Journaliste-formateur au Cesti, le journaliste Mamadou Kassé passe de la description stricte des faits qu’exige le journalisme à la fiction, domaine par excellence du roman. Paru depuis le 9 décembre, le livre « Une si longue aventure » aborde des questions brulantes telles que la malaria et la mortalité maternelle au troisième millénaire, censé être celui de l’accès à tous les besoins sociaux de base.
L’auteur Mamadou Kassé a participé à plusieurs ouvrages collectifs. Il vient de sortir son tout premier livre personnel. Voici la préface du livre rédigée par un autre journaliste-écrivain, Amadou Fall.
Préface
On entame « une si longue aventure »comme une plongée dans une vie qui devrait être à des années lumières de nos existences présentes, et qui pourtant est encore l'ordinaire des nombreux êtres dans le pays profond. Le roman de Mamadou Kassé vous prend d'entrée aux tripes, en déchirant par touches subtiles, presque pudiques, le voile des charmes bucoliques des campagnes, pour vous faire entrevoir l'envers du décor, entrer dans un univers hideux, triste et mortifère, d'un incroyable anachronisme. Alors que ce millénaire était dit celui de toutes les lumières qui autorisent tous les espoirs de bien-être et de mieux-être, on y meurt encore et abondamment de la malaria, ou en donnant la vie, comme la mère de Ma-Ndoumbé, dans un dénuement révoltant.
Mamadou Kassé parle de ces drames et d'autres, par l'écrit, brisant des silences.« Ecrire, […] c'est hurler sans bruit », disait Marguerite Duras.
Ma-Ndoumbé est le héros de « une si longue aventure »que Mamadou Kassé nous conte dans les lignes admirablement ciselées qui suivent. Elles ne pâliraient point à côté de celles qui font la trame des romans classiques que l'on aime lire et relire et qui ont fini par entrer dans les anthologies d'ici et d'ailleurs. C'est tout le mal que l'on souhaite à cette œuvre, tant ses qualités littéraires sont remarquables et indéniables.
L'histoire de Ma-Ndoumbé n'est aucunement à l'image d'un long fleuve tranquille. C'est celle tourmentée de tous ces jeunes ruraux et citadins, matraqués par un destin dont les scories ont pour noms : manque de repères ou d'accompagnements parentaux, non-scolarisation, sécheresse cyclique et impossibilité conséquente de vivre décemment de la terre, marasme, chômage, mal-vivre et perte d'espoir dans la grande ville.
Mamadou Kassé décrit, analyse et commente admirablement ces sinistres réalités, au fil de chapitres concis qui s'enchaînent comme les séquences d'un film documentaire, ou les articles d'un grand reportage de presse écrite. Il nous les fait sentir, toucher et vivre, avec son héros ordinaire mais très humain, du terroir à la capitale puis aux portes du mythique Eldorado occidental où il échouera avec ses rêves de faire fortune, d’honneur et de dignité à retrouver, pour lui et les siens.
Quand tu ne sais pas où tu vas, alors retourne là d'où tu viens. Je déclinerais autrement cet adage : Quand tu sais qu'on refusera de t'accueillir, de t'offrir une place au soleil, là où tu veux aller, alors retourne là d'où tu viens. C'est la très sage et réaliste décision que Kassé fait prendre à son héros, au terme de son aventureuse pérégrination jusqu'au pied d’un de ces murs derrières lesquels l'Ailleurs se barricade, brise des espoirs qui ne sont qu’illusions, le plus souvent. Faisant fi de l'opprobre, des quolibets et regards narquois en biais qui lui seront jetés, comme ils le sont toujours à ceux qui reviennent au pays matériellement plus pauvres qu'ils ne l'étaient, Ma-Ndoumbé s'est résolu à franchir le Rubicon dans le sens inverse, à revenir s'investir dans son terroir pour s'y réaliser par lui-même, avec les siens, dans son élément.
Là est une des grandes leçons de ce roman. Il nous rappelle, non sans insistance, que, dans ce pays où tout est à construire ou reconstruire, une foultitude d'opportunités d'épanouissement individuel et collectif existent qui ne demandent qu'à être profitablement valorisées, dans les campagnes comme dans les milieux urbains et suburbains, par cette jeunesse qu'il faut impérativement sortir de la désespérance suicidaire. A la condition évidente d'une politique économique et sociale bien pensée et d’investissements conséquents qui ne soient pas détournés de leurs objectifs. L'auteur ne l'exprime pas textuellement en ces termes que nous inspire la lecture de certains passages de l'ouvrage. Mais c’est tout comme…
Cet ouvrage n’est assurément pas un roman ordinaire. Il est également historique. Les péripéties de Ma-Ndoumbé s’entrelacent avec la saga du Sénégal en particulier et de l'Afrique en général, de l'Égypte ancienne à nos jours, en passant par les odieux moments de la traite négrière et de l'esclavage, les temps glorieux de la résistance à l'impérialisme occidental, la sombre nuit coloniale, les guerres mondiales, le temps euphorique des indépendances et les espoirs et illusions de renouveau d'après. La deuxième leçon est là, en filigrane : les adversités furent et demeurent nombreuses et de tous ordres ; il faut, en tout instant, continuer inlassablement à faire front, à rester digne, à croire en nous, à faire valoir notre capacité de transcender nos faiblesses structurelles ou imposées et de construire un avenir meilleur par nous-mêmes et pour nous-mêmes.
Pour un coup d'essai, ce premier livre est franchement une réussite ! « Une si longue aventure » a été mené de très belle manière, de bout en bout. Il ne pouvait en être autrement. Une plume de la trempe de Kassé excelle naturellement dans ce nouvel exercice, comme dans son cœur de métier, le journalisme que nous avons pratiqué ensemble et en duo confraternel et fraternel, au quotidien national « Le Soleil », des décennies durant.
« Les journalistes s'occupent de choses qui passent et disparaissent. Les écrivains sont des journalistes de l'éternel. », a écrit Jean-François Somain, un romancier canadien. Si cela est vrai, alors quoi de mieux que d’être tout à la fois journaliste et écrivain ?
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