Encore un médicament au nom barbare et très prescrit dans le collimateur de la pharmacovigilance… Une enquête a été ouverte par l’Agence nationale de sécurité du médicament en septembre sur les produits contenant du docétaxel à la suite du décès de trois femmes soignées pour un cancer du sein, a annoncé mercredi l’ANSM dans un communiqué. Depuis, deux autres femmes qui suivaient ce même traitement sont décédées en novembre 2016 et février 2017. Le produit très utilisé dans le traitement du cancer est-il responsable ? Il faudra attendre le 28 mars pour avoir le résultat de cette enquête qui « est en cours de finalisation ». 20 Minutes fait le point sur cette affaire.
Qu’est-ce que ce produit, le docétaxel, et dans quel cas est-il utilisé ?
« Ce produit est utilisé dans 30 à 50 % des traitements du cancer du sein », souligne Paul Cottu, chef du service d’oncologie médicale à l’Institut Curie. Et plus rarement pour les cancers du poumon, de la prostate, de l’estomac et tous les cancers concernant la zone ORL. Son action ? « Le docétaxel tue les cellules cancéreuses », synthétise le médecin. Il attaque l’action du matériel génétique (ADN) qui est nécessaire à leur croissance et à leur reproduction. Cet agent de la chimiothérapie est utilisé par injection.
Quelles sont les hypothèses pour expliquer ces cinq décès ?
Selon le communiqué de l’ANSM les cinq patientes sont décédées d’une « entérocolite sur terrain neutropénique ». « L’entérocolite est une inflammation brutale du tube digestif qui, après des complications infectieuses, se transforme en septicémie », explique l’oncologue de l’Institut Curie. Quant à la neutropénie, c’est un trouble hématologique qui se caractérise par un taux très bas de globules blancs.
Selon l’ANSM, « la neutropénie est l’effet indésirable le plus fréquent observé avec le docétaxel », c’est pourquoi l’agence rappelle qu’il faut qu'une « surveillance fréquente de la numération formule sanguine soit exercée chez tous les patients traités avec le docétaxel ». La qualité des lots a été immédiatement contrôlée et elle s’est révélée conforme aux spécifications de l’autorisation de mise sur le marché.
« Pour le moment, on n’explique pas du tout ces cinq décès, souligne Paul Cottu, oncologue. On sait que le docétaxel peut avoir des effets secondaires, notamment digestifs, mais on les connaît depuis des années et normalement on sait les maîtriser. Et ce sont des impacts modérés et transitoires. Alors que dans ces cas, il y a une réponse précipitée gravissime dès la première injection du produit. »
Existe-t-il des alternatives aux médicaments contenant du docétaxel ?
Oui. « Pour le cancer du sein, on utilise déjà le paclitaxel pour les patientes pour qui le docétaxel n’est pas indiqué, reprend le médecin. C’est un produit voisin dont l’efficacité est superposable, qui a d’autres effets secondaires, mais pas d’impact brutal sur le tube digestif. Ce qui change, c’est le rythme : avec le docétaxel, les patients reçoivent une injection toutes les trois semaines alors qu’avec le docétaxel, il faut une dose chaque semaine. »
Pourquoi le produit n’est-il pas interdit ?
Pour le moment, les médicaments contenant du docétaxel restent sur le marché. « Aucune recommandation n’est formulée à date en l’absence d’éléments complémentaires d’investigation permettant d’évaluer le rapport bénéfice/risque dans le cadre du traitement du cancer du sein », écrit l’ANSM dans un courrier adressé aux professionnels de santé.
Mais cet avertissement a bien été entendu par le milieu médical. A l’Institut Curie comme à l’Institut Gustave Roussy, l’utilisation de ce produit a été suspendue. « L’ANSM a des règles très strictes pour décider de la suspension d’un produit et doit donc attendre la fin de l’enquête, mais elle a choisi de sensibiliser les praticiens sans attendre, souligne Paul Cattu. Je ne pense pas que beaucoup de médecins continuent à prescrire des médicaments contenant du docétaxel. »
Les patients qui suivent ce traitement doivent-ils s’inquiéter ?
« Pas de raison de paniquer, répond le chef de service oncologie de l’Institut Curie. D’abord parce que ce genre d’accident est rarissime. Mais aussi parce qu’« on sait tout de suite si le patient réagit mal au traitement car la toxicité est immédiate. S’il n’y a pas d’effet aigu dans les jours qui suivent le traitement, les patients ne sont pas en danger. A l’Institut Curie, nous avons rappelé les patientes traitées avec ce produit récemment et toutes vont bien. »
Quand faut-il consulter si ces patients ont un doute ? « Deux signes doivent alerter : si vous avez des douleurs abdominales et de la fièvre, mieux vaut consulter en urgence un médecin », résume Paul Cottu.
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