Victime d’une urbanisation galopante, la presqu’île du Cap-Vert voit sa superficie d’espaces boisés réduite à la portion congrue.
Stop à l’urbanisation galopante de Dakar qui ajoute de la pierre à la pierre. « Pourquoi la ville n’aurait-elle pas son Central Park avec des arbres, des fleurs, un lac, des animaux, de la pelouse ? », s’insurge Mamadou Sakho, un militant écologiste sénégalais de 35 ans.
Samedi 29 février, la séance de projection de son documentaire Sénégal vert. Horizon 2035 a rassemblé à la librairie de L’Harmattan de Dakar une centaine de jeunes citadins. Tous militent pour que leur ville, vitrine du pays, ne ploie plus sous le poids d’une urbanisation galopante, mais regagne « son lustre d’antan ». Un groupe parmi d’autres où, aujourd’hui dans la capitale du Sénégal, les citoyens se mobilisent pour une ville plus verte.
Mi-janvier, Mamadou Sakho avait publié une pétition largement relayée sur les réseaux sociaux. Il voulait transformer l’ancien aéroport international Léopold-Sédar-Senghor de Dakar – 600 hectares en plein cœur de la capitale – en réserve naturelle. Cet espace serait « la symbolique d’une nouvelle vision écologique non seulement sénégalaise, mais tout simplement africaine », souligne-t-il dans sa pétition.
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Si plus de 20 000 personnes l’ont signée, peu croient le projet possible. En 2017, l’aéroport international du Sénégal déménageait à cinquante kilomètres de Dakar, laissant ouvertes les possibilités pour ce gigantesque espace de la presqu’île. Une partie de l’ancienne infrastructure est dès lors confiée par décret présidentiel à l’armée, qui l’utilise pour les manœuvres aériennes militaires, les voyages présidentiels et ministériels.
Le reste est cédé au goutte-à-goutte pour la construction d’immeubles privés et d’opérations immobilières. Un projet de cité financière futuriste a d’ailleurs été annoncé. Mais, depuis, plus un mot sur ce qui devait ressembler à la Casablanca Finance City, reconnue comme la première place financière du continent, mais reste un projet dans les limbes.
« Une ville qui ne respire plus »
Dans ce contexte, les citoyens sentent bien que leur mobilisation massive peut faire plier les politiques. Et qu’il y a urgence. Aujourd’hui, le parc forestier et zoologique de Hann, situé à 6 kilomètres du centre-ville, est le seul endroit où les Dakarois peuvent respirer sous les arbres. Soixante hectares de verdure pour plus d’un million et demi d’habitants à Dakar même, c’est peu.
Selon le plan directeur d’urbanisme de Dakar et de ses environs horizon 2035 du ministère sénégalais du renouveau urbain, de l’habitat et du cadre de vie, « la superficie d’espaces verts [est] de 0,15 mètre carré par personne actuellement » dans la capitale. Un chiffre que le ministère voudrait faire passer à « 1 m2 par personne », toujours selon le document.
Pour Mamadou Sakho, cet objectif est impossible à atteindre si un espace comme celui de l’ancien aéroport ne redevient pas vert. « C’est la dernière chance d’avoir un poumon dans cette ville qui ne respire plus », insiste-t-il. D’autant que la population urbaine continue à croître à un rythme élevé.
Face à la pression foncière, le littoral est aussi menacé. Le 15 février, Riad Kawar, un autre militant écologiste dont la page Facebook « La météo dakaroise de Riad » est très suivie, publiait une vidéo alarmiste. « Des promoteurs immobiliers sont en train de détruire les falaises qui protègent le Plateau [centre-ville] de Dakar », prévient-il, montrant des pelleteuses repoussant la terre de la falaise vers la plage du Cap Manuel, à une extrémité de la presqu’île.
« Des constructions anarchiques »
Au lendemain de cette vidéo devenue virale, la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation du sol (DSCOS) a fait arrêter le chantier. Mais « c’est certainement temporaire », se désole Riad Kawar. Non loin, il a remarqué que des résidences immobilières avaient déjà « grappillé » sur la falaise. Il y a même, ça et là, « de graves craquelures », raconte-t-il, inquiet des mouvements de terrain induits par les constructions, qui font risquer éboulements et glissements de terrain.
Le grignotage foncier du littoral n’est pas nouveau à Dakar. Le protéger, c’est le combat d’une vie pour Moctar Ba, qui fait partie des outrés de la première heure. Depuis les années 2000, l’association Nouveau Monde qu’il préside a vu des « constructions anarchiques » grignoter le littoral, ce « joyau de Dakar ». Depuis quelques années, une zone comme la corniche ouest, au plus près de la mer et dont l’urbanisation est très réglementée, est en travaux permanents, en dépit des réglementations en vigueur.
A l’occasion de la dernière élection présidentielle, en février 2019, il avait même rédigé un « Pacte politique pour sauver le littoral », enjoignant les cinq candidats en lice de « prévenir la perte irréversible du capital biologique, esthétique et identitaire [que le littoral] représente » mais aussi, de « lutter contre tout bradage ».
Comme Saliou Beye qui travaille aux abords de l’ancien aéroport, il ressent le sentiment d’être lésé, oublié comme l’intérêt général. Il assure que Macky Sall, alors candidat et réélu à sa propre succession, l’avait félicité pour son pacte. Mais depuis, « rien n’a bougé ».
Reboiser toute la corniche de la presqu’île
La raison de cet immobilisme tient en une bulle spéculative qui gangrène la capitale. La ville est mangée par « un urbanisme d’opportunités foncières », explique Djibril Diop, chargé de cours à l’Ecole d’urbanisme et d’architecture de paysage à la faculté de l’aménagement de l’université de Montréal.
Une problématique dont il s’est emparé dans un livre publié en 2012, Urbanisation et gestion du foncier à Dakar : défis et perspectives. « La demande est forte, c’est une manne financière très importante, assure-t-il au Monde Afrique. Tout est vendu par opportunisme. »
Normalement, les prix sont définis par quartier par l’Etat. En réalité, ceux pratiqués sont doublés, voire triplés. Face à de tels enjeux économiques, et malgré l’existence de différents codes, comme celui de l’environnement, des collectivités locales et territoriales, de l’urbanisme, qui protègent certaines zones de la ville de toute construction, la préservation de l’environnement ne fait pas le poids.
Quelques citoyennes adoptent des stratégies astucieuses, de dernier recours. Il y a quelques mois, Mara Baalbaki, une femme d’affaires, a créé l’association Ecolibri pour reboiser toute la corniche de la presqu’île. Repérant un endroit vierge pour l’instant épargné de tout projet de construction, elle y a planté quelques arbres et des plantes résistantes. « S’il y a quelque chose, normalement on n’y touchera pas », précise-t-elle avec un air malicieux. Une astuce réitérée par Riad Kawar qui a fait planter plus de cent cinquante arbres pour stopper les pelleteuses aplanissant la falaise.
Depuis son élection, fin septembre 2018, Soham El Wardini, la maire de Dakar, veut rendre la capitale plus saine. Mais le partage de la gestion des espaces entre la ville, les collectivités locales et l’Etat rend les réponses trop lentes et floues pour la population. Un « Central Park » au cœur de Dakar, un littoral protégé, une utopie ? « Peut-être, répond Mamadou Sakho, mais on ne va pas lâcher l’affaire. »
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