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L'addiction sexuelle est une prison qui peut mener à la déchéance

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L'addiction sexuelle est une prison qui peut mener à la déchéance
L'addiction ne dit jamais son nom, il faut la débusquer, la verbaliser pour qu'elle se manifeste et soulève la chape de plomb qu'elle a souvent créée.

3 à 6% d'entre nous seraient addicts au sexe. 80% de cette population serait masculine et aurait d'autres addictions parallèles, comme celles à la boisson, aux drogues ou au jeu.

À ne surtout pas confondre avec le dépassement des tabous, l'addiction sexuelle est une prison, d'autant plus cadenassée à l'ère du virtuel. Celui qui s'y laisse enfermer jouit d'abord d'un planant sentiment de liberté… mais ne tarde pas à ouvrir les yeux sur sa solitude et, parfois, sa déchéance.

Une dette

L'addiction a pour étymologie le fait d'être "en dette", c'est-à-dire assujetti, aliéné à une chose, dans l'impossibilité de lui échapper. La dimension de dette symbolique est au cœur de toutes les transactions psychiques. En effet, de façon inaugurale, nous devons notre existence à l'Autre. Sans le regard bienveillant de cet Autre maternel et consolateur, aurions-nous seulement pu survivre dans ce monde hostile? Cette dette inconsciente nous poursuit tout au long de notre vie, à mesure que nous devons nous autonomiser, devenir responsables de nos actes, de nos conduites, de nos sentiments. C'est d'elle que proviennent notre culpabilité originelle, notre peur d'être abandonné ou de décevoir.

Or, l'addiction sexuelle est un moyen très pernicieux d'oublier cette dette symbolique. En effet, l'Autre, dans sa dimension pleine et entière, avec ses qualités, ses défauts, ses parts lumineuses et aveugles, nous embarrasse plus ou moins toujours! Il faut se le "coltiner". Il est, par définition, différent de nous. Il est souvent plaintif, car nous ne lui convenons jamais tout à fait et il exige sans cesse que nous fassions des concessions en son nom si nous disons l'"aimer"… La relation amoureuse, pour être assumée, portée jusqu'au bout, exige une éthique, quelle qu'elle soit d'ailleurs. Elle peut reposer sur l'intégrité, l'honnêteté, la fidélité, la solidarité… Cela appartient aux partenaires engagés dans le lien.

Mais dans l'addiction au sexe, point de pacte ni de dette. La personne qui en est la proie a souvent le sentiment de faire l'économie d'un lot impressionnant d'angoisses liées précisément… à l'Autre, dans sa dimension persécutive, hostile, mystérieuse! "J'ai terriblement peur de m'engager. Je préfère enchaîner les escorts car elles me rassurent! Je sais que je ne leur plais pas vraiment, mais je peux me lâcher avec elle", explique Claude, qui a accepté d'entreprendre une cure à l'hôpital Marmottan, spécialisé dans les dépendances pathologiques.

Chaîne infernale

L'addict au sexe est dans une chaîne infernale, celle du désir, où tous les corps sont substituables, pourvu qu'ils correspondent à sa constellation de fantasmes. Souvent, ces derniers sont répétitifs, obéissent à des rituels qui provoquent l'excitation et abaissent le stress.

Alors, s'adonner à l'addiction revient à s'anesthésier, sortir des contraintes de la réalité… S'affranchir de la dette à l'autre? Pas vraiment. Croire que l'on s'en affranchit plutôt! Car il n'y a pas plus endetté que l'addict! En effet, le désir se transforme en besoin rapidement. "Je ne peux pas m'empêcher d'avoir au moins trois partenaires par jour! Sinon, je me sens trop seul", confie Renaud, un patient homosexuel de vingt-trois ans. Comme un drogué en manque de sa substance, l'accro au sexe va devoir succomber à la tentation sous peine d'être assiégé par l'angoisse.

Dégoût

Il y a souvent un dégoût de soi-même qui succède à l'état de soulagement. L'addict se retrouve coupé de son référentiel de valeurs, a parfois l'impression d'être complètement déconnecté d'avec lui-même. "Je respecte ma femme. Jamais je ne lui ferais ce que les acteurs de porno font aux actrices! Mais je regarde trois pornos par soir quand elle est couchée", murmure Michel, honteux devant ses actes. Attention, l'addiction sexuelle n'est pas la transgression des interdits, ce parfum de "no tabou" qui fait le piment de la sexualité! En effet, repousser les limites de ses fantasmes n'est pas éprouver le besoin incompressible de reproduire le même acte. Il y a une créativité, un partage, une myriade de sensations toujours nouvelles dans l'art et la manière d'enrichir sa vie érogène. Dans l'addiction, au contraire, il y a un tarissement, une répétition oppressante du même, qui conduit à un isolement radical.

Isolement

Souvent, l'addict fait cela "en cachette", dans une dimension hors-champ, parfois clivée avec sa vie amoureuse ou amicale. Cela est complètement différent d'une relation extraconjugale par exemple, où l'autre existe, prend corps, a un nom, une adresse, un statut dans sa vie. D'ailleurs, cela n'est même pas ce qu'on peut appeler un "plan cul", qui peut être lui aussi régulier, nominatif et même parfois source d'amitié, d'attachement, de respect. L'addict "consomme" du sexe, anonyme, impersonnel, évidé de sa substance subjective. Il cherche à combler un manque perpétuel par des kilos d'imaginaire, car il ne carbure qu'à son fantasme obsessif, sans frein.

Le rôle de l'industrie du porno

L'industrie du porno est une véritable église en la matière, car elle fomente de la nourriture addictive comme d'autres fabriquent des hosties! En effet, les corps sont anonymisés, les scénarios quasi identiques, le calibrage des acteurs requis en fonction de critères prédéfinis. Bref, pas de place à la surprise… "Surprise", le mot le plus affolant pour l'addict. En effet, rien ne doit être laissé au hasard sous peine d'être effrayé par l'Autre.

L'addict sexuel est d'abord un terrorisé du sexuel, justement, et se cramponne à une compulsion pour ne pas affronter l'insu, le nouveau, l'étonnant.

Le 21 janvier, nous proposerons au centre LGBT la première performance débat sur l'addiction sexuelle. Jérémy Flaum campera une dizaine de personnages issus de mon texte "Mes vies" sur Grindr, suivi d'un débat avec Alexandre Saint Gevin, docteur en psychanalyse, auteur d'une thèse sur la première application sexuelle gay mondiale. La performance est une manière de plonger le public dans une réalité. Immersion totale dans un langage, un mode de vie, une façon d'agir sa sexualité, pour mieux comprendre ses mécanismes et ses injonctions. L'addiction ne dit jamais son nom, il faut la débusquer, la verbaliser pour qu'elle se manifeste et soulève la chape de plomb qu'elle a souvent créée.



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