Il faut être sourd pour n’avoir pas entendu parler, ces derniers jours, des rebondissements – ou devrais-je dire des scandales – dont se nourrit la campagne pour l’élection, le 12 mars, du président de la Confédération africaine de football (CAF). Le Tribunal arbitral du sport vient de rétablir dans ses fonctions de président le sortant Ahmad Ahmad, mettant ainsi fin à la suspension de cinq ans de toute activité liée au football que lui avait infligée la Fifa pour des malversations financières présumées. Quarante-huit heures auparavant, précisément à cause de cette sanction, la candidature du Malgache à sa propre succession avait été jugée irrecevable par la commission de gouvernance de la CAF mais d’abord et surtout par… la Fifa.
Face à l’intervention de la Fifa, deux attitudes sont envisageables. On peut crier au paternalisme, car elle resserre son étreinte sur la CAF en la plaçant, de fait, sous tutelle. En effet, comment expliquer que cette instance censée être autonome, avec une commission de gouvernance chargée d’évaluer les candidatures, laisse la Fifa décider à sa place, sans aucune considération pour ses prérogatives, vidant ainsi ladite commission de toute sa substance ?
On peut aussi interroger la capacité des Africains à gérer leur football. En réalité, il importe surtout de savoir comment on en est arrivé là. Car ce qui se passe à la CAF n’a d’équivalent dans aucune autre confédération. Mais, il faut bien l’admettre, les Africains ont leur part de responsabilité. Si vous manquez de dignité, les autres vous manqueront de respect…
L’arrivée d’Ahmad Ahmad avait semblé marquer la fin de l’opacité dans la gestion de la CAF. On avait même parié sur l’émergence, dans cet environnement, d’un concept jusqu’alors inconnu, celui de « bonne gouvernance ». Pari risqué : façonnés dans le même moule que leurs prédécesseurs, les hommes censés incarner ce renouveau ont conservé les habitudes du passé. Et prôné un changement aux allures de slogan de campagne, d’ailleurs emprunté à la Fifa, qui, elle-même, n’avait pas réalisé sa mue de son plein gré mais sous la pression de la justice américaine.
La CAF n’a pas choisi non plus d’adhérer à un quelconque nouvel ordre. Celui-ci lui a été imposé sans qu’elle s’en saisisse pour évoluer. Pour preuve, ses chevaliers blancs, plus opportunistes qu’acteurs convaincus, se sont juste employés à crédibiliser leur campagne électorale. Eux qui avaient mis en avant l’exigence de transparence pour évincer Issa Hayatou auraient pourtant dû s’attendre à rendre des comptes.
"La gestion précédemment peu orthodoxe et opaque de la CAF n’est plus acceptée"
Longtemps, les présidents de la CAF comme ceux des différentes fédérations ont été perçus comme les propriétaires des instances sportives qu’ils dirigeaient. Hissés sur un piédestal, voire déifiés par les membres mêmes, ils étaient considérés comme incapables d’entendre la moindre voix discordante, la moindre proposition. Isolés de fait, ils sont devenus des potentats redoutés et ont pris, seuls, les décisions les plus contestables. C’est précisément du fait de leur incapacité à suivre les règles que se sont produits, à répétition, tant de scandales.
De même qu’en politique certains pays sont aujourd’hui pointés du doigt pour leur déficit de liberté – ce qui, il y a peu, était la norme –, l’idée de transparence, de strict respect des règles dans un monde qui se judiciarise, s’impose dans les esprits. Et la gestion précédemment peu orthodoxe et opaque de la CAF, à l’image d’un continent rompu aux petits arrangements, n’est plus acceptée. Tous ceux qui ont fait semblant de l’ignorer en paient aujourd’hui le prix.
La Fifa aurait-elle dû s’abstenir d’intervenir ? Il est peu souhaitable que la justice ait à faire irruption dans la sphère privée. La seule manière pour la CAF de l’éviter est de se montrer irréprochable, organisée et de porter à sa tête un chef consensuel. La Fifa ne s’invite pas à la CAF, ce sont les Africains qui l’y convient. Au vu du chaos qui y règne, elle finit par y faire ce qu’elle ne se permettrait nulle part ailleurs.
Dans un autre registre, c’est parce que nos autorités politiques osent l’indicible que l’ONU nous envoie ses forces. L’Italie change de Premier ministre tous les six mois. Lorsque la coalition au pouvoir ne s’entend plus, on dissout le gouvernement. Les Italiens sont ordonnés dans leur désordre. Si nous pouvions faire de même, notre linge sale serait lavé en famille.
Je n’en veux donc pas à la Fifa mais aux Africains, qui ne parviennent pas à gérer leurs propres affaires. Ils jettent l’anathème sur l’ensemble du continent, le discréditent, le fragilisent et freinent son évolution. Ce discrédit rejaillit sur la perception que les autres ont de nos États. Bien plus que sur le développement du football, la tutelle de la Fifa a des répercussions négatives sur l’Africain, dans son être même. Le football doit être un vecteur d’éducation et de communication. Or c’est par le football que les Africains sont infantilisés : à travers ce sport, on les place face à leurs insuffisances, à leur incapacité à se prendre en main.
Ceux d’entre nous qui crient à l’infantilisation seraient surpris du nombre de fois où la CAF ou un de ses membres (fédération, club) a sollicité Zurich dans le règlement du moindre conflit. Comme si personne à Yaoundé, à Libreville, à Dakar ou à Abidjan n’était capable de dire le droit. Ils resteraient pantois de la voir se prosterner devant les envoyés de la Fédération internationale lorsque ceux-ci arrivent sur le sol africain.
J’ai appris du football une leçon essentielle : nous sommes tous soumis à des règles. L’arbitre est là non pas pour nous les imposer mais pour nous les rappeler. C’est sans doute là le sens de l’intervention de la Fifa. Efforçons-nous de suivre les règles, de les respecter et de les appliquer à tous et partout. Il faut que les Africains – et les Européens – cessent de vouloir forger des règles spécifiques pour le continent. On ne peut pas prétendre à l’universel et militer pour des règles locales.
"Une purge pour sauver la CAF ? Pas nécessairement"
Une purge pour sauver la CAF ? Pas nécessairement. Il faudra en revanche arriver à faire rimer football et éthique, y croire, le marteler chaque jour. Que la CAF tende vers l’éthique doit être un combat de tous les instants. Le football n’est pas un îlot sacré. Il est le produit d’une société et il est géré par ceux-là mêmes qui, à sa tête, traînent des tares. Comment attendre de gens qui truquent le jeu politique qu’ils fassent montre d’un soudain sens de l’éthique lorsqu’il s’agit de football ? Pour que la CAF respecte les règles, l’ensemble des fédérations nationales qui la composent doivent être en mesure de les suivre. Ce défi n’est pas à relever par ce seul homme providentiel que serait le président de la CAF.
L’élection du 12 mars opposera des candidats au fait de ce qui s’est passé auparavant. Ceux-ci devront en tirer des enseignements pour leurs programmes. Surtout, ils devront eux-mêmes se fixer des limites, savoir qu’il y a des pratiques inadmissibles et des principes intangibles. Otages, de fait, de leurs électeurs, à eux de se constituer prisonniers de la vérité, en fondant leur campagne sur une nouvelle donne et en soulignant les risques encourus quand on s’affranchit des règles. Il est temps de sortir des scandales… et de redoubler d’attention.
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