Dans le cadre de l'examen en Commission* du PLFSS 2017, des députés ont voté le conventionnement sélectif des médecins libéraux en zone surdense (une nouvelle installation pour un départ). La fin de la liberté d'installation, mesure défendue par un ensemble hétéroclite de responsables politiques, fait partie d'un plan global de changement de notre modèle de santé, dans lequel les libertés individuelles en santé pour la classe moyenne n'ont plus leur place, soutenu par un ensemble hétéroclite de personnes.
L'histoire a montré que la liberté d'installation était la solution et pas le problème
Le principe de la liberté d'installation a forgé un modèle envié dans le monde entier pour l'accessibilité par la population sur tout le territoire à un médecin de proximité de qualité. En 2010, plus de 95% de la population avait accès à un médecin à moins de 10 minutes de sa résidence en France. Alors que le médecin libéral doit s'installer proche du lieu de vie de ses patients s'il veut développer une patientèle suffisante, le médecin salarié n'a pas cette contrainte de la proximité et de la facilité d'accès. D'ailleurs, les plus grands déserts médicaux sont en médecine scolaire, en médecine du travail et en médecine hospitalière où les médecins sont salariés. Les expériences étrangères ont montré que le conventionnement sélectif réduit les installations et les vocations au global. Ceux qui veulent s'installer en zone surdense se mettent remplaçants, sans aucune incitation pour eux à aller s'installer ailleurs.
La belle mécanique de la médecine libérale a fonctionné jusqu'à ce que l'État s'immisce dans l'organisation des soins. L'Etat a d'abord baissé de moitié le numérus clausus qui descendra à 3500 en 1992. Il faudra 20 ans pour qu'il admette la contre-vérité économique du raisonnement selon lequel la maitrise des dépenses de santé passait par la réduction du nombre de médecins. Ensuite, la décision d'étatiser la gouvernance du système de santé a été prise avec le virage étatique des ordonnances Juppé de 1996. Ce virage fait suite aux recommandations du rapport Soubie paru en 1993 ("Santé 2010") qui fait l'éloge d'une reprise en main par l'État de l'organisation des soins pour mieux réguler les dépenses. Soubie considére alors que leur forte croissance était avant tout liée à l'excès de liberté des soignants. Comme en médecine, une erreur de diagnostic conduit à un traitement inefficace. L'Etat n'a pas encore admis son erreur d'analyse des années 90. Cet étatisme croissant sera la feuille de route de toutes les lois santé, la dernière de 2015 étant emblématique de cette ligne.
L'État central a fait ce qu'il sait faire de mieux : mettre en place un mammouth technocratique coûteux, déresponsabilisant et inefficace. Après l'éducation nationale, c'est le système national de santé. L'État a démontré avec l'hôpital public qu'il état un piètre gestionnaire, un mauvais manager et un opérateur sans vision d'avenir. Alors que notre médecine de ville - assise sur une médecine libérale complétée par une offre sociale en centre de santé - est la plus coûteuse des pays développés (avec 25% des dépenses totales de santé contre 33% en moyenne dans l'OCDE), l'État a décidé d'en reprendre le contrôle via ses satellites régionaux, les agences régionales de santé (ARS). Le délitement de l'hôpital public s'accompagne désormais de celui de la médecine de ville.
Le vrai enjeu est le choix de notre modèle de santé pour le XXIème siècle
L'Etat s'obstine dans ses erreurs en franchissant une nouvelle étape depuis 2012 : la remise en cause des libertés individuelles en santé. On pourrait saluer la position de la Ministre Touraine opposée au conventionnement sélectif, si les dégâts causés par ses précédentes mesures n'étaient pas aussi élevés. La loi Le Roux de 2013 a affaibli la liberté de choix de son professionnel de santé en autorisant les réseaux de soins mutualistes, qui préfigurent aussi la suppression de la liberté de prescription lorsque ces réseaux seront puissants. Comme la loi Le Roux, le conventionnement sélectif fait mine de laisser en place les libertés en instaurant une pénalité financière (le non remboursement des consultations par l'Assurance Maladie) en cas d'exercice de cette liberté ce qui la supprime en réalité pour les plus défavorisés. Comme souvent, l'affaiblissement de la liberté produit avant tout de l'injustice sociale. Cela a été aussi le cas du plafonnement des remboursements des contrats responsables instaurés en 2014 qui désolvabilise les classes moyennes pour les consultations de spécialistes. Sa loi 2015 consacre l'étatisation de la gouvernance.
Notre système de santé et ses principales composantes, dont la médecine libérale, n'ont pas été adapté à la triple transition démographique, épidémiologique et technologique de ce début du XXIème siècle. Le peuple doit trancher entre la refondation de notre modèle historique fondée sur la liberté, l'égalité et la solidarité et l'instauration d'un grand service national public de santé à l'anglaise, sans liberté pour la classe moyenne. L'affrontement électoral devrait être projet contre projet face à ces deux seules alternatives. On en est loin quand on voit certains ténors de la droite défendre la première option tout en laissant entendre** qu'ils continueront dans les grandes lignes la politique actuelle. Quant aux partisans de la deuxième option, certains donnent l'impression de saisir leur dernière opportunité avec ce PLFSS de faire leur jihad anti-libéral, quitte à se sacrifier en 2017. Une de leurs égéries, Catherine Lemorton, qui avait suspecté les médecins libéraux le 19 juin 2014 sur RMC de laisser mourir dans leurs cabinets les patients impécunieux, n'est autre que la Présidente de la Commission des affaires sociales qui a voté cet amendement. Ils n'ont aucun programme structuré pour leur modèle, autre que la destruction de l'existant. Quant à certains autres opposants à la liberté d'installation, ils sont convaincus qu'ils feront du médecin leur dernier levier pour l'aménagement de territoires que l'État, le curé et l'instituteur ont déjà déserté.
On voit bien que la seule issue pour sortir de cette impasse politique passe par un engagement citoyen fort de la société civile, qui comprend le nouveau monde et qui réformera notre pays en conséquence. Pour cela, la sauvegarde des libertés individuelles est un pré-requis non négociable. Comme l'écrivit Victor Hugo, "sauvons la liberté, la liberté sauvera le reste"!
*Vote en Commission des affaires sociales d'un amendement de la députée Annie Le Houerou au sein du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
** Voir les propos tenus le 25 Octobre 2016 à l'Assemblée Nationale par les représentants de certains candidats à la Primaire de la droite et du centre.
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