Chef du service des maladies infectieuses et tropicales du Centre hospitalier national universitaire de Fann, Dr Moussa Seydi pilote la lutte contre le Coronavirus, qui secoue le monde. Le Sénégal a enregistré 4 cas de personnes infectées du Covid-19, dont l’un, appelé le «patient 0», a été déclaré guéri. Rencontré hier soir dans ses bureaux à Dakar, il revient sur la stratégie du Sénégal pour faire face à la maladie.
Le «patient 0» du Coronavirus au Sénégal a été déclaré guéri. Comment avez-vous réussi à le soigner ?
La guérison de ce patient n’est pas une surprise. C’est un patient qui avait une forme non grave de la maladie. Et c’est un patient qui était aussi très discipliné. Ce qu’il y avait à faire, c’était juste une prise en charge qui respecte les normes pour éviter que le personnel soit contaminé. Et par rapport à cela, nous avons l’équipement qu’il faut. Je voudrais profiter de l’occasion pour rappeler qu’il y a eu, c’est vrai, des décès, plus de 3000 dans le monde, mais les malades guéris sont beaucoup plus nombreux que ceux qui sont décédés. Donc la guérison d’un malade n’est pas un exploit en soi. Il n’y a rien d’extraordinaire par rapport à cette situation.
Vous dites que c’est un patient discipliné, que voulez-vous dire par là ?
C’est un patient qui respectait rigoureusement toutes les consignes. Et dès le début, quand il a senti qu’il avait des signes de la maladie, il a pris des mesures pour protéger sa famille. C’est pour cela d’ailleurs qu’aucun membre de sa famille n’a été infecté. Donc il était là, suivait les consignes, respectait les prescriptions. C’est un patient très facile à suivre, qui n’a posé aucun problème. Quand vous prenez en charge un patient qui n’accepte pas de suivre les conseils, cela peut poser des problèmes.
Donc le comportement du patient est important ?
Absolument. Vous pouvez prescrire un traitement à un malade et ce dernier peut refuser de le prendre. Il peut vous dire qu’il a pris son traitement et quand vous vérifiez, vous remarquez que cela n’a pas été le cas. Ce sont des choses qui arrivent. Nous avons des malades hospitalisés, qui déclaraient prendre leurs médicaments, mais après vérification, vous voyez les médicaments sous leur lit. Donc, le comportement est important.
Peut-on dire, après ce patient guéri, que le Sénégal a un traitement spécifique pour le Coronavirus ?
Non, pas du tout. C’est pour cela que je veux insister sur le fait que nous n’avons rien fait d’extraordinaire. C’est vrai que j’ai une équipe compétente, dévouée, engagée, je suis très heureux d’avoir une équipe pareille, ils sont très consciencieux. Tout a été fait dans les règles, dans les normes. On souhaite que tout se passe bien, mais même si un cas ne se passait pas bien, nous aurions la conscience tranquille. Parce qu’en médecine, il y a ce qu’on appelle l’obligation de moyens, mais pas d’obligation de résultats. Cette équipe a fait tout ce qu’il fallait faire pour tous les malades. Mais tout ce qu’on a fait, ce sont des choses qu’on peut faire partout. Je ne veux pas du tout qu’on pense que nous avons appliqué un traitement sénégalais. Il n’y a pas de traitement sénégalais de la maladie. Ce qu’on a fait pour ces malades, cela peut se faire dans n’importe quel centre de santé quand il ne s’agit pas d’un cas grave. Le seul problème qui se poserait, c’est le fait de respecter toutes les procédures, d’avoir tous les équipements qu’il faut, parce qu’il y a un circuit à suivre pour le malade et un circuit pour le médecin. Il y a une manière de s’habiller, de se déshabiller, de faire des désinfections, il y a une chronologie à respecter dans cette désinfection au cours de nos visites auprès du malade, et nous faisons ces visites avec le service d’hygiène. Donc, c’est une prise en charge très lourde, qui s’accompagne de beaucoup d’autres choses, mais le traitement en lui-même n’est pas complexe. Même si c’est un malade grave, qui ne peut pas respirer, on utilise une machine pour l’assister. C’est un traitement symptomatique, qui est important, il faut l’avouer, parce que pour des cas graves, si vous ne faites pas le traitement symptomatique correctement, le malade peut facilement mourir. Donc un bon traitement symptomatique permet de réduire les risques de décès. Le traitement symptomatique est souvent prioritaire sur le traitement contre le virus lui-même. Juste pour dire que ce n’est pas un miracle, c’est naturel. Regarder le nombre de décès et le nombre de cas de contamination dans le monde, vous verrez que généralement, les gens guérissent. Il y a beaucoup de décès en Italie, en France, en Chine, c’est parce qu’ils ont beaucoup de cas. Donc, c’est logique.
Avec l’épidémie de maladie à virus Ebola, vous aviez réussi à guérir le seul cas que le Sénégal avait connu, aujourd’hui encore, vous avez guéri un patient du Coronavirus, quel est votre secret ?
Il n’y a pas de secret. Le traitement est le même partout dans le monde entier. Pour ce cas, c’est un sujet qui est jeune, donc la létalité est basse, elle est de 0,2% chez les personnes de cet âge. A 80 ans, le risque est de 14%. Donc, le risque de décès n’était pas énorme. On ne dira pas qu’il n’existe pas, puisqu’on a donné un taux, mais il est bas. Ensuite, le patient n’avait pas d’autres maladies, il n’avait pas de diabète, d’hypertension artérielle ou d’insuffisance rénale etc. Pour tous les malades, on les traite en fonction de la symptomatologie, ce n’est pas un traitement compliqué. Ce qu’on fait, c’est respecter toutes les procédures et ne commettre aucune faute médicale. C’est cela qui est important pour le médecin. Le médecin, on le juge à travers sa capacité à prodiguer les meilleurs soins du moment, avec les meilleurs moyens possibles. Maintenant, quand ça évolue bien, tant mieux, parce que c’est cela notre objectif. Mais on ne peut pas considérer l’évolution favorable d’une pathologie, qui est en général guérie, comme quelque chose d’extraordinaire.
Et s’il s’était agi de la forme la plus grave de la maladie, est-ce que vous avez le nécessaire pour prendre en charge les malades ?
Oui, nous avons le nécessaire. Mais pour les formes qui nécessitent une respiration assistée, nous voulons avoir notre propre matériel. Par exemple, ceux qui ont besoin d’une machine pour respirer, si nous devons les prendre en charge, nous serons obligés d’utiliser les machines des autres services de l’hôpital comme le service de la réanimation. Mais la commande a été faite pour que nous ayons notre propre matériel. Ce sont des équipements très lourds, nous le comprenons, mais nous voulons avoir tout sur place. Même s’il y avait des cas graves, les machines existent.
Si vous deviez faire la comparaison entre le Coronavirus et Ebola, que diriez-vous ?
Cela va être difficile de comparer les deux maladies. Sur le plan de la gravité, on ne peut pas les comparer. Parce que la maladie à virus Ebola peut tuer jusqu’à 90% des personnes infectées, plus d’une personne sur deux, meurt. Alors que pour le Coronavirus, en règle générale, sur 100 malades, ce sont deux à trois personnes qui meurent, selon les dernières statistiques. En Europe, c’est un patient sur 100 qui meurt. Donc on ne peut pas comparer ces deux pathologies quand on se base sur la létalité. L’autre chose, c’est qu’en règle générale, la maladie à virus Ebola s’accompagne de signes cliniques qui peuvent être sévères, parce que pouvant nécessiter une hospitalisation, alors que pour cette maladie, dans 80% des cas, ce sont des signes qui peuvent, c’est vrai, nécessiter une hospitalisation, mais qui n’engagent pas le pronostic vital du malade. Mais là où on a des difficultés avec le Coronavirus, c’est que la possibilité de transmission est beaucoup plus rapide. La maladie à virus Ebola est extrêmement contagieuse, mais la propagation de la maladie à Coronavirus est beaucoup plus rapide. Si on a un ou deux millions de cas, même avec une létalité de 0,2% ou de 1%, ce sera beaucoup de morts. Je ne veux pas qu’on néglige cette maladie à Coronavirus, mais la comparaison n’est pas possible.
D’aucuns disent que le virus ne résiste pas à la chaleur, raison pour laquelle il n’y a pas beaucoup de cas en Afrique et plus précisément au Sénégal, que répondez-vous à cela ?
(Rires) Il ne faut pas se rassurer avec ça. On disait que la maladie à virus Ebola, c’était en Afrique centrale, mais c’est venu en Afrique de l’Ouest, la dengue, on disait que c’était en Asie, mais c’est venu chez nous. Donc il ne faut pas se focaliser sur cela et prendre les précautions qu’il faut. La preuve, nous avons des cas au Sénégal, même si ce sont des cas importés. Donc on n’en sait rien, c’est peut-être vrai, mais nous n’avons pas de preuves. Considérons donc que le danger est là et prenons nos précautions. Il y a des choses que nous ne savons pas encore sur la maladie.
Qu’en est-il de l’état des trois autres patients ?
Les trois cas évoluent très bien, je ne veux pas me focaliser sur une personne en particulier, parce qu’il faut respecter la confidentialité. Mais ils sont tous les trois en voie de guérison et nous n’avons absolument aucun sujet d’inquiétude. A l’heure où je vous parle, tout évolue de manière excellente, mais en médecine, on est toujours prudent dans les pronostics. On ne peut pas dire ce qui va arriver demain, mais ce serait une très grosse surprise pour nous de voir une complication de quelque nature que ce soit chez ces patients. Aussi bien les examens cliniques que les examens de laboratoire, montrent des éléments très favorables. Donc on n’est pas du tout inquiets.
Quand vont-ils sortir ?
On ne peut pas donner de date exacte, chaque malade a sa manière d’évoluer. Mais en règle générale, c’est dix jours. Certains guérissent en une semaine, d’autres en dix jours, en moyenne.
Après l’annonce de la guérison du «patient 0», les gens ont beaucoup applaudi, est-ce que cela ne va les pousser à négliger la prévention ?
C’est possible, et c’est pour cela que la communication doit être claire. On ne doit pas banaliser une maladie. En règle générale, ce n’est pas une maladie qui tue, dans 80% des cas, il n’y a pas des signes de gravité, et dans les 20% restants, c’est peut-être 5% qui auront besoin d’assistance respiratoire. Et on ne sait pas quel malade va évoluer vers ce stade. Donc il ne faut pas minimiser les mesures à prendre, c’est une maladie qui tue. Minimiser cette maladie serait une erreur grave et fatale. Il faut prendre les informations telles qu’elles sont, rassurer la population, ne pas être dans l’angoisse et la panique, parce qu’il n’y a pas de raison de s’angoisser ou de paniquer. Mais il ne faut pas prendre cette information pour un appel au laxisme, ce serait gravissime, on ne doit pas être négligeant. Il faut intensifier la surveillance.
Des acteurs de la santé ont dénoncé un certain laxisme de la part des autorités dans la gestion de cette épidémie, et également un manque de moyens, êtes-vous du même avis ?
Je suis au niveau de la prise en charge, je n’ai pas une vision globale de tout ce qui se passe. Mais pour moi, ici à l’hôpital Fann, il n’y a pas de laxisme. Parce que ce dont j’ai besoin pour travailler, je l’ai en quantité suffisante. Il y a une pénurie d’équipements de protection, mais nous en avons suffisamment, nous avons les désinfectants dont nous avons besoin, le ministère a recruté du personnel en plus pour notre service, nous avons la possibilité de d’étendre le centre de traitement, de 12 à 36 lits en moins d’une semaine, les machines de ventilation, qui coûtent excessivement cher, ont été commandées, et il y a d’autres projets sur lesquels on travaille. Donc en ce qui nous concerne, il n’y a pas de laxisme. Nous avons même commencé une formation des formateurs. Quoi qu’il en soit, il faut toujours améliorer, il y a toujours de petites choses à parfaire, mais nous avons l’essentiel. Tout est au point pour la prise en charge des patients.
Un conseil pour les populations ?
Je leur dis que s’il n’y a pas beaucoup de cas au Sénégal et s’il n’y a pas de transmission locale, on peut toujours être rassuré. Mais le fait d’être rassuré ne doit pas entrainer le laxisme en matière de précautions individuelles et collectives, comme dans les grands rassemblements. Si aujourd’hui on organise un événement qui va rassembler beaucoup de personnes, des gens qui viennent de France, d’Italie et d’ailleurs, cela peut créer une flambée. C’est maintenant qu’il faut se battre, et insister sur la prévention. C’est quand on a un cas qu’il faut tout faire pour que ça s’arrête là, et non se glorifier et relâcher les mesures préventives.
SOPHIE BARRO et ADAMA DIENG
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