En régime démocratique, les gouvernants doivent en permanence, faire des «actions affirmantes» qui engagent la vie de la République : c’est un devoir de leurs charges de gouvernants. Pour éprouver leur souveraineté, les citoyens peuvent alors commenter ces actions : c’est leur droit.
En vertu de ce double principe, qu’il me soit permis un commentaire, décalé et impertinent, du communiqué de notre ministre des Affaires étrangères sur les deux ex-détenus de Guantanamo : hôtes encombrants et controversés. «Il y a trop de confusions et d’amalgames dans ce pays, où l’on s’échine à inventer, à travestir et à pervertir le sens et la portée de décisions de haute portée diplomatique et humanitaire.» Décidément, pourrait-on commenter : ce propos du chef de notre diplomatie n’a rien de diplomatique. Il est plutôt radicalement polémique, résolument politique, purement communicationnel.
De plus, il rajoute à la confusion, sans s’apercevoir qu’en règle générale, la confusion procède de la profusion. En effet, depuis l’annonce de la «réinstallation humanitaire» de deux anciens détenus de Guantanamo dans notre pays, nous sommes littéralement plongés dans une sorte de surabondance communicationnelle, partagée entre l’affirmation et la négation, les accusations, les démentis, les explications, les justifications. Et sur ce registre, ce sont nos dirigeants qui donnent le ton, en s’inscrivant dans le régime du paradoxe et de la surenchère.
S’efforçant tout à la fois, de porter l’étendard de la défense des droits humains, déployer un véritable Don Quichottisme anti jihadiste et soutenir les Etats-Unis dans leur volonté d’effacer de la mémoire collective les inqualifiables abus infligés aux présumés jihadistes dans les prisons américaines. Au demeurant, si la preuve est établie que ce sont des terroristes, rien n’explique que les Usa veuillent s’en débarrasser de la sorte. Rien ne justifie non plus que nos autorités les veuillent accueillir si chaleureusement.
De même, si ce sont de pauvres innocents, c’est à leurs bourreaux américains qu’il appartient de réparer ce préjudice historique, à leur pays d’origine de les accueillir et d’en faire, à nouveaux frais, des citoyens à part entière. Qui plus est, le ministre des Affaires étrangères nous renseigne qu’à Guantanamo, «(…) sont détenus sans jugement, des dizaines de personnes d’horizons divers, d’Asie et d’Afrique (…).» Diversité fort restreinte, circonscrite entre l’Afrique et l’Asie.
En vérité, après les avoir détenus dans des conditions inhumaines, traités comme des prisonniers sans droits, l’administration américaine en a fait aujourd’hui des apatrides dépossédés de leur identité territoriale. On les propose comme une marchandise, à des pays preneurs pour leur confectionner une nouvelle authenticité. Sans s’apercevoir que même libérés des rigueurs carcérales, la terre entière constitue désormais pour eux une immense prison à ciel ouvert, où paradoxalement, ils sont moins libres de leurs mouvements que dans les pénitenciers américains.
En vérité, ce que très diplomatiquement l’on nomme «réinstallation humanitaire», est pire qu’un emprisonnement. De fait, comme si le territoire américain n’était pas suffisamment vaste pour les accueillir, on les en expulse comme des pestiférés, pour mieux les réincarcérer. En effet, seulement 27 pays sur toute l’étendue de la terre, sont disposés à leur servir d’espace de «réinstallation humanitaire».
Le sentiment carcéral sera alors accentué par la réalité de l’exil. De sorte que si toute la planète leur était ouverte comme Terre promise, nulle part ailleurs que dans leur pays d’origine, ils ne pourront éprouver un sentiment patriotique véritablement authentique. En définitive, qu’avons-nous donc à gagner à nous encombrer d’un «fardeau» dont la très puissante Amérique cherche coûte que coûte à se désencombrer? Le chef du Département d’Etat américain en a lui-même fait l’aveu : «Nous employons tous les moyens possibles pour réduire le nombre de détenus à Guantanamo et fermer le centre de détention d’une manière responsable, qui protège notre Sûreté nationale.»
Cette préoccupation purement diplomatique et sécuritaire, les autorités sénégalaises l’expriment à travers un discours politique dont la raideur sémantique, la tonalité polémique et l’intention monolithique sont manifestes. «On politise les choses les plus sérieuses (…). C’est très grave et très dangereux pour la vie politique nationale ! la stabilité et la sécurité des Institutions», recadre le ministre.
Comme si la demande des Etats-Unis et l’acceptation du Sénégal n’étaient pas des décisions purement politiques des Présidents Obama et Sall. De plus, dans les régimes démocratiques des sociétés modernes, la politique est l’Alpha et l’Omega de toutes choses, à la seule condition que les hommes politiques soient sérieux et responsables. Suivant cette logique, affirmer qu’on «politise les choses les plus sérieuses», revient tout à la fois, à exclure du champ politique ces «choses sérieuses», et à considérer qu’en République, ces mêmes choses sérieuses ne doivent être traitées que par les hommes politiques que sont le chef de l’Etat et ses ministres.
Monsieur le ministre confirmerait ainsi cette opinion de Camus : «La politique, c’est l’art d’empêcher les citoyens de s’occuper de ce qui les regarde.» À la fin des fins, sauf votre respect, monsieur le ministre de notre République, avec votre permission, c’est le commentaire que je me suis permis de votre texte…
6 Commentaires
Anonyme
En Avril, 2016 (13:08 PM)Le Baolbaol
En Avril, 2016 (13:30 PM)Anonyme
En Avril, 2016 (14:35 PM)Anonyme
En Avril, 2016 (16:39 PM)Anonyme
En Avril, 2016 (18:30 PM)Veaudor
En Avril, 2016 (19:58 PM)Voici un extrait d'un article du site atlantico.fr écrit en 2013 qui le prouve!
Le gouvernement doit dire combien ils ont reçu pour risquer cela ou bien les ricains leur ont-ils promis un second MCA?
Malheureusement on a pas de journalistes d'investigations qui puisse fouiller ces affaires
Voici le lien:
http://www.atlantico.fr/decryptage/que-faire-prisonniers-guantanamo-alain-chouet-732571.html
Participer à la Discussion