L’intellectuel sénégalais Felwine Sarr a pris la plume, pas pour parler de littérature, mais pour asséner ses vérités crues devant les prédictions sombres qui planent sur le Sénégal avec la tentation du troisième mandat prêté au président Macky Sall. Dans le texte publié par Sud Quotidien, il use de sa position d’écrivain, d’intellectuel averti, pour tirer la sonnette d’alarme. Un texte qui fait déjà réagir dans le milieu politico-intellectuel, que nous vous livrons in extenso.
Le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap.
Le président de la République en décembre 2019, à la question de savoir s’il allait se présenter ou pas pour un troisième mandat avait répondu par un ni oui ni non. Lors de son adresse à la nation du 31 décembre 2022, il n’a pas évoqué la question. Cependant, tous les actes qu’il a posés depuis indiquent qu’il se prépare à y aller (Lu Defu Waxu). Ne lui faisons pas de procès d’intention diront certains, pour l’heure il n’a rien dit de définitif. À une question dont la seule réponse possible est non, puisque la Constitution est claire sur ce point ; le fait même d’entretenir le clair-obscur est un aveu, au moins d’une tentation ou de l’évaluation des chances de réussite d’une telle entreprise. Par cette seule attitude de maintien du flou sur une question qui engage le destin de la collectivité entière, le contrat avec la nation noué en 2012 lors de sa prestation de serment, et renoué en 2016 à l’issue du referendum sur la Constitution est d’ores et déjà cisaillé.
Cette non-réponse a pour effet de prendre le peuple sénégalais en otage et de le maintenir dans l’expectative, pendant que ses partisans occupent l’espace médiatique et comme en 2012, tentent de nous faire comprendre que les mots n’ont plus le sens qui est le leur. La dérive autoritaire commence quand le prince peut faire dire au signe linguistique ce qu’il veut. Quand « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs », ne signifie plus, « Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Et c’est à cette opération de brouillage de sens que se livre le camp présidentiel. Car ici peu importe la durée du mandat, c’est la consécution de ces derniers qui est limitée à deux. C’était le sens de notre combat en 2012 contre le troisième mandat de Wade. Établir un rythme d’alternance inscrit dans le marbre de la Constitution qui assure une respiration démocratique, un renouvellement des élites gouvernantes, l’alternance des projets de sociétés et la transmission pacifique du pouvoir.
Quel recul, si nous nous retrouvions en 2024 dans la même situation qu’en 2012 ! Tout ceci pour cela ! Le procédé, nous le connaissons hélas, Wade l’avait déjà expérimenté. Nommer des juges acquis à sa cause au Conseil constitutionnel, lâcher ses propagandistes dans les médias et ses juristes qui tentent par une sophistique juridiciste (avec cette idée que le droit constitutionnel est complexe et ésotérique), de rendre acceptable une lecture de l’article 27 de la Constitution qui sémantiquement, éthiquement, politiquement, juridiquement ne l’est pas et fouler ainsi au sol le texte fondamental qui nous lie et qui fixe les règles qui gouvernent notre vivre-ensemble. Un seul individu, fut-il président de la République, ne peut confisquer un pouvoir que le peuple sénégalais lui a confié dans des termes qui étaient ceux d’un refus d’une dévolution monarchique du pouvoir, d’un troisième mandat et d’un désir de justice sociale et de redevabilité. La conséquence ultime d’un tel acte est de désacraliser la Constitution dans l’inconscient collectif. Toute communauté pour faire d’un tas un tout, se fonde sur des règles qu’elle met au-dessus d’elle-même, au-dessus des ambitions partisanes et des intérêts privés afin de garantir la poursuite de l’intérêt général. La Constitution reflète les règles qui fondent notre communauté politique et in fine, le peuple est le suprême constituant. Dire à ce dernier « cher peuple tu n’as pas compris ce que tu veux, nous les maîtres de la science constitutionnelle avons compris mieux que toi que Nul ne peut, ne signifie pas dans ce cas précis, Nul ne peut », en plus de ne pas faire cas de l’intelligence collective des Sénégalais quant au sens de leur histoire politique, relève d’un hold-up de notre volonté collective. Ce que le peuple veut (au moins sur cette question), il l’a exprimé clairement en 2012 dans la rue et dans les urnes.
1. le président de la République,
L’esquif Sénégal ressemble à une barque qui a perdu son cap et qui erre dans la brume. Un bateau en déréliction voguant dans des eaux troubles et s’apprêtant à affronter des tempêtes à venir. C’est un paquebot qui a perdu de sa superbe, dont le capitaine semble ne plus voir les nuages qui s’amoncellent, habité par le rêve (que légitimement on vous prête) de briguer un troisième mandat et peu importe si cette tentative nous plonge dans l’instabilité. Peu importe les 10 morts que ce combat pour la respiration démocratique et l’alternance au pouvoir nous ont coûté en 2012 ; peu importe si vous avez vous-même répété à plusieurs reprises urbi et orbi, que vous aviez verrouillé la Constitution ; que le mandat que les Sénégalais vous avaient confié en 2019 était votre second et dernier mandat. Peu importe que la région sahélienne soit instable et que l’ilot que le Sénégal constitue ne puisse s’offrir le luxe d’ouvrir la boîte de pandore. Les raisons sont nombreuses pour éviter que ce désir de briguer le mandat de trop, ne nous embarque collectivement dans une aventure des plus hasardeuses.
Nous assistons médusés ces derniers temps à un détricotage systématique de nos acquis sociétaux et démocratiques. Des digues qui cèdent les unes après les autres. Une montée inexorable des eaux. François Mancabou mort dans les locaux de la police nationale. Deux gendarmes, le sergent Fulbert Sambou et l’Adjudant-chef Didier Badji qui disparaissent dans des circonstances troubles, dont le premier retrouvé mort, visiblement noyé, et le second dont nous sommes sans nouvelles. Des caricaturistes (Papito Kara) détournant des unes de journaux sur internet, emprisonnés, certains pour avoir liké des post avec des smileys. Pape Alé Niang, un journaliste emprisonné pour avoir effectué son travail (informer) et faisant l’objet d’un acharnement judiciaire. Une grande muette qui ne l’est plus et qui laisse fuiter des dossiers sensibles, afin que nul n’en ignore. Des jeunes que l’on interpelle lors de manifestations et à qui l’on demande leur patronyme ; et quand ceux-ci sont à consonance casamançaise, on les arrête et les embarque dans le panier à salade, direction la garde à vue. Un militant de l’APR qui appelle à défendre le troisième mandat avec des machettes, un député qui promet de marcher sur nos cadavres pour la réélection de son champion en 2024. Des citoyennes et citoyens que l’on intimide pour délit d’opinion et que l’on fait passer par la case prison, à chacun son tour, comme pour un tourne-manège. Après les émeutes de mars 2021, 14 personnes sont mortes, certaines tuées à bout portant (une des scènes a été filmée) ; aucune enquête ouverte, aucun procès, aucune responsabilité située jusqu’à ce jour. Une douleur des familles compensée à coups de liasses de CFA, que celles-ci acceptent faute de mieux en s’en remettant à Dieu et à la fatalité du destin. Une dégradation des mœurs politiques rarement vue dans ce pays. Une Assemblée nationale devenue une foire d’empoigne et une arène de chiffonniers. On s’y insulte copieusement, on y frappe une femme députée et pire certains trouvent le moyen de justifier l’injustifiable, et par ce fait même, l’abject patriarcat qui gangrène notre société. Des députés, à l’exception de quelques-uns, qui ne sont pas à la hauteur de l’exigence du débat républicain qui leur a été confié par un peuple, qui en votant aux dernières élections législatives comme il l’a fait, a souhaité équilibrer la parole et le pouvoir à l’Assemblée nationale et voir ses préoccupations fondamentales sereinement relayées et débattues. Au lieu de cela, nous assistons dans ce lieu et dans l’espace public à une dégradation générale de la parole devenue violente et ordurière.
Nous assistons incrédules à l’érosion de ce qui a fait de notre pays une nation qui a su éviter les conflits ethnico-religieux, les coups d’états militaires, les guerres civiles dans une Afrique postcoloniale aux prises avec des soubresauts multiples. Ce tissu social solide, en dépit de ses vulnérabilités, est le résultat d’une lente construction collective, faite de consensus sociaux, de combats politiques, de luttes citoyennes et syndicales, d’avancées démocratiques conquises de haute lutte, de cohabitation interreligieuse et inter-ethnique préservée par une ingénierie culturelle et sociale, des valeurs partagées ; mais aussi par l’édification lente et patiente d’institutions sociales et politiques jouant leur rôle. C’est de l’une de ces institutions – pierre angulaire, la Constitution, dont vous êtes le gardien et le garant.
1. le président de la République,
Vos prédécesseurs ont chacun à sa manière, en dépit des limites de leurs mandatures (et du forcing avorté de Wade), contribué à renforcer la démocratie sénégalaise en apportant leur pierre au difficile édifice. La vôtre, á ce moment de notre histoire politique, est de poser un acte qui contribuera à faire de notre nation de manière irréversible une démocratie majeure, qui a définitivement résolu la question de la transmission pacifique du pouvoir, et celle d’une alternance inscrite dans ses textes et surtout dans ses pratiques et ses traditions. Afin qu’enfin les élections deviennent des moments de débat sur le destin de la nation et plus ceux de nuages gros de risques, planant au-dessus de nos têtes.
Lorsqu’il y aura des manifestations et des troubles contre un troisième mandat – et il est à prévoir qu’il y en ait si vous vous présentez – car il n’y a aucune raison pour que le peuple sénégalais accepte en 2024 ce qu’il avait refusé en 2012 (souvenez-vous que c’est ce refus du troisième mandat que souhaitait Wade qui vous a porté au pouvoir en 2012) ; et que des vies humaines seront perdues, car vous avez surarmé la police et la gendarmerie. Vous en porterez la responsabilité. Nous attendons de vous que vous annonciez qu’après avoir été élu deux fois à la tête du Sénégal ; que vous ne vous porterez pas candidat une troisième fois à l’élection présidentielle ; et que ce faisant, vous respectiez votre serment, que vous rendiez au Sénégalais.e.s l’honneur qu’ils vous ont fait en vous confiant leur destin durant deux mandats, et que vous consolidiez et préserviez notre démocratie.
24 Commentaires
un mandat de 5 ans est un mandat.
En 2024, il aura fait deux mandats.
Troisième mandat doufi amé. na lèr!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!
Reply_author
En Janvier, 2023 (11:01 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (11:03 AM)Nandité
En Janvier, 2023 (11:06 AM)Seul un nafekh peut trouver une justification aux illusions de 3em mandats des apériens.
Karim$
En Janvier, 2023 (11:17 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (12:22 PM)Senegal
En Janvier, 2023 (11:07 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (12:24 PM)Paco
En Janvier, 2023 (11:23 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (11:30 AM)A diaraama,
Diokadial,
Merci !!!!
Ioa
En Janvier, 2023 (12:21 PM)Salimato
En Janvier, 2023 (11:25 AM)Kayar
En Janvier, 2023 (11:28 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (11:36 AM)Reply_author
En Janvier, 2023 (14:27 PM)Call
En Janvier, 2023 (11:28 AM)merci felwin pour ton engagement pour le senegal
Xadim
En Janvier, 2023 (11:32 AM)Usa Senegal
En Janvier, 2023 (12:06 PM)Citoyen
En Janvier, 2023 (12:07 PM)- Macky Sall a été élu en 2012 avec la constitution de 2001. Cette constitution de 2001 limitait déjà le nombre de mandat à 2 et la durée du mandat était fixée à 7ans. Après son élection Macky Sall a voulu réduire son mandat de 2ans. Il "voulait" donc faire 5 ans. Mais le Conseil Constitutionnel a décidé qu'il ne pouvait par sa seule volonté réduire son mandat, le peuple l'ayant élu pour 7 ans. Par pure hypocrisie ou foutage de gueule, Macky Sall nous a alors dit qu'à son corps défendant, il devait faire 7 ans vu la décision du Conseil Constitutionnel (CC).
Hypocrisie ou foutage de gueule parce que rien ne l'empêchait après la décisiopn du CC d'organiser un référendum pour demander au peuple souverain de valider la réduction de son mandat . Ce référendum lui aurait permis de passer outre la décision du CC parce que le scrutin référendaire est au-dessus de la décision du CC.
- nous voilà en 2016 avec une révision constitutionnelle c'est à dire une modification de la constitution de 2001. Autrement dit, c'est toujours la constitution de 2001 modifiée qui est en vigueur au Sénégal. La révision de 2016 a donc permis de se conformer à la décision du CC, le mandat présidentiel est ramené à 5ans. La limitation du nombre de mandat prévue par la constitution de 2001 est maintenue et posée ainsi "Nul ne peut exercer plus de 2 mandats consécutifs". Je ne sais pas par quelle alchimie, par quel subterfuge, Macky Sall peut exercer un 3ème mandat.
Par ailleurs, j'entends certains dire qu'il peut présenter sa candidature et c'est le CC qui décidera. A ceux-là, je réponds: la constitution, en fixant les conditions de l'élection du président de la République, détermine qui a le droit de présenter sa candidature. En d'autres termes si on est pas de nationalité sénégalaise exclusivement, si on ne remplit pas la condition d'âge et surtout si on a déjà exercé plus de deux mandats , on ne peut prétendre à un 3ème consécutivement aux deux précédents. Donc, il faut comprendre qu'au Sénégal, tout le monde n'a pas le droit de présenter sa candidature à l'élection présidentielle et Macky Sall est dans ce cas.
Pourquoi a t-on mis dans un même article la durée et le nombre de mandat possibles au Sénégal?
Cette question n'a aucun sens. Demandez à ceux qui se la posent s'ils veulent que l'on parle de la durée du mandat dans les articles consacrés au caractère laïc de la République et du nombre de mandat dans les dispositions relatives à la liberté d'association. Vous voyez, ces deux dispositions ont été associées simplement par souci de cohérence. En langage trivial, cela signifie que les chiens vont avec les chiens, les chats avec les chats. Wassalam
Ioa
En Janvier, 2023 (12:28 PM)Juste
En Janvier, 2023 (12:13 PM)Est il leader d'opinion ? Pas sûr. C'est en tout cas malhonnête de se targuer d'une uelconque autorité morale pour afficher sa posture politique déjà que personne ne l'a sonné, ce zouave.
Felwine
En Janvier, 2023 (12:49 PM)NB/ tu as raison, MAcky SALL n'a pas droit à un troisième. Tu devais t'en arrêter là.
Yeet
En Janvier, 2023 (13:55 PM)équité
En Janvier, 2023 (14:38 PM)Ladji Kalabanté
En Janvier, 2023 (14:43 PM)