie.
La femme fut inconsolable et ne s’en remit jamais. Avec le décès de cet enfant, son enfant, elle entra dans un mutisme total. Plus rien ne l’intéressait. Si bien que contre cette maladie qu’elle couvait déjà, elle se laissa aller. Au bout d’une année, elle succomba, elle aussi, à son tour. Elle emporta dans sa tombe à l’âge de 24 ans à peine cette terrible maladie, d’autant plus terrible qu’elle est entretenue dans une discrétion très sournoise. On n’en parla jamais !
L’enfant est parti, la femme aussi, on allait tourner la page.
Cependant, ça n’allait plus fort entre les proches de ces deux ex-conjoints de la même famille. Dans leur fort intérieur, ils savaient bien, même s’ils se taisaient bien. La famille de la femme souhaitait et priait en silence pour que le Dieu vengeur veuille bien sévir contre ce mari volage, ce mari rapace.
Un homme avertit en vaut deux dit-on ! Mais, qu’est-ce qui fait que malgré tout, on continue généralement de faire comme si de rien n’était ?
Notre monsieur n’échappait point à cette règle, au contraire, il continuait de plus bel. Il fréquentait toujours ces femmes (d’âge mûr ?) divorcées ou veuves, parce que selon sa logique il y aurait toujours plus de discrétion et de prudence.
Et il refusait toujours de faire son test de dépistage. Et il continuait malgré tout de fréquenter assidûment la mosquée.
Un jour, au niveau de la mosquée qu’il avait l’habitude de fréquenter, s’était tenue une réunion où l’on discutait de l’attitude à prendre devant ces activités de plus en plus récurrentes dans son bled et visant en même temps à faire la promotion de la femme et à voir comment lutter contre le sida et toutes les formes de mutilations génitales féminines.
La discussion, si discussion il y avait, fut houleuse, et elle tourna très vite en diatribes contre tous ces mouvements qui selon leurs dires, ne visent en fait qu’à pervertir la société en passant par les couches les plus vulnérables : les femmes et les jeunes.
Notre bonhomme, un monsieur très imbu de sa personne, ne ratait jamais ces genres d’occasion pour se mettre au devant de la scène. Et son discours fut des plus virulents !
« Comment se fait-il que des gens qui se disent musulmans peuvent-ils se laisser entraîner dans ces considérations en porte à faux avec les directives de l’islam ?
Comment se fait-il que l’on en soit arrivé à un tel point de bassesse sans réagir ?
Pourquoi devrions-nous nous laisser entraîner par ses suppôts de l’occident ; occident qui ne cherche en fait qu’à mettre à genou notre religion ; ces toubabs, ces dégénérés de tous acabits ont fini de se pervertir et ne cherchent qu’à nous entraîner dans cette déchéance morale ?
Gardez-vous mes frères et sœurs en l’islam, mes parents de vous laisser entraîner !
Notre religion nous enseigne que la femme ne peut être que derrière l’homme. Elle nous enseigne qu’il faut nous éloigner de toutes les formes de turpitude. Notre prophète n’a jamais interdit l’excision, pourquoi devrions-nous l’abandonner, d’autant que l’on sait que ce qu’ils disent à propos de celle-ci, n’est que purs mensonges !
Pourquoi nous fatiguent-ils avec toutes ces histoires alors que nous ne leur avons rien demandé ? Ils disent vouloir nous aider, alors qu’ils ne font que se remplir les poches sur le dos des miséreux ! Depuis le temps qu’ils viennent nous voir, rien, que dal, sauf des réunions, des enquêtes à n’en point finir ! Ca suffit maintenant !
Ils nous tympanisent avec cette maladie qu’ils appellent sida, mais ce sida-là, nous tous nous savons que cela ne s’attrape que par la turpitude dont ils se trouvent d’ailleurs être les champions. Ils forniquent à gauche et à droite, dans les télévisions, jusqu’à pervertir notre jeunesse, et maintenant ils veulent s’attaquer à nos femmes ! Mais, qu’attendons-nous pour les bouter dehors ? Wassalam ! »
Voila qu’il a fini de s’épancher et voilà qu’il continue sa vie de tous les jours.
Quelques mois après le décès de son ex-femme, il allait convoler en noces avec une femme qui était déjà mariée et qui vient de divorcer pour incompatibilité d’humeur.
Il passa de torrides nuits avec elle pendant plusieurs mois avant qu’il ne commença à se plaindre de maux de tête intempestifs.
Fidèle à lui-même et à la médecine traditionnelle, il entreprit de prendre des décoctions nocturnes et à se serrer la tête avec un ruban rouge les journées. Mais, rien n’y fit ! Maintenant, de plus en plus il avait des fièvres et des diarrhées très exaspérantes. Cela le gênait tellement qu’il commença à faire chambre à part et à porter des couches à la manière d’un petit enfant !
Au bout de quelques semaines, voyant qu’il dépérissait à un rythme effréné et constatant que son état ne s’améliorait pas, il décida de partir consulter un guérisseur qui était à des centaines de kilomètres à l’opposé de son terroir. Là-bas aussi, il n’y resta que quelques jours avant de se décider enfin d’aller à Dakar pour aller se faire consulter par un médecin qu’il connaissait un peu, parce qu’étant un parent plus ou moins éloigné. Tout cet itinéraire thérapeutique ne manqua pas de le laminer considérablement.
Ce médecin n’eut pas de peine à comprendre ce qui se passait réellement, mais lui demanda malgré tout et avec beaucoup de tact d’aller faire le dépistage.
Notre monsieur n’eut pas la force de refuser quoique ce soit. Et malgré son état très piteux, il ne soupçonna rien ! Le sida n’arrive qu’aux toubabs, qu’aux autres !
Un vendredi, après deux semaines, il alla prendre de lui-même les résultats de l’analyse qu’il achemina au médecin. Ce dernier, au vu de ceux-ci, ne fut point surpris, mais éprouva beaucoup de peines à les lui communiquer. Il lui demanda alors de revenir une toute prochaine fois. Trois jours après, profitant d’une petite amélioration physique, il retourna à l’hôpital, mais c’était pour entendre l’impensable.
- Cher parent, je ne sais comment vous le dire …, je suis vraiment désolé de vous apprendre que vous avez le sida…
- Qui ça ? Moi ? Menteur, tu ne sais rien ! Moi, avoir le sida, tu es devenu fou ? (il y eut un moment de silence glacial, entrecoupé de sanglots et d’éclats de rire très pathétiques.)
C’est avec cet état très bouleversant qu’il sortit du bureau du médecin. Quelques pas dehors, il demanda de l’eau. Pour s’asperger, pour faire ses ablutions, pour se purifier, pour prier ?
Au contact de l’eau, il laissa sortir un profond et vieux soupir accompagné d’une interjection: « Dieu tout puissant ! ».
Mamadou Moustapha WONE
Sociologue
BP : 15812 Dakar-Fann
Sénégal
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