« La violence est le dernier refuge de l’incompétence »
Isaac ASIMOV
On ne rit pas du malheur des autres, mais ce qui est arrivé à Abdoulaye Wade est bien mérité. Depuis une semaine, il déploie une impressionnante armée à travers le monde, pour débusquer tous les malins arabes qui voudraient lui faire le coup de ne pas venir à son sommet. Certains lui ont fait la promesse de venir à Dakar. Mais dans un pays où l’on tabasse les musulmans dans les mosquées parce qu’ils protestent contre l’homosexualité, tenir des engagements de ce genre relève d’une prouesse mystique. L’Anoci est, convenez-en, un grand cirque. Mais ravalez vos sarcasmes. Parce que cette fois-ci, Wade ne s’est pas fâché contre n’importe qui. Après Idrissa Seck et Macky Sall, voici venu le tour de Karim Noeh Wade, le seul rescapé du déluge de déception et d’incompétence qui s’est abattu subitement sur le Sénégal. Oui, vous avez bien lu Karim Wade. Celle-là, il ne la racontera jamais en public. Mais quelle souffrance ! Presqu’en rasant les murs, le président de la République est allé taper aux portes d’Ankara, pour convaincre le maximum de chefs d’Etat de sa noble mission familiale. Une autre mission à Tunis, une autre à Casablanca, une autre à Abu Dabi, une autre à Ryad, une autre à Koweit City, pour sauver le même Karim Wade.
La douleur est si grande que Wade, inconsolable, avoue qu’en tant que fils d’un tailleur saisonnier ayant appris l’écriture sur le tas, il faisait mieux que Karim Wade quand il avait son âge. Le président peste à l’idée de faire à son âge de longs voyages inutiles, parce que Karim Wade a été incapable de ramener la moindre promesse ferme de ses nombreuses missions. Au moment du bilan, les rencontres, les voyages de responsables de l’Anoci, les jets privés auront coûté presqu’autant que les chantiers de l’Anoci, sans aucun résultat. Mais bien avant le branle-bas de cette semaine qui a conduit plusieurs délégations un peu partout dans le monde, maitre Wade a passé beaucoup de temps à présider des réunions de l’Anoci au palais de la République. Il entendait ainsi, comme il le crache à la figure des « préparateurs » du sommet, « reprendre les choses en main ». A trois semaines de l’organisation du sommet, pas le moindre édifice lié aux chantiers n’a été réceptionné, au point où dans l’entourage du chef de l’Etat, des collaborateurs avertis se demandent « mais à quoi bon les appeler les chantiers de l’Anoci ? » L’hôtel qui devait accueillir les délégations de haut niveau, le Sea Plaza, n’est pas prêt, pas non plus la route qui devait mener à l’aéroport, alors que le budget de l’Anoci, gélatineux comme jamais, a été encore revu à la hausse pour la troisième année consécutive.
Le président de la République a beau aimer son fils et vanté ses compétences, il a fini par écarquiller les yeux. L’un des ouvrages qui devait être réceptionné au début du mois de janvier, le tunnel de Soumbédioune, n’est pas encore prêt, et la question se pose de savoir s’il ne serait pas aventureux de bâcler le travail d’un édifice aussi complexe, juste pour « inaugurer ». L’ouvrage a coûté, à lui tout seul, 8 milliards de francs Cfa, soit un milliard de plus que le stade de l’amitié, tenez-vous bien !
Dans l’entendement du président de la République, il n’y a plus de tabou dans l’ordre des comparaisons. Comment se fait-il donc que les chantiers de la Corniche, longs de 10 kilomètres seulement, coûtent trois fois plus cher que les chantiers de toute la ville de Thiès, avec sa voie de dégagement de 11 kilomètres ? L’audit des chantiers par l’IGE va dans ce sens. Si les chantiers doivent être audités, Wade voudrait que ce soit fait maintenant, plutôt qu’après lui.
Mais le plus atterrant, c’est que les visites répétées de Karim Wade, qui a rencontré tous les grands chefs d’Etat arabes en jet privé muni d’une lettre de recommandation de son père, n’aient servi à rien. Si Abdoulaye Wade n’avait pas mis son boubou et pris la direction de Rabat et de Ryad à la fin de l’année 2007, nous aurions eu encore pire, des chantiers de l’Oci sans Oci. Parce que dans le domaine de la diplomatie aussi, la mégastructure de Karim Wade s’est substituée au ministère des Affaires étrangères, à un tel point que certains parient sur le départ de Cheikh Tidiane Gadio dès après le prochain sommet. Le président de la République a tout de même été obligé de confier aux Affaires étrangères l’organisation du sommet. Quatre années pour rien. Et au bout, le choix incompréhensible de payer six milliards de nos francs, soit un milliard par jour, pour des bateaux de location. C’est donc le contribuable sénégalais qui paie pour les erreurs du fils du président de la République. Un ami me faisait remarquer hier qu’avec un tel montant et une bonne planification, le Sénégal aurait pu se construire un hôtel de luxe, l’équiper en entier, et offrir le séjour complet aux délégations qui viennent au sommet
Ce qui donne un aspect tragique à cette aventure familiale, c’est qu’avec beaucoup moins d’infrastructures, quelques fonctionnaires du ministère des Affaires étrangères ont organisé le premier sommet de Dakar, considéré à l’époque comme un succès. La preuve de cet échec, c’est que Wade soit obligé d’appeler l’ancien ministre des Affaires étrangères d’Abdou Diouf, Djibo Kâ, pour sauver le sommet de l’ingénieur-spécialiste-en-génie-financière-ami-des-rois-arabes du naufrage. L’actuel ministre de l’Environnement s’est même permis quelques leçons d’humilité, en expliquant comment, avec un peu de moyens et en peu de temps, ils avaient organisé un bon sommet. Karim Wade et sa clique en sont à leur quatrième année, et toujours des animations 3D que les coréens leur vendent à deux millions l’unité de rêve.
Il y a eu, à la base, un vrai problème dans le choix des hommes. Abdoulaye Baldé a été nommé directeur exécutif, donc patron de cette superstructure. C’est lui qui signe, mais les décisions relèvent naturellement du vrai patron, le fils du président de la République. Un peu comme si le PCA d’une société donnait des ordres à la place du Directeur général. Karim Wade n’ayant aucune expérience ni en administration ni en gestion, l’affaire a fini en eau de boudin. Il donnait un ordre le lundi, un ordre contraire le mardi ; ordonnateur et administrateur des dépenses en même temps sans être vu, encore moins connu. Une démarche très intelligente, puisque si demain cette grossière affaire devait être auditée, on ne verrait nulle part la trace du fils du président. Il ne signe rien, mais il décide de tout et fait un peu de tout. Naturellement, il faudra tirer les conséquences politiques d’un tel échec. Le président de la République avait sérieusement envisagé un retrait progressif de la scène politique à partir du mois d’avril, au profit de son fils. L’intronisation de Karim Wade devait se faire à partir de cette date, après la présentation des ouvrages de « dernière génération » au monde entier. Parallèlement à la préparation du sommet, des moyens colossaux ont été déployés, pour gérer l’aspect social et politique de l’après sommet. Financement des Asc, des mouvements de femmes, titres fonciers pour les dignitaires lébous, pèlerinages pour tous les petits marabouts, recrutements massifs dans les rangs du Pds... Aucun des plans prévus n’a vraiment marché, et beaucoup promettent une raclée électorale au pouvoir, si Karim Wade s’aventurait à se présenter dans une quelconque circonscription de Dakar ou de sa banlieue. Les Sénégalais sont réticents, et c’est tant mieux si Wade en prend conscience. Son fils est resté malgré un grand déploiement de soutiens à travers le Sénégal, ce garçon distant qui parle quelques mots wolof avec un petit accent parisien, regardant les sénégalais du haut de son mètre 90. Il s’ajoute un contexte économique et social que le président de la République, comme un lanceur de fumigène, voyait tout en lumières, et qui est un cauchemar pour tous. Il s’en faut de peu, pour que le Sénégal lui explose dans les mains. Les services de renseignement se demandent quand, mais tout le monde est convaincu qu’après les mirages de l’Oci, si les Sénégalais voient que rien n’a changé, ils sortiront dans la rue à la moindre occasion. Ce n’est pas Karim Wade qui a perdu son rêve, c’est Abdoulaye Wade qui ne fait plus rêver. Sans dire qu’il ne se retire plus pour laisser la place à son fils, le président déclare à ceux qui trouvent qu’il doit organiser la transmission du pouvoir et aller se reposer, qu’il prendra le temps nécessaire. Il attend une autre grande porte pour sortir. Le sommet de l’Oci était son dernier espoir. C’est pour lui qu’il s’est maintenu vaille que vaille au pouvoir, en espérant se retirer la tête haute et nous fourguer son fils. C’est encore foutu !
SJD
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