Face à la recrudescence de l’immigration clandestine, le gouvernement peine à trouver par quel bout appréhender le phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur. En effet, depuis le 7 octobre, au moins 7 pirogues ont été interceptées par la marine nationale et la Guardia civile Espagnol dans le cadre de l’opération Frontex. Des opérations de sécurisation en haute mer qui ne sont pas sans conséquences puisqu’une pirogue a chaviré au large de Dakar cette semaine après une collision avec le patrouilleur de la marine nationale, le bilan officieux fait état d’au moins 40 morts.
En plus du renforcement de la surveillance en mer, des voix s’élèvent au sein du gouvernement pour plaider la nécessité de « criminaliser » l’immigration clandestine afin de dissuader ces milliers de jeunes désœuvrés à la recherche d’un horizon meilleur au péril de leur vie. Maire de Saint-Louis où au moins 20 jeunes du quartier Pikine sont portés disparus (déclarés morts par certains) après l’explosion, vendredi dernier, de leur embarcation, Mansour Faye milite pour une criminalisation de l’immigration clandestine.
Mansour Faye pour la criminalisation
« J'estime qu’il faut penser à la criminalisation de la pratique, tout ce qui est passeurs, organisateurs, ceux qui profitent de la détresse des jeunes. Il faut les sanctionner durement et c’est une demande que nous lançons à l’endroit du chef de l’Etat pour pousser la réflexion à ce niveau. Il faut criminaliser cette pratique », suggère le ministre du Développement communautaire et de l’Equité sociale et territoriale, en marge d’une visite rendue aux parents des victimes à Pikine.
Une position qu’il partage avec son ancien camarade de parti Moustapha Diakhaté. « Criminaliser l’émigration clandestine pour mieux punir les braconniers de la détresse sociale et éradiquer le business de la mort », demande l’ancien directeur de cabinet du président de la République qui estime que seul un arsenal juridique corsé peut mettre fin au fléau qui est en train de décimer la jeunesse sénégalaise.
Aly Ngouille Ndiaye rame à contrecourant
Ministre de l'Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye prend leur contrepied de son collègue ministre. A l’en croire, les sanctions prévues par la loi de 2005 sont déjà assez dissuasives. La loi n° 2005-06 du 10 mai 2005 relative à la lutte contre la traite des personnes et pratiques assimilées et à la protection des victimes, dispose : « est punie de 5 à 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 à 5 000 000 la migration clandestine organisée par terre, mer ou air ; que le territoire national serve de zone d’origine, de transit ou de destination ».
Par conséquent, juge le ministre de l’Intérieur, inutile de durcir davantage. « Nous avons aujourd’hui un arsenal qui existe pour condamner de façon très ferme, les convoyeurs notamment. Le dispositif n’est pas répressif pour ceux qui y vont parce qu’ils sont considérés comme des victimes. C’est plutôt ceux qui vivent de ça qu’il faut poursuivre. On n’a pas besoin de criminaliser le système pour les condamner», a souligné Aly Ngouille Ndiaye hier en marge de la signature du document cadre de collaboration du suivi des activités liées à l’entreprenariat à l’échelle des circonscriptions territoriales.
Des voix discordantes au sein du même gouvernement qui montre, si besoin en était encore, que l’Etat peine à trouver la bonne formule face à la monté en puissance du fléau.
Les durcissements sont contreproductifs, selon Assane Dioma Ndiaye
Figure de proue de la défense des droits humains, Me Assane Dioma Ndiaye abonde dans le même sens que le ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye. Selon lui, les durcissements sont souvent contreproductifs surtout dans de pareilles circonstances. « Le durcissement ou encore la criminalisation ne sont jamais des solutions productives en matière de criminalité. La personne qui est dans une situation de commettre un crime ne se soucie pas de la peine qu'elle encourt », argue-t-il dans un entretien avec PressAfrik. Autrement dit, la peine de dissuade guère, soutient-il.
L’avocat regrette les propositions basées sur l’émotionnel qui se font entendre ces derniers temps. « Avec l'émotion, forcément, il y a des propositions, des réactions de tout bord. Mais je pense que ce qui est le plus urgent, ce n'est pas une criminalisation du phénomène en tant que tel. L'expérience montre qu'une criminalisation n'a jamais été un facteur de dissuasion : la peine de mort est là par rapport à certaines infractions. Et regardez avec la criminalisation du viol, on assiste toujours à la recrudescence du viol partout à travers le Sénégal », fulmine-t-il.
Pour la robe noire, l’épine dorsale de ce trafic humain ce sont «les propriétaires de pirogues ou passeurs ». « Ce sont eux qui organisent les voyages et encaissent réellement l'argent », confie-t-il. Mais ce qu’il faut constater pour le déplorer, c’est que c’est « le menu fretin, les migrants qui sont souvent traduits devant les tribunaux et condamnés ».
En attendant de trouver la bonne formule dissuasive, les pirogues reprennent le large pour un aller simple à Barça ou Barzak.
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