En 1961, il y a soixante ans, paraissait L’Aventure ambiguë*. Récit magistral de la rencontre tragique entre l’Afrique et l’Occident, ce roman est devenu une lecture incontournable pour des générations d’Africains. Certains ont dû même rédiger des dissertations analysant tel ou tel aspect de ce grand roman, pour obtenir leur bac. Son auteur n’est pas seulement un écrivain, mais il a aussi été une figure majeure de la vie politique sénégalaise.
Entre les années 1960 et 1990, Cheikh Hamidou Kane fut ministre dans les gouvernements de Senghor et d’Abdou Diouf et marqua les esprits par sa pratique politique basée sur des valeurs humanistes et démocratiques. Ainsi, en pleine crise gouvernementale qui a opposé en 1962 le président Senghor à son Premier ministre Mamadou Dia, il démissionna de son poste pour protester contre les dérives autoritaires du régime. Mais plus qu’à son action politique, c’est à son roman qu’est L’Aventure ambiguë, devenu un classique incontournable des lettres africaines modernes, que Cheikh Hamidou Kane doit sa réputation, qui dépasse aujourd’hui les frontières de son pays et de son continent.
La parution récente d’un nouveau livre consacré à ce monstre sacré des lettres africaines, sous la plume de l’éditrice Mariama Baldé, nous fournit l’opportunité de revenir sur ce parcours hors du commun. Cheikh Hamidou Kane : L’inoubliable étincelle de l’être (Éditions «?Paroles tissées?», 2020) est un ouvrage d’un format original. Réparti en cinq chapitres nommés d’après les cinq doigts de la main et composé d’entretiens avec l’écrivain, il éclaire les différents pans de la vie du dernier, de sa jeunesse studieuse à sa pensée panafricaniste, en passant par l’homme politique, le littéraire et le croyant.
« J’ai vraiment voulu que ce soit Cheikh Hamidou Kane qui inaugure la collection “Sillage d’hommes”, déclare Mariama Baldé. Cette collection est constituée de portraits que je qualifie de “philosophique”, qui étudie une personnalité et qui analyse une œuvre. Cheikh Hamidou Kane dépasse son œuvre et sa pensée touche les Africains, mais aussi le monde entier. Justement, il touche ce que j’aime à appeler “la nappe phréatique de notre humanité commune”. Quand il traite de la rencontre, il attire l’attention sur les dangers, mais aussi ce que la rencontre peut produire de beau. »
Cheikh Hamidou Kane est né le 2 avril 1928, à Matam, paisible bourgade du Fouta Toro, au nord du Sénégal, sur les rives du fleuve du même nom. Issu d’une grande famille de chefs traditionnels peuls et de lettrés musulmans, il fut élevé dans la plus pure tradition islamique. Il suivit les cours de l’école coranique, mais à l’âge de neuf ans sa famille décida de l’envoyer à l’école française, alors même que le débat faisait rage dans le Sénégal colonisé entre « les-pro et les anti-école étrangère ».
« Ce qu’ils apprendront chez les Français vaut-il ce qu’ils oublieront », telle est le dilemme qui secouait au début du siècle dernier l’élite sénégalaise. Ce dilemme est au cœur du roman autofictionnel de Cheikh Hamidou Kane, L’Aventure ambiguë, qui raconte le parcours tragique d’un jeune Africain à l’époque de la colonisation. Samba Diallo, le double de l’auteur, est arraché à son milieu traditionnel pour être envoyé à l’école française pour y acquérir le savoir et les valeurs de l’Occident conquérant, versé dans « l’art de vaincre sans avoir raison ». Brillant élève, Samba ira à Paris afin de parfaire sa formation intellectuelle, mais travaillé par la solitude et le sentiment profond de déracinement, il sombrera dans une crise identitaire à la fois existentielle et mystique. Il en mourra.
Initialement, L’Aventure ambiguë devait s’appeler « Dieu n’est pas un parent », un titre qui était en phase avec la dimension philosophique et spirituelle de ce roman. Dans les entretiens que l’auteur a accordés à Mariama Baldé et qui sont réunis dans son livre-portrait, il rappelle l’importance de la pensée philosophique qui constitue le soubassement de son roman. Cet aspect n’avait pas échappé aux premiers critiques de l’œuvre qui avaient souligné « l’intertextualité entre le Coran et l’œuvre de Cheikh Hamidou Kane ».
Confirmant la justesse de cette lecture, Mariama Baldé rappelle que « Cheikh Hamidou Kane a appris le Coran par cœur quand il était enfant. J’ai envie de dire qu’il a bu le Coran. C’est un texte qu’il a continué de lire et de visiter. Donc, rien d’étonnant que les critiques aient pu déceler des traces de ce texte dans L’Aventure ambiguë qui, par moments, a des accents poétiques et mystiques. Les descriptions de la nature, du ciel, des astres, ce sont des descriptions qu’on trouve dans L’Aventure ambiguë comme en écho du texte coranique. Le Coran s’appuie sur des symboles et éléments de la nature pour indiquer à l’homme des signes de Dieu. »
Interrompant son silence littéraire long de trente-cinq ans, Cheikh Hamidou Kane publie en 1995 son second ouvrage. Les Gardiens du Temple** s’inscrit dans la suite du premier, mais il est moins philosophique et plus politique. Il s’inspire de la guerre des chefs entre Senghor et son second Mamadou Dia, qui a marqué l’histoire sénégalaise moderne. Campé dans un pays africain contemporain qui ressemble au Sénégal résolument postcolonial, ce roman tente toutefois d’apporter des réponses aux conflits entre traditions et modernité mis en scène dans L’Aventure ambiguë. « Par exemple, si on s’interrogeait dans L’Aventure ambiguë, souligne Mariama Baldé, si la synthèse entre la tradition et la modernité était possible, le personnage de Saïdou Barry, qui est le héros des Gardiens du temple et qui montre une autre face de Samba Diallo, incarne, cette synthèse. Il y a aussi le maître dans L’Aventure ambiguë qui avait une vision très très austère de la vie, qui voulait même tuer toute exubérance de vie, alors que le maître dans Les Gardiens du Temple, il accepte la vie. Donc, ça montre deux approches de l’islam différentes. »
Des interrogations universelles
Homme de deux romans, Cheikh Hamidou Kane aime se définir comme un « écrivain à titre accessoire ». Acteur politique de premier plan, il a écrit à ses heures perdues pour témoigner des drames de la jeunesse africaine au sortir de la colonisation. Son œuvre dépasse, souligne Mariama Baldé, « son décor socio-culturel pour faire résonner des interrogations universelles sur la condition humaine ».
Ce qui explique pourquoi, venu à l’écriture par accident, le conteur de la rencontre ambiguë des civilisations a su s’imposer comme un écrivain essentiel de notre modernité planétaire.
3 Commentaires
Camou
En Avril, 2021 (19:26 PM)Mamadou Lamine Papa Ndao
En Juillet, 2024 (10:53 AM)et non autre canddidat La SITUATION NOUVELLE macky a fait son temps avec parti BBY viellissant
On passe a un Remake Diomaye Faye et pour quoi pas alors en RND avec Lepene presidente tiens en france instituteur president Laissons toutes ces choses possibles de nouveaux acteurs rationnels YOU CAN et au senegal
Sonko peut dissoudre assemblee
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