Le Mali, cet immense et précieux voisin, est au carrefour de son destin. L’insécurité exponentielle qui y règne, en plus de la faillite du système de gouvernance, est source légitime d’une grave préoccupation, voire de frayeur. Avant d’en venir aux conséquences tragiques de cette crise et à ses répercussions potentiellement dévastatrices, un détour séquentiel est nécessaire afin d’en appréhender les péripéties historiques.
Elle est, avant tout, le résultat d’une trajectoire chaotique provoquée par la combinaison de plusieurs facteurs dans la longue durée : mauvaises options des gouvernements successifs, ruptures institutionnelles répétitives, environnement géopolitique défavorable, mutations socioculturelles négatives, tout relié, d’une manière ou d’une autre, au marqueur d’intensité des phénomènes subversifs qu’est la question touarègue.
Cette crise, comme dans la plupart des pays africains, est avant tout, une crise de construction de l’État-Nation. Le projet d’un État fort, centralisateur, faisant abstraction des différences multiformes qui caractérisent sa réalité démographique, s’est heurté dès l’aube de l’indépendance à la défiance d’une partie des populations du Nord, notamment Touaregs. Habitant de part et d’autre de la frontière algéro-malienne, le puissant sous-groupe des Ifoghas des Adrars avait caressé au moment des indépendances le rêve d’un rattachement à l’Algérie, après l’échec du projet colonial de l’Organisation commune des régions sahariennes. Le refus de la France d’accorder une suite favorable à cette revendication est considéré par eux comme une dette morale que l’ancien colonisateur doit porter sur sa conscience.
Cependant, faut-il voir dans le refus presque atavique de certains Touaregs d’être commandés par une majorité écrasante des Noirs du Centre et du Sud comme l’expression du mépris, voire du racisme ? Les détracteurs de la cause touarègue en sont convaincus, tandis que les intéressés rejettent l’accusation avec véhémence.
Quoiqu’il en soit, dès 1963, une première rébellion touarègue éclata sous Modibo Keita. Cette insurrection précoce appelée « Alfellaga » est promptement réprimée avec l’aide de l’Algérie et du Maroc. Outre le soutien ferme de l’Algérie, qui était redevable au Mali pour avoir hébergé l’aile Sud du FLN (Front national de Libération) basée à Gao et dirigée par feu Abdelaziz Bouteflika pendant la guerre de libération, le régime de Modibo Keita put aussi compter sur une armée disciplinée, entraînée, sous le commandement du charismatique général Abdoulaye Soumaré.
La grande ferveur patriotique qui agrégeait les consciences anticoloniales entrainait aussi dans son sillage un nombre important des cadres du Nord tous défavorables à cette première rébellion d’origine féodale. La férocité de la répression qui s’abattit sur les insurgés contribuera à sédimenter dans leurs cœurs et dans les esprits un ressentiment durable et une méfiance instinctive.
MODIBO KEITA (1915-1977) : UNE FIGURE DE PROUE
Le régime de Modibo Keita avait une base solide au départ. Il portera très haut le prestige international du Mali. Au plan interne, il construisit un État fort et amorça une industrialisation volontariste. Toutefois, l’autre versant de son bilan, occulté par ses thuriféraires, est loin d’être reluisant : il enfermera dans les bagnes de Taoudenit et de Kidal ses opposants emblématiques, parmi eux (Fily Dabo Cissokho et Hamadoun Dicko), sous prétexte de complots avec des « preuves » laborieusement exposées.
Le socialisme économique radical qu’il instaura dans un pays héritier d’une longue tradition de liberté commerciale, sans compter les dérives des miliciens, favorisera l’émergence d’un front hostile et déterminé contre son régime. Il est aussi vrai que son engagement en faveur des mouvements de libération de l’Afrique dérangeait considérablement le camp occidental. En 1968, il est déposé par un groupe de militaires dirigé par Moussa Traoré. La nouvelle junte hérita d’un outil de défense solide et du soutien actif de l’Algérie. Sous le règne de Moussa Traoré, deux grands cycles de sécheresse, au début des années 1973 et au début des années 1980, éprouveront durement les nomades du Nord. Ces cycles de sécheresse conduiront beaucoup de Touaregs à l’exil, dont une grande partie en Libye.
Une vérité historique doit être martelée : sans Mouammar el Kadhafi, la rébellion touarègue n’aurait jamais connu une telle évolution militaire. Les ténors de cette rébellion hautement qualifiés ont été tous formés dans les armées de l’ex-guide de la Jamahiriya. Iyad Ag Ghali, l’homme qui perturbe aujourd’hui le sommeil des dirigeants de la région, a été un combattant de premier plan dans la légion islamique de Kadhafi. À ce titre, il fera la guerre à Beyrouth aux côtés Palestiniens lors du siège de la capitale libanaise par l’armée israélienne. Les grandes figures militaires touarègues que sont les Hassan Ag Fagaga, Ibrahim AgBahanga, Shindouk Ould Najim (chef d’état-major du MNLA) sont tous passées par les académies libyennes, en dépit de l’implication de leurs devanciers dans les premières rébellions.
À ce stade, une parenthèse utile s’impose. Les Touaregs sont très divers. Le sous-groupe des Ifoghas des Adrars, qui est au centre des rébellions récurrentes, est la classe dite « noble » et dirigeante. Ils ont des alliés fidèles. La classe historiquement servile des Imaghas est démographiquement très importante. De toute façon, il faudra un orfèvre en ethnographie et en anthropologie pour démêler l’atomisation des groupes et des sous-groupes composant le monde touareg.
Question : une gestion démocratique du terroir avec le suffrage universel serait-il de nature à bouleverser la hiérarchie du pouvoir dans le monde touareg ? Certains y voient l’une des causes du refus de normalisation politique et administrative de la classe des féodaux. D’autres Touaregs, très nombreux, et éloignés de l’épicentre des Adrars, comme ceux de Ménaka et ailleurs (tels que les Ouellmedins), ne partagent pas forcément l’objectif de la rébellion.
Une autre réalité amplifie aussi la volatilité de la situation. L’État central malien, du premier régime de Modibo Keita au dernier régime d’IBK, a malheureusement échoué dans trois domaines de gouvernance essentiels : désenclavement conséquent, décentralisation effective et efficiente et inclusivité culturelle des minorités dans l’espace public.
Ibrahim Boubacar Keïta
C’est ainsi qu’en 1990, la deuxième rébellion touarègue éclate par l’attaque du camp militaire de Ménaka. Au nom de son mouvement dénommé MPLA (Mouvement populaire de libération de l’Azawad), Iyad Ag Ghali revendique l’attaque. Son mouvement fédérait autour de lui beaucoup de sensibilités touarègues, en dehors des Ifoghas dont il est issu. En janvier 1991, le régime finissant de Moussa Traoré signe avec cette rébellion un accord de paix dit « Accords de Tamanrasset ». En mars 1991, il est renversé par l’armée. Le lieutenant-colonel Amadou Toumani Touré prend la direction de la Transition qui dura jusqu’en juin 1992. À la veille de son départ, il signera avec les rebelles un « Pacte national » qui renforce les accords de Tamanrasset.
Pendant la transition, une conférence nationale fut organisée pour faire table rase du passé et créer l’avènement d’un régime dit démocratique. Après des élections présidentielles, Alpha Oumar Konaré du parti de l’ADEMA est élu à la tête du pays. Son régime dit démocratique peut se targuer d’un excellent bilan dans les domaines des libertés publiques, de la libéralisation de l’économie, de l’urbanisation et de l’émergence de la classe moyenne. Toutefois, le revers est terriblement décevant. C’est sous son règne que commencera le processus de l’affaiblissement de l’État. Les droits sociaux accordés, sans réflexion stratégique, aux corps régaliens (police, magistrature, commandement territorial) permirent leur syndicalisation anarchique, source d’une nouvelle vulnérabilité de l’État et de perte d’autorité. Il porte également une grande responsabilité dans la déliquescence de l’outil de la défense.
L’armée malienne était l’une des meilleures de l’Afrique de l’Ouest. Par naïveté idéologique ou la peur de coups d’État, son régime procédera méthodiquement au dépeçage d’un bel héritage avec le gel des programmes d’équipement, des recrutements laxistes et une féminisation prématurée. À l’heure des confrontations récurrentes avec les rebelles, les effets de ces mauvaises options se feront sentir dans la déroute et les regrets. Le séparatisme qui se nourrit à la fois des échecs des gouvernants et d’une sourde rancœur n’en sera pas apprivoisé. Son régime est aussi responsable du démantèlement du système éducatif.
Amadou Toumani Touré
Après une nouvelle alternance à la mode ping pong, Amadou Toumani Touré revient au pouvoir en 2002. Porté à la magistrature suprême par un puissant mouvement citoyen avide d’une gouvernance de rupture, ATT se démarquera de ses soutiens originels, une fois aux affaires, en optant pour un mode de gouvernance basé sur le consensus général et mou. Une sorte de « partitocratie » dépourvue de cette boussole programmatique qui donne sens et cohérence à l’action publique. D’emblée, il nomme l’ancien haut-commissaire de l’OMVS, le Touareg Ahmed Mohamed ag Hamani au poste de Premier ministre. Un pari politique visant le sentiment flatteur de sa communauté d’origine pour apaiser la situation.
Tout Général qu’il est, ATT n’a pas été à la hauteur des efforts attendus de lui pour « réarmer l’armée », selon la formule de l’éminent journaliste Saouti Aïdara. Son refus persistant de muscler l’outil de la défense est un des mystères de son héritage. À son actif, on doit relever néanmoins un bon bilan en termes de désenclavement et des infrastructures structurantes.
Les années ATT constituent un repère majeur pour comprendre la complexification de la crise du Nord. C’est durant ces années que plusieurs facteurs géopolitiques se sont accumulés pour changer la nature de la crise. Une rébellion récurrente et localisée deviendra un cancer de subversion généralisé.
En premier lieu, c’est l’avènement d’un nouveau corridor transsaharien de trafic de drogue qui changera la donne. Flash back : les années 1990 et 2000 ont été marquées par une guerre implacable menée par l’Agence américaine de lutte contre la drogue (DEA) contre les narcotrafiquants de l’Amérique centrale et du Sud. Il fallait donc, pour les grands dealers, inventer une nouvelle filière plus poreuse. La côte Atlantique ouest-africaine fut choisie comme point idéal d’entrée compte tenu de la nature faible de certains de ses États.
La Guinée Bissau (dont l’ancien chef d’état-major Antonio Indjai vient de faire l’objet d’un avis de recherches pour capture par les USA en relation avec ce trafic) et la Guinée Conakry de Lansana Conté en deviendront les plaques tournantes. Partant de ces côtes, l’immense désert malien a été ciblé comme une zone de transit.
Le fameux épisode d’Air Cocaïne, cet avion calciné en plein désert après déchargement de sa cargaison de drogue, n’était qu’un bout d’un immense iceberg d’une criminalisation généralisée de la zone. Cette criminalisation, qui perdure, favorisera d’autres trafics résiduels ou périphériques, comme la contrebande de cigarettes ou le trafic d’êtres humains. S’y greffera un autre trafic plus ignoble, le « business d’otages » ; les négociations pour la libération des otages occidentaux contre rançons consistantes attireront une foule d’intermédiaires avides de gains faciles avec des ramifications inconcevables au niveau de certains palais de la sous-région.
La défaite des groupes armés en Algérie après une insurrection manquée des Salafistes provoquera le repli vers le Sud, c’est-à-dire dans l’Adrar des Ifoghas, des rescapés aguerris. Le gouvernement algérien, qui a infiltré au plus haut niveau les groupes terroristes présents dans le pays, a-t-il complaisamment laissé faire ce redéploiement ? Ne serait-ce que pour trois raisons : éloigner du pays une poignée d’irréductibles, garder la main sur le dossier malien dans un contexte mondial de lutte contre le terrorisme et, enfin, par crainte de heurter les sentiments de sa propre population touarègue composée du groupe des Ifoghas de Tamanrasset. Dans ce dossier, comme toujours, l’Algérie a une approche sophistiquée difficilement déchiffrable.
Toutefois, contrairement aux idées reçues, le basculement d’une partie du Nord malien et du Centre n’est pas uniquement le fait d’envahisseurs maghrébins. Beaucoup dans ces parties du pays ont épousé cette conception religieuse en y voyant un « authentique retour aux sources originelles de l’Islam ». La réislamisation radicale d’une partie de la société malienne, comme dans la plupart des pays musulmans d’Afrique noire, a bénéficié des pétrodollars saoudiens et du prosélytisme actif des Pakistanais.
L’avènement en Turquie et en Egypte des pouvoirs d’obédience de la confrérie des Frères musulmans amplifia-t-il, à l’échelle du monde islamique, le phénomène du Salafisme. Cette mutation introduira une pluralité nouvelle chez les militants armés du Nord en termes d’objectifs et de composition démographique.
Iyad Ag Ghali, le jihadiste touareg longtemps traqué par la France
Le basculement d’un Iyad Ag Ghali (ancienne figure tutélaire du mouvement touareg autonomiste et laïc) s’explique par l’existence de ce terreau favorable, et en même temps fonde le changement des objectifs de son combat qui ne sont plus l’autonomisation ou l’indépendance de l’Azawad, mais l’islamisation de l’ensemble du pays. Certains disent aussi que c’est lors de son séjour en Arabie saoudite au Consulat du Mali – poste qu’il a acquis à la faveur des négociations avec le pouvoir central - qu’il aurait épousé la doctrine salafiste.
La guerre de l’Occident contre le régime de Kadhafi eut également une conséquence directe sur le Mali avec le retour au bercail des supplétifs touaregs lourdement armés. L’effet cumulatif de l’ensemble de ces facteurs a fait du vaste désert Nord malien un espace incontrôlable dans lequel terroristes, rebelles et trafiquants de toutes sortes se meuvent à leur guise, entretenant des systèmes croisés d’activités criminelles. Cette situation nouvelle réduisit considérablement les capacités régaliennes de l’État central.
En 2006, le président ATT signe avec les mouvements rebelles un énième accord de paix à Alger, avec à la clé une concession stupéfiante : la démilitarisation de la zone du conflit qui passe par le retrait de l’armée. Une première. La rébellion nordiste n’en sera pas pour autant domptée. Au contraire ! Elle se manifestera davantage en synchronisant ses actions avec les frères du Niger dans une nouvelle phase éprouvante pour les deux États. C’est la troisième rébellion touarègue.
Pour y faire face, le pouvoir de Bamako encouragera la création de milices d’autodéfense composées de populations noires sédentaires et des groupes touaregs loyaux tels que les « Imaghas » du Colonel El Hadj Ag Gamou. Cette option informelle de l’État, qui autorise les pratiques peu orthodoxes dans son financement, permettra aux acteurs de l’ombre d’évoluer dans l’interstice d’un monde sans droit amplifiant le phénomène de criminalisation de l’espace Nord du pays.
L’armée malienne était en réalité très affaiblie par des décennies de négligence. Nantis de nouvelles armes provenant de l’arsenal de Kadhafi, les Touaregs, notamment les « Ifoghas » et leurs alliés les « Adnanes » déclenchent la quatrième rébellion en 2011. Ils conquièrent rapidement quelques villes secondaires telles que Tessalit et Aguelok. Cette dernière localité a été témoin d’actes barbares contre des prisonniers de l’armée malienne. La tragédie provoquera une onde de choc dans tout le pays. Les femmes de la garnison de Kati organiseront une marche sur le palais de Koulouba, obligeant le président ATT en personne à sortir pour les calmer.
Le 26 mars 2012, à quelques mois de la fin de son mandat, ATT est victime d’un coup d’État mené par un groupe d’officiers subalternes avec le capitaine Sanogo comme figure de proue.
Au Mali, le président de la transition, Assimi Goïta
La rupture de la chaîne de commandement qui s’en suivit a été le catalyseur d’une conquête foudroyante des principales villes du Nord (Kidal, Tombouctou, Gao) par le MNLA, aussitôt expulsé par les « djihadistes » plus armés et déterminés. Le Mali était désormais coupé en deux. Les nouveaux maîtres du Nord iront jusqu’à détruire les mausolées de Saints à Tombouctou qu’ils considèrent comme des lieux d’adoration non conformes à l’orthodoxie musulmane.
Hussein BA
Seneweb / Le Témoin
(document remis)
4 Commentaires
Un africain quelque soit son pays tend toujours la main, incapable de produire le moindre outil de production mais criant au vol de son sous-sol par d'autres , il veut vivre comme dans les pays productif, civilisés , seuls leurs présidents respectifs s'enrichissent sur leur dos mais il ne voit ou ne veut voir que l'intrus étranger.
Coups d'état militaires, dictateurs sanguinaires , ils tendent la corde à leurs bourreaux pour les pendre et s'en contentent.
Damel Fall
En Novembre, 2021 (14:41 PM)Participer à la Discussion