De Dakar à Cotonou, alors que les décès prématurés liés aux particules fines sont en hausse, rares sont les pays qui disposent de données précises sur la qualité de l’air.
Sur les cartes répertoriant les foyers de pollution dans le monde, l’Afrique est souvent traversée de grandes zones blanches, là où d’autres continents apparaissent en rouge, jaune ou orange. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper : « Si on ne fait rien, l’Afrique pourrait représenter la moitié des émissions de pollution dans le monde d’ici à 2030 », avertit Cathy Liousse, directrice de recherche au laboratoire d’aérologie du CNRS, à Toulouse. Des propos tenus devant la centaine de chercheurs, décideurs et spécialistes venus participer au Séminaire international sur la qualité de l’air dans les villes d’Afrique de l’Ouest francophone, organisé jeudi 28 et vendredi 29 novembre, à Paris, par l’Observatoire mondial des villes pour la qualité de l’air (Guapo).
Dramatique peut-être, le constat renvoie à une réalité bien tangible : l’Afrique subsaharienne subit une pollution croissante, renforcée par une démographie et une densité urbaine accrues. En même temps, les risques sanitaires et épidémiologiques liés à la détérioration de la qualité de l’air augmentent. Entre 1990 et 2013, les décès prématurés causés par la pollution atmosphérique ont ainsi connu une hausse de 36 % en Afrique, selon une étude de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiée en 2016.
Le taux de particules fines dans l’air provoque une multitude de pathologies pulmonaires et cardiovasculaires. « Il y a un gros problème de pollution particulaire en Afrique. Quels que soient les sites où nous sommes allés, nous avons trouvé des mesures deux, voire trois fois supérieures aux normes de l’Organisation mondiale de la santé », explique Véronique Yoboué, chercheuse à l’université Félix-Houphouët-Boigny d’Abidjan, en Côte d’Ivoire.
Etudes de terrain et observations satellitaires
Dans ce contexte, les initiatives se multiplient pour mesurer la pollution dans les grandes villes ouest-africaines. Lancé en juin 2016, le programme européen Dacciwa, qui intègre des chercheurs africains, s’est penché sur une zone couvrant quatre pays de la sous-région. Durant deux mois, des études de terrain à Abidjan, Accra, Lomé et Cotonou, couplées à des observations satellitaires, ont permis de préciser les sources de pollution.
« On a pu mettre en évidence la grosse contribution des feux de forêts d’Afrique centrale pendant la saison des pluies. C’était une grosse surprise, car on s’attendait à ce que la pollution offshore liée à l’extraction minière, pétrolière et au trafic maritime soit un facteur de pollution plus important », détaille Cyrille Flamant, directeur de recherche au CNRS et coordinateur du programme Dacciwa.
Aujourd’hui, la plupart des chercheurs s’accordent à identifier cinq sources majeures de pollution dans les grandes villes d’Afrique de l’Ouest : la combustion de bois pour la cuisson des aliments et le brûlage des déchets à ciel ouvert sont de plus en plus pointés du doigt pour leurs fortes concentrations de particules fines ; et le trafic routier, les industries agroalimentaires et chimiques, sans oublier les poussières de sable du Sahara transportées par les vents à travers la zone sahélienne, accentuent le phénomène, surtout pendant la saison sèche.
Au Burkina, « nous en sommes au stade embryonnaire »
Ces mesures de la qualité de l’air sont cruciales pour pouvoir élaborer des politiques adaptées. Or les données existantes sont encore trop peu nombreuses et souvent trop imprécises pour évaluer l’ampleur de la pollution sur le continent.
Au Burkina Faso, par exemple, « nous en sommes encore au stade embryonnaire », avoue Bernard Nana, chercheur en physique à l’université de Ouagadougou. Sa thèse, en 2007, a constitué l’une des premières études locales de mesure de la pollution dans la capitale burkinabée. Dix ans plus tard, peu de choses ont évolué, selon lui : « Nous essayons de trouver des moyens, mais nous sommes trop peu nombreux à être formés pour pouvoir mesurer la pollution à Ouagadougou. »
Hazou Abi, directeur de l’information et du suivi de l’environnement à Lomé, voudrait lui aussi obtenir plus de fonds pour pouvoir instaurer un réseau de mesure de la pollution dans la capitale togolaise. « Le plan que nous aimerions mettre en place nous coûterait 7 milliards de francs CFA [environ 10,7 millions d’euros] », indique-t-il. Les capteurs nécessaires pour mesurer les niveaux de pollution coûtent entre 5 000 et 30 000 euros en moyenne et peuvent atteindre jusqu’à 100 000 euros pour les plus performants.
La ville de Dakar fait figure d’exception. Depuis dix ans, la capitale sénégalaise dispose d’un système opérationnel de mesure de la qualité de l’air. Six stations fixes et un camion sont répartis dans l’agglomération dakaroise afin de calculer en temps réel les niveaux de pollution. « Nos mesures correspondent aux mêmes méthodes qu’en France ou aux Etats-Unis. De ce point de vue, on peut considérer qu’on est plus avancé que d’autres villes africaines », argue Aminata Mbow Diokhane, cheffe du centre de gestion de la qualité de l’air. Mais la pollution élevée qui persiste à Dakar interroge les politiques mises en place par les pouvoirs publics.
Renouveler le parc automobile, piétonniser les voies…
Depuis quelques années, la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) affiche sa volonté de s’emparer de la problématique. En 2009, les pays de la zone ont ainsi conclu un accord de principe, à Abidjan, pour améliorer le niveau de pollution atmosphérique.
A Paris, lors du séminaire organisé par le Guapo, le représentant de la Commission de la Cédéao a promis une rencontre avec les ministres de l’environnement de la zone, en février 2020. « Nous lancerons à cette occasion une étude de faisabilité, pour un an, dans cinq villes de la région. Cela nous permettra de préparer un projet de surveillance de la qualité de l’air au niveau régional », a dévoilé Bernard Koffi. Mais jusqu’ici, ni le budget ni les villes qui participeront à l’expérimentation ne sont connus.
Pour de nombreux acteurs, la mise en place d’un système effectif d’évaluation de la qualité de l’air marque seulement les prémices d’une lutte globale contre la pollution de l’air. « Nous devons sensibiliser les populations par rapport à leurs pratiques. Par exemple, beaucoup de fumeuses de poissons ignorent la dangerosité de leur activité », déplore Véronique Yoboué. Les idées ne manquent pas : construire des routes, renouveler le parc automobile, piétonniser les voies, proposer des solutions de transports en commun plus performantes, faire évoluer les représentations des risques liés à la pollution… Des pistes encore loin d’être matérialisées.
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