« Les hommes, il ne faut pas s’en étonner,
paraissent concevoir le bien et le bonheur
d’après la vie qu’ils mènent »
ARISTOTE
S’il n’y avait pas les Alpes qui se dressent devant lui, Abdoulaye Wade verrait, de l’autre côté du massif central, les gaietés de son poulain. Il y passe des jours tranquilles, loin des débats qui agitent l’opinion. Il va y fêter ses 48 ans. Il y a 4 ans, presque jour pour jour, Idrissa Seck s’est fait rappeler de vacances d’autorité. Le président de la République avait alors signé un décret, resté sans suite, qui imposait aux ministres des vacances à domicile. Les pluies torrentielles avaient détruit des récoltes un peu partout, et causé la mort de plusieurs personnes. Ce ne sera certainement pas le cas cette année. Un de ses conseillers, venu le consulter pour reprendre sa carrière abandonnée, s’est vu rassurer : « retourne, et attends-moi. Nous allons reprendre le pays, et nous allons gouverner ». C’est une assurance qu’il tient d’instinct, « maître Wade n’en peut plus ». Il n’y aura ni poursuites sur les chantiers de Thiès, ni poursuites sur les fonds politiques. Les gardiens du temple qui poursuivent inlassablement leur voleur devront s’arrêter de courir, au risque de se perdre. Dans un conflit personnel de ce genre, les grandes idées n’ont jamais été d’aucun poids. Même la République est mise en attente, pour rendre possible ce grand retour.
Adjibou Soumaré a été prié de ranger ses cartons et son discours de politique générale qu’il a préparé pendant de longues nuits sans sommeil, en attendant le vrai patron. Le 03 septembre, les chiens de chasse se mettront en position accroupi pour lécher les bottes de leur vrai maître.
On a longtemps disserté sur les relations filiales entre Abdoulaye Wade et Idrissa Seck. C’est très vrai. Mais Idrissa Seck n’a jamais été le fils, il a toujours été le père. C’est une grande différence, et un élément majeur dans la compréhension de la relation entre les deux hommes. Wade n’a en réalité, jamais su passer au-dessus de cet homme, jamais rien pu décider, sans en référer à lui. Il n’a jamais eu d’autre pensée que celle d’Idrissa Seck, qui lui a toujours prêté son cerveau. Ceux qui ont partagé l’intimité des deux hommes le savent. Mara a toujours porté l’agenda officiel. C’était lui la stratégie, c’était Wade les petites combines. Il a toujours dit quand il faut entrer au gouvernement, quand il faut en sortir, quand il faut négocier avec Diouf, quand il ne faut pas. En avril 2004, c’est le président de la République qui s’est révolté, en disant « tu ne me dis plus qui je dois nommer et qui je ne dois pas nommer, tu ne gardes plus l’argent que je dois dépenser ». C’était une révolution qu’il a fallu préparer, et tenir les murs du palais qui menaçaient de s’effondrer. Wade l’a toujours supplié, « s’il te plait, ne pars pas. Même la rue qui nous sépare, je ne peux pas la supporter ». Il a tenté une révolte, quand Idrissa Seck a quitté le palais, mais elle n’aura duré que trois années, sur un compagnonnage dit de 30 ans !
Evidemment, s’ils se sont entendus si bien, c’est qu’ils ont une structure mentale juxtaposable, il n’y a pas de doute. Wade disait toujours qu’Idrissa Seck pouvait entendre ses pensées. Ils ont toujours fait la politique avec une machine à calculer.
Dans cette opération, il n’y a qu’Idrissa Seck qui intéresse Wade, et il va sacrifier tous ceux qui refuseront d’adhérer à son projet, il faut qu’ils se le tiennent pour dit. Il n’y a personne, parmi ceux qui étaient partis pour une raison ou pour une autre, qui ait été contacté ou mis à contribution : ni Ousmane Ngom, ni Serigne Diop, encore moins Jean Paul Dias, « l’aîné » qui réclame le port du calumet. Le président de la République a d’ailleurs isolé tous ceux qui pouvaient s’opposer à son projet, il ne les consulte plus. C’est pourquoi, cette idée d’un grand parti n’existe que dans la tête de certaines personnes. Elle n’ira nulle part, parce que son géniteur n’y croit pas un seul instant. Le Pds est le seul parti qui n’a pas réuni ses instances autres que son Comité directeur en 9 ans. Le dernier congrès de ce parti date de février 1998. Tous les congrès d’investiture ont été des réunions transformées. C’est donc un énorme bluff. Le seul projet qui existe est celui du pouvoir, et il est déterminé à coupler les ambitions de son fils à celles d’Idrissa Seck. L’idée qu’il a peur du Front Siggil Sénégal, de la rue, est tellement simpliste ! Parce que ce front n’existe que de nom. Ensuite, parce que, convenons-en quand même, la rue n’existe plus depuis le 19 mars 2000. C’est elle qui est au pouvoir, et depuis 7 ans, elle est du côté de Wade. C’est un mystère inexplicable, mais l’opposition n’a jamais réussi, ces dernières années, à rassembler plus de 200 personnes. C’est en partie dû à une paralysie congénitale, mais aussi aux prouesses techniques du président de la République. Dans la combine et la manigance, il a toujours été en avance sur son temps. Niasse s’apprête à partir, et Tanor Dieng. Il ne restera que la gauche Jack Daniels.
J’ai toujours soutenu dans ces colonnes, parfois dans une solitude absolue, que le boycott des législatives était une bêtise monumentale. Je commence à avoir des adeptes. Ce n’est pas dans les municipalités que la résistance va s’organiser. Ce sera un moindre mal, mais c’est aussi reconnaître la légitimité, même tardive, d’Abdoulaye Wade et de la machine qui lui a permis de se maintenir en place. Il n’y aura aucune force institutionnelle, et la mise en place du Sénat le prouvera, pour s’opposer à son projet grandiloquent. Petit à petit, des pans entiers de ce mur qui s’est établi sur le chemin de son fils tombent les uns après les autres. Karim aura l’aval de Touba, et Idrissa Seck celui de Tivaouane. Il n’y aura aucune force institutionnelle organisée en face. C’est la triste réalité. Il y a des gens comme ça, chez qui la morale et les intérêts ont toujours fait bon ménage. Et c’est le cas de nos marabouts et de nos hommes politiques. Ils sont disposés à prendre leurs libertés avec le droit et la morale, quand il s’agit de défendre leurs petits privilèges.
C’est pourquoi, on peut jeter un caillou à Idrissa Seck. Son compromis est moralement inacceptable. Mais le lapider, non. Il partage la responsabilité de cette faillite morale avec une société de la jouissance, qui croit que la fin justifie toujours les moyens.
J’ai vu le corps des magistrats et la société civile commencer à ouvrir les yeux sur ce qui relevait d’une évidence, le vol et la corruption qui gangrènent ce pays. Les architectes s’y sont mis à leur corps défendant. Mais c’est tellement trop tard ! Ce pays va à la dérive, et attend ses hôtels, ses autoroutes, son aéroport et sa Ville nouvelle.
Le président de la République a vanté les compétences, les mérites de son fils. Voilà que des doutes sérieux surviennent sur la viabilité, et même la sécurité des infrastructures de l’Anoci, et surtout, leur coût. C’est d’une évidence à crever les yeux. A six mois du sommet annoncé pour mars 2008 et plus de trois ans après la mise en place de l’Anoci, il n’y a ni hôtel, ni autoroute. Les arabes sont allés du côté de la Turquie, pour l’organisation du prochain sommet.
Des dizaines de milliards ont été dépensés sur 20 kilomètres de route, les mêmes accusations que pour les chantiers de Thiès. Mais Thiès, on n’en parlera plus. C’était une grosse fable. La migration aura bien lieu. Je regardais dimanche matin, un documentaire sur les gnous. Chaque année, le 09 août précisément, jour anniversaire pour Idrissa Seck, une grande colonie de gnous et de zèbres traverse une petite rivière. Abdoulaye Wade adore cet endroit magique, d’où viendraient selon lui, ses grands parents. La rivière est infestée de crocodiles, mais les gnous sont comme portés par un terrible instinct. Ils savent qu’une bonne partie sera happée par les crocodiles, mais il y a, de l’autre côté, les prairies verdoyantes du Seringuéti. Au péril de leur vie, ils se jettent à l’eau. Cette rivière dangereuse s’appelle « la rivière Mara ».
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