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Violences au Liban : "On ne nous écoute pas quand on manifeste pacifiquement"

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Liban
L'intensité des affrontements au Liban entre forces de l’ordre et manifestants, ainsi que les scènes de guérilla urbaine en plein centre-ville de Beyrouth, constituent une escalade dans le mouvement contre la classe politique. Depuis le 17 octobre, celle-ci est décriée, jugée corrompue et responsable de l'effondrement économique du pays.
Un niveau de violence inédit depuis le début de la contestation a été atteint au cours du week-end au Liban, où des affrontements ont opposé des forces de l’ordre à des manifestants dans le cœur de Beyrouth, près du siège du Parlement.

Après avoir concentré tout au long de la semaine leur colèrecontre la Banque centrale et les banques commerciales, accusées de complicité avec le pouvoir dans la faillite du pays, les manifestants se sont retournés vers les symboles institutionnels. Et précisément le Parlement.

"Nous avons ciblé la Chambre des députés parce qu’elle est le symbole de la corruption du système politique qui gangrène notre pays et qui cherche à poursuivre son œuvre", a confié à France 24 Farouk, un militant mobilisé depuis le début du mouvement de contestation, qui assure que ce sont les forces de l’ordre qui ont provoqué les manifestants.

Au moins 546 personnes, des contestataires mais aussi des policiers, ont été blessées dans ces heurts, selon des bilans de la Croix-Rouge libanaise et de la Défense civile, tandis que des ONG et des défenseurs des droits humains ont dénoncéun usage excessif de la force par la police ces derniers jours. Les correspondants de France 24 ont toutefois rapporté que les affrontements de dimanche étaient moins intenses queceux observés la veille.

"Ils ne nous écoutent pas lorsqu’on manifeste pacifiquement"

Alors que la contestation, qui avait décrété à partir du 13 janvier une "semaine de la colère", se singularisait par son caractère pacifique, voire même bon enfant au début de la mobilisation, elle semble changer de dynamique. Une mutation qui intervient alors que la situation économique se détériore jour après jour et que les partis politiques peinent à s’entendre sur la formation d’un nouveau gouvernement.

"La classe politique n’a pas renoncé à ses méthodes, c’est assez irresponsable alors que le pays traverse une crise aiguë, note Tarek Abboud, politologue et chercheur spécialiste des questions internationales à l’Université libanaise, interrogé par France 24. Elle se divise au sujet de la formation du gouvernement et des parts de chaque camp au lieu de sauver le pays."

Le Liban est dans l’impasse depuis la nomination, le 19 décembre, de Hassan Diab au poste de Premier ministre, à la suite de la démission fin octobre de Saad Hariri sous la pression de la rue. Les tractations entre les grands partis en vue de former un nouveau gouvernement n’ont pas encore abouti, notamment en raison de désaccords autour de la représentation de chaque force au sein du futur cabinet.

"Ce qui est ahurissant, et probablement très dangereux, c’est que la classe politique vit dans le déni, et la non-formation d’un nouveau gouvernement en est un des signes", explique à France 24 Joseph Bahout, chercheur au Carnegie Endowment for International Peace, et spécialiste du Moyen-Orient. Et d’ajouter : "Les gens s’appauvrissent de façon rapide, les problèmes quotidiens de retraits d’argent et de banque sont extrêmement difficiles, la société commence à souffrir et, dans ce contexte, des violences commencent à apparaître."

Frustrés par les manœuvres politiciennes et acculés économiquement, notamment à cause de la pénurie de dollars américains dans le pays et une forte dépréciation de la livre libanaise, qui a conduit les banques libanaises à réduire drastiquement les retraits et les transferts à l’étranger, une partie des contestataires a fait le constat que l’option pacifique ne fera pas plier leurs dirigeants.

"Nous n’avons plus rien à perdre, le peuple libanais est fatigué, nous ne sommes pas par nature pour l’affrontement, mais les responsables politiques ne veulent pas comprendre et ne nous écoutent pas lorsqu’on manifeste pacifiquement", accuse Perla Joe, l’une des figures de la contestation, interrogée par France 24.

Et d’expliquer les raisons de l’escalade : "Cela fait plus de trois mois que l’on manifeste et que l’on réclame la formation d’un gouvernement composé de technocrates et d’indépendants capables de travailler dans l’intérêt du pays, mais au lieu de cela, les politiques cherchent toujours à nous imposer leurs procédés politiciens. Le peuple a faim, les gens sont en train de craquer dans l’indifférence, certains se suicident parce qu’ils n'arrivent pas à subvenir aux besoins de leurs enfants, et d’autres meurent faute de pouvoir se payer des soins !"

"Nous ne voulons pas des mêmes personnes dissimulées derrière de nouveaux visages"

Un avis que partage Mohamad Dankar, un autre contestataire interrogé par France 24. "C'est une farce d'accuser les manifestants de provoquer les émeutes, la mobilisation bascule dans l’escalade parce que le pouvoir n’a répondu à aucune de nos demandes, et préfère se déchirer sur le partage des portefeuilles ministériels, indique-t-il. Nous les voyons encore s’adonner à des tractations stériles et chercher à conclure des arrangements sous la table, pendant que la colère gronde et que la population ne parvient plus à subvenir à ses besoins".

Mohamad Dankar assure que les manifestants n’ont pas d’autre choix que de poursuivre le mouvement. "Nous allons rester dans la rue pour faire entendre notre voix face à un pouvoir corrompu qui viole la Constitution depuis plusieurs décennies, et ce, jusqu’à la formation d’un gouvernement formé de personnalités indépendantes et de technocrates, assure-t-il. Nous ne voulons pas des mêmes personnes dissimulées derrière de nouveaux visages, et ceux-là même qui essaient de nous détruire en employant une force disproportionnée contre le mouvement."

Selon Joseph Bahout, la classe politique libanaise, "qui croyait échapper à la crise en passant entre les gouttes", se retrouve piégée entre une rue qui gronde de plus en plus et une situation économique catastrophique et rattrapée aussi par ses propres tensions et frictions.

"C’est un pouvoir au fond qui est à bout de souffle, qui ne meurt pas encore, mais qui s’agrippe au pays, alors que la réalité est ailleurs, estime-t-il. Les Libanais s’impatientent, et il n’est pas sûr que la formation d’un gouvernement change quoi que ce soit, car la crise économique a sa propre logique et va aller jusqu’au bout."


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