Ils
ont tous un parcours. Une histoire à raconter. Partis du Sénégal, du
Mali, de la Guinée, du Burkina Faso, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire, du
Cameroun, de la Tunisie, du Maroc entre autres pays, ces populations, à
la recherche d’un avenir meilleur, prennent des risques énormes, au
péril de leur vie. En pirogue, ils bravent la mer pour se rendre en
Europe. Marie Louise Ndiaye, réalisatrice de ce documentaire, retrace le
parcours du migrant. Du Sénégal en France en passant par les îles
Canaries et l’Italie.
Même dans son plus profond sommeil, Bargny rêve de ses enfants, disparus en mer. Située sur la côte Sud de la presqu’île du Cap-Vert, 30 kilomètres la séparent de Dakar, la capitale du Sénégal. Avec une population de 60. 898 habitants, 92% sont des lébous, répartis entre Bargny Guedj, Ngoude, Miname, Mboth, Médinatoul Mounawara. Leur activité principale est la pêche. Ce dimanche 04 février 2024, rien d’exceptionnel à Bargny Guedj. Une dizaine de petites pirogues tanguent au rythme du vent matinal. Toutes reviennent de haute mer. Parmi les pêcheurs, Omar. Artiste et animateur culturel, il a promis de nous mettre en rapport avec des jeunes, candidats malheureux à l’émigration irrégulière en Espagne. Beaucoup rechignent à parler.
7 heures 30 du matin. Omar a encore du mal à convaincre ces pêcheurs, dans leur pirogue, flottant au large. Après plusieurs navettes, Mamadou Diop, 35 ans, et Etienne Kadam, 23 ans, acceptent de raconter leur histoire. Seulement, il faudra patienter. Les jeunes, qui viennent juste de débarquer, déchargent leur pêche du jour dans une charrette. Une pêche pas du tout fructueuse. De petits poissons (Youss en Wolofs), utilisés pour la fabrication de bouillons. Ils n’ont eu que ça. Et s’en contenteront.
«Des passagers ont perdu la raison. Dans leur délire, ils disent vouloir prendre une voiture et rentrer. D’autres, que leur maman les appelle.»
A 9 heures, Etienne et Mamadou, au bord de la pirogue d’Omar, retracent le film de leur mésaventure. Au large de cette mer agitée, les vagues giflent la pirogue qui tangue. Avec cette eau déchaînée, il faudra garder l’équilibre pour ne pas faire basculer la petite embarcation. Les deux pêcheurs ont l’habitude. Comme s’ils étaient en terre ferme, ils confient leur rêve brisé. Etienne commence. Il y a trois mois, il avait tenté de parcourir 1600 kilomètres en pirogue pour se rendre dans les îles Canaries. «Si j’ai décidé de partir d’ici, c’est parce que notre activité de pêche ne nous rapporte plus rien. On ne cherche qu’à avoir un avenir meilleur. Le jour du voyage, l’embarquement des passagers a commencé à 15 heures. Avant 20 heures, les réglages étaient bouclés et on est parti.» Un voyage qui ne se passera pas comme prévu. « Je ne peux pas tout dire. Je ne voudrais pas décourager les autres candidats qui vont penser que ce que nous avons vécu se passe dans toutes les pirogues, car dans la nôtre les gens déliraient et racontaient des choses irréelles. Ce sont des personnes qui ne savent rien de la mer et se retrouver là-bas durant des jours est un choc. Certains disaient vouloir prendre une voiture et rentrer chez eux alors qu’ils sont dans la pirogue.»
A ce malaise, s’est invité le mauvais temps. Un caprice de la nature qui les rattrape, 3 jours après leur départ. Certains proposaient de continuer, d’autres voulaient rentrer. « Des passagers ont perdu la raison, d’autres sont tombés malades et s’affalaient dans la pirogue. A la fin, le retour s’imposait. Même étant des pêcheurs, face à ces gens qui pleurent, qui crient, on avait aussi paniqué. A un certain moment, je ne croyais plus que j’allais revenir en terre ferme.» Le capitaine aussi n’en pouvait plus. En Mauritanie, il coupe son moteur. C’est la fin du voyage pour Etienne et ses compagnons de trajet.
« Voir la maman de la petite, qui n’avait même pas un an, étreindre son bébé mort, m’a brisé»
Mamadou Diop a connu le même sort qu’Etienne. Mais son voyage a été plus tragique. « Je fais partie des passagers de la pirogue de Bargny qui avait chaviré en Mauritanie. Il y a eu des morts.» Comme Etienne, il n’a pas payé de ticket de voyage. « Nous sommes de Bargny, on sait quand les pirogues partent. Parfois, les capitaines demandent aux pêcheurs qui veulent se rendre en Espagne d’embarquer avec eux car on maitrise la mer. On a voyagé avec des Maliens, des Gambiens, des Guinéens entre autres. On était devenu une famille. En sept (7) jours, on a scellé des relations comme si on était des frères et sœurs. On prie pour les morts… » Dans cette pirogue, ils étaient presque cent (100) passagers. «Le jour du naufrage en Mauritanie, on a fait le tour du pont pour nous rediriger, une vague nous a frappés et la pirogue a basculé. Ceux qui savent nager se sont sauvés. Les autres se sont débrouillés pour sortir de l’eau. Le militaire nous a parlé de 13 morts. Devant nous, les corps ont été transportés. Mais, à notre retour de Bargny, on nous a dit que d’autres corps ont été repêchés… Parmi les morts, je connaissais deux femmes de même père et même mère. J’avais appris qu’une autre personne, leur frère, en faisait aussi partie. Une petite aussi est morte dans cette tragédie. J’étais la dernière personne à l’avoir porté. Sa mère habite à Bargny. Des Maliens, des Gambiens sont aussi morts. » Une épreuve douloureuse que Mamadou n’oublie pas. « Beaucoup d’habitants de Bargny ont de la peine pour moi. Ils savent que cette tragédie m’a marqué. J’ai pu sauver des vies mais si je pouvais en sauver plus, je l’aurais fait. »
Le matin, quand l’heure du rapatriement est arrivée, Mamadou a failli craquer : « Voir la maman de la petite, qui n’avait même pas un an étreindre son bébé mort, m’a brisé» Les mots de la dame résonne toujours dans sa tête. «Elle m’a dit : Ta chérie est morte. Je pense que tu es le dernier à l’avoir tenu dans tes bras. A chaque fois que je vois sa mère, je pense à la petite. On avait 3 enfants dans l’embarcation. Le plus petit avait 4 mois.»
Un échec qui ne décourage pas pour autant ces deux pêcheurs. A la prochaine occasion, Etienne dit qu’il se lancera encore. « Si c’était à refaire, je le referais. On manque d’espoir au Sénégal. On présente nos condoléances à tous ceux qui ont perdu la vie en mer et prie pour tous les disparus. La pirogue de Bargny qui a disparu, plusieurs membres d’une même famille en font partie. Trois personnes de même père et même mère entre autres exemple. Si l’espoir était encore permis dans ce pays, jamais on ne prendrait de tels risques.» Etienne est catégorique : « La jeunesse sénégalaise a longtemps été dans la galère. On travaille sans pouvoir épargner le moindre sou. On a même du mal à satisfaire nos besoins. 90 % de la jeunesse de Bargny sont partis. Toute personne qui prend la mer c’est pour un avenir meilleur. On part en Espagne pour travailler et non pour voler. Ce message est pour ceux-là qui nous dénigrent. Avant de le faire, les tenants du pouvoir devraient se rapprocher de la population pour connaître leur quotidien. Il arrive que trois frères partagent la même chambre. Si quelqu’un se marie, les autres vont dormir chez leurs amis. Vous imaginez, travailler 10 ans sans ne rien avoir en poche.» Mamadou aussi projette de partir si une nouvelle occasion se présente. «On savait en prenant la pirogue que nous pouvions perdre la vie, s’arrêter en Mauritanie ou arriver à bord. On pouvait aussi atterrir en prison. Peut-être que les autres vont hésiter mais nous sommes des pêcheurs. A chaque fois que le temps sera bon et que l’occasion se présentera, on se lancera.»
«En 1978, j’avais 10 ans, les pêcheurs déversaient les poissons ici. Il y en avait tellement que l’on ne savait même pas quoi en faire. En moins de 40 ans, on a tout perdu. »
Le cœur déchargé mais encore lourd de ressentis, Etienne et Mamadou reprennent le train-train quotidien de leur vie. Entre la pêche et les activités du quartier, ils scrutent sans cesse une lueur d’espoir qui éclairera leur existence incertaine. Une incertitude qui leur fait prendre de tels risques. Au péril de leur vie ! Qu’est-ce qui peut pousser des pêcheurs de l’âge d’Etienne et Mamadou à voyager dans de telles conditions ? Youssou Dionne de l’Ong Amjob de Bargny a la réponse : « En 1978, j’avais 10 ans, les pêcheurs déversaient les poissons ici. Il y en avait tellement que l’on ne savait pas quoi en faire. En moins de 40 ans, on a tout perdu. Durant l’année, on a des poissons que durant deux mois. Les jeunes sont obligés de pêcher dans d’autres villes. A Bargny, ils ne trouvent plus grand-chose.»
« 2500 personnes sont parties de Bargny. Parmi eux, des enfants, des adolescents et des jeunes»
« Entre la rue d’Europe et une chambre pleine de moustiques en Afrique, le choix est vite fait »
Bargny fait partie des zones les plus touchées par l’émigration irrégulière. La pirogue, transportant le plus grand nombre de migrants, arrivée en Espagne, le 03 octobre 2023, est partie de Bargny. Ici, les populations parlent de 320 passagers. Mais officiellement, le nombre avancé est de 278 migrants dont 10 mineurs. Ils étaient tous vivants. Le capitaine, qui est revenu au Sénégal, a failli se confier à nous. A la dernière minute, il s’est rétracté. L’homme est recherché par les forces de l’ordre, nous souffle la source. Et ne voudrait pas se jeter dans la gueule du loup. On ne saura pas le nombre de personnes qu’il a personnellement fait traverser. Youssou Dionne nous donnera le nombre de départ à Bargny. « Des statistiques sont en train d’être réalisées au niveau national avec le Forum mondial dirigé par Mignane Diouf. Mais au niveau local, la première simulation faite nous a permis de retenir que 2500 personnes sont parties de Bargny. Parmi eux, des enfants, des adolescents et des jeunes. On a beaucoup perdu. On avait pour projet d’accompagner les jeunes de Bargny à partir de 12 ans afin de suivre leur éducation, avec un programme d’accompagnement jusqu’au Bac mais à quoi bon maintenant ? On ne voit plus l’impact. A Bargny, des jeunes qui ont des licences et Masters traînent comme les autres. Ils n’ont plus espoir, donc partent. Si le climat était encore favorable, d’autres s’en iront. Rien ne les retient. Ce pays a besoin d’une refonte totale. En commençant par moi. Si ceux-là qui étaient craints sont, aujourd’hui, accusés de corruption et se retrouvent comme sujet de débat sur Tiktok, qu’est-ce que l’on fait ici ? On est arrivé à un niveau où chacun doute de la crédibilité de l’autre. Dans un pays comme ça, on devrait voir comment le rebâtir. On ne dira à aucun jeune de ne pas partir. Ceux qui devaient être les donneurs de leçon ne peuvent plus le faire car la population n’a plus confiance en eux. La population qui reçoit de l’argent du politique est consciente que l’argent est détourné, mais elle encaisse. Si des croyants arrivent à un tel niveau de réflexion, une remise en question s’impose. Oui, si le temps était favorable, les jeunes et les femmes qui transforment le poisson à Khelcom, partiront encore. Qu’ils dorment dans la rue. Entre la rue d’Europe et une chambre pleine de moustiques en Afrique, le choix est vite fait.»
Bargny n’est pas la seule zone touchée. Mais le mal y est profond. « Il faudra un plan décennal afin de pouvoir régler le problème. Sinon, on va continuer ainsi avec des gens qui font semblant de vivre alors que ce sont des cadavres ambulants. Ces jeunes qui sont partis, s’ils se retrouvent à table le matin avec un verre d’eau, un croissant, ils se diront être au paradis. Pourquoi reviendront-ils ici ? Que font-ils dans un tel endroit ? Qu’est-ce que l’on peut bien faire dans un tel endroit ? Nous sommes salariés mais, à la fin du mois, on peine même à régler nos dépenses basiques. Tout fonctionnaire honnête ne peut construire sa maison qu’avec un prêt bancaire. Je ne sais pas nager sinon j’allais partir ce samedi. Qui peut aller en Europe n’a qu’à partir. Nous avons bâti l’Europe, alors allons-y. Ces mots, je l’ai dit en présence de la Confédération des Travailleurs de France (Cgt). Quand j’en parlais ce n’est pas maintenant. Depuis 1999. L’émigration n’avait pas cette ampleur. »
« Les autorités ont laissé les bateaux étrangers pêcher sur nos comptes au détriment de ceux sénégalais »
A 22 kilomètres de Bargny, Toubab Dialaw aussi confesse ses peurs. Village de 2913 habitants de la communauté rurale de Yenne, c’est un coin où il fait bon vivre. Sous la caresse d’un vent frais qui se mélange à la brise marine s’échappant de la plage, ce doux coin de l’arrondissement de Sangalkam sait charmer toute personne qui y entre. Mais, il est aussi frappé par l’émigration. Ibou Ndiol, pêcheur. « Si les jeunes prennent la pirogue, c’est parce que la vie est chère. Ce n’est pas facile d’entendre les gouvernants parler de milliards alors qu’ils tirent le diable par la queue.» Pourtant, Ndiol ne veut rien du Vieux Continent. « J’ai été en Espagne de 2001 à 2005. Je travaillais dans un bateau. Être migrant là-bas n’est pas facile. Les migrants souffrent beaucoup. Mais, actuellement, la vie au Sénégal est pire. Le jeune qui va en Europe peut certes faire le même travail qu’il faisait au Sénégal ou même pire mais au moins il gagne de l’argent. Après quelques années en Espagne, il peut construire une maison alors que s’il reste au Sénégal, il va s’entasser dans une maison avec dix personnes.»
Remettant la question des licences de pêche, il poursuit : « Si le gouvernement avait joué son rôle, personne n’irait en Espagne. Nous ne comptons que sur nos bateaux de pêche. Malheureusement, la pêche n’est plus ce qu’elle était. Pire, les autorités ont laissé les bateaux étrangers pêcher sur nos côtes à notre détriment. Aujourd’hui, les eaux guinéennes sont plus fructueuses que les nôtres. A ce rythme, on n’aura plus de poissons.»
Serigne Mor Mbaye : « Si les jeunes vont jusqu’à dire « Barça Wala Barsakh, c’est parce qu’ils ont atteint le summum du désespoir.»
Cette hantise des pêcheurs, Serigne Mor Mbaye la partage, au quotidien, avec eux. Installé à Toubab Dialaw depuis presque 20 ans, le psychiatre, qui s’intéresse à la question migratoire depuis des années, a pu se mettre dans la peau du migrant afin de comprendre ce qui peut le pousser à prendre certains risques. « Une personne qui n’arrive pas à avoir les moyens basiques à savoir manger à sa faim se soigner, se vêtir et s’épanouir financièrement, la migration reste la solution. Au Sénégal, rien ne marche. L’agriculture, la pêche, l’élevage, rien ne marche. Si les jeunes vont jusqu’à dire « Barça Wala Barsakh (Réussir ou la mort), c’est parce qu’ils ont atteint le summum du désespoir. Une situation, source de beaucoup de douleur et de dépression chez beaucoup.»
Avant, les lébous jouaient juste le rôle de capitaine, plus maintenant. « Ils revenaient toujours mais aujourd’hui, c’est eux qui migrent car la mer n’est plus rentable. La mer a été bradée. Et leur activité ne marche plus. De Kafountine à Fass Boy en passant par Mbour, Joal, Kayar, ils partent tous. Depuis six ans, on ne peut compter le nombre de nos jeunes pêcheurs qui sont partis. Ils le font en douce mais parfois un parent vient à moi pour me demander de lui vérifier si son fils qui est parti depuis deux mois est bien arrivé.»
Les pêcheurs ne sont pas les seuls à faire la traversée. Il y a plusieurs profils. L’un des profils qui peut se retrouver dans des difficultés est celui-ci qui ne sait rien de la mer. Serigne Mor Mbaye : « Parfois, ce sont des gens qui n’ont jamais vu la mer qui prennent le risque de l’affronter. Ils ne savent pas nager. Ils ne savent rien de la mer. Dans un noir obscur. Sans savoir quand ils vont débarquer. Ces jeunes embarquent dans la peur et l’angoisse. Une fois en mer, elles s’accentuent. C’est pourquoi, certains voient des choses qui n’existent pas. Des gens disent avoir entendu des femmes qui dansent et des enfants qui pleurent alors qu’ils n’ont pas embarqué avec eux. J’ai vu un candidat malheureux qui appelle sa maman alors qu’il l’a en face, un autre parle de djin et «deumeu » qui volent autour de lui. Tout ça, n’est que hallucination. Quand le gouvernement des Canaries m’a invité, ils m’ont demandé de former certains d’entre eux, les médecins et autres pour qu’ils puissent déceler, en fonction de sa culture, celui qui a perdu la raison. Le blanc ne connait pas de « deumeu » ou de « djin ».
« La société Sénégalaise est tellement désemparée que tout le monde s’en va.»
La couche vulnérable aussi part. Pourquoi ? «La société Sénégalaise est tellement désemparée que tout le monde s’en va. Hommes, femmes et enfants s’en vont. Depuis quinze ans (15), je vois des femmes partir. Elles migrent partout. Les femmes souffrent plus. Elles sont souvent violées. Que ça soit en mer que par terre. Certaines se retrouvent même enceintes. En Europe, elles sont même violées par leur hôte. Les enfants aussi souffrent. » La faute à qui ? L’Etat, selon le psychologue. « L’Etat a entamé des projets mais il a échoué dans une bonne partie. Des milliards ont été injectés dans l’emploi des jeunes mais on ne voit pas les résultats de ces fonds injectés. Il y a même des personnes à qui on a donné des financements et qui ont voyagé avec. La dernière tendance est le Nicaragua. L’autre jour, je voyageais, j’ai entendu un homme scander : les voyageurs de Nicaragua avancez. La preuve que le pays est en pagaille. Injecter jusqu’à 6 millions Fcfa dans un voyage en traversant la forêt et autres dangers pour aller aux Etats Unis où la tolérance est zéro, est la preuve que ce pays marche par la tête.»
Le psychologue, qui appelle depuis plus de 10 ans à un « ndeupeu national », n’a pas changé d’avis. Le Sénégal en a grand besoin. C’est même devenu une nécessité. « Les foyers sénégalais sont brisés. Couvés de détresse ! Des jeunes qui ont l’âge de prendre des épouses qui n’ont même pas de quoi se prendre en charge. Qui n’ont pas de boulot. Quand tu prends le bateau, tu es habité par la peur et l’angoisse. A ton arrivée, tu n’as pas l’effet escompté. C’est une succession de douleurs du début à la fin. »
En 2006, Ousmane, 25 ans, emmène une pirogue jusqu’en Espagne : « Je n’ai jamais douté de mes compétences»
Avec la complexité d’un tel voyage, enrobé de risques, il est important d’avoir un bon capitaine et des assistants qui ont l’habitude de naviguer. Lui en fait partie. On l’appellera Ousmane. On l’a retrouvé à la plage d’une localité frappée par l’émigration irrégulière. En 2006, il faisait partie de l’équipe qui avait transporté une pirogue de presque 100 personnes en Espagne. Recruté par des Mauritaniens, il n’avait que 25 ans. Avec ses 4 autres collègues, qui avaient presque le même âge, assistés d’un mécanicien, ils ont réussi leur mission. Sans aucun mort. « Pour ceux qui ne connaissent pas la mer, le voyage est difficile. Mais pour nous, c’est comme si on était en terre ferme. On part périodiquement à Conakry pour pêcher et on revient chez nous. Aller en Espagne, c’est comme aller deux fois à Conakry. Les meilleurs navigateurs ne font pas partie de ceux qui vont en Espagne. Ceux qui emmènent des pirogues dans les autres villes font la pêche du jour. Nous, on vit dans l’eau. On a traversé toutes sortes de mauvais temps. Sans problème. C’est pourquoi, je n’ai jamais douté de mes capacités. Avant de partir, on vérifie le temps. S’il est favorable, on embarque tranquillement.»
« Pour que les gardes côtes ne nous voient pas, on a attaché trois gris-gris au bateau.»
De la mystique, il y en a aussi. Les pêcheurs ont leurs croyances. Et n’affrontent pas la mer sans certaines précautions. « La mystique, c’est pour se protéger. On avait attaché trois gris-gris à la pirogue. Un devant, un au milieu et le troisième derrière. Dès que l’on a quitté la Mauritanie, on a pris la voie du nord durant 3 jours puis, on a fait un cap 330 jusqu’à atteindre la zone internationale, après on s’est lancé. Dans la zone internationale, on croise les grands bateaux qui entrent ou sortent de l’Espagne. Quand on a aperçu les îles, on a quitté le nord pour se diriger vers l’Espagne. Mais, les bateaux espagnols qui surveillaient n’arrivaient pas à nous voir. Je leur ai demandé de détacher les gris-gris. C’est là que la marine, qui était dans le Sud, est venue à nous. Beaucoup de bateaux se perdent à cause de ce gris-gris. Et les capitaines devraient faire attention à ça..»
« Un des passagers étranger affirme que Mame Aladji Malick passait, chaque soir, la nuit devant la pirogue. C’est au petit matin qu’il s’en allait »
La pirogue clandestine embarque toutes sortes de personnes. C’est normal, précise Mamadou, que certains aient un comportement bizarre. « Je vais vous raconter une anecdote : quand on est arrivé en Espagne, un de mes amis prenaient son bain. Il avait une pochette avec une photo de Mame Aladji Malick et un autre marabout Tidiane. Un des migrants, qui n’était pas sénégalais, lui a demandé l’identité de la personne sur la photo. L’étranger lui a dit que chaque jour, cet homme passe la nuit devant la pirogue. Ce n’est que le matin qu’il part… »
Après El Hierro, il leur faudra 4500 kilomètres d’eau pour atteindre une terre ferme. Une fois El Hierro dépassé, il est difficile de survivre. De 2018 à 2022, 244 navires ont complètement disparu.
Au cours de cette traversée, tout peut arriver. Les migrants savent que la faucheuse, entre deux vagues, peut user de ruse pour arracher des vies. Le navire peut aussi disparaître. « De 2018 à 2022, 244 navires ont complètement disparu. La plupart d’entre eux se perdent sur la route de l’atlantique », expliquait au micro de BBC Mundo, Helena Maleno, porte-parole du groupe Caminado Fronteras, qui surveille les routes migratoires dans la région depuis plus de 20 ans.
El Hierro, îles submergées par l’arrivée de migrants, est la dernière chance pour ces pirogues de débarquer. Après El Hierro, il leur faudra 4500 kilomètres d’eau pour atteindre une terre ferme. Une fois El Hierro dépassé, il est difficile de survivre. La probabilité la plus plausible est la mort. « Ce n’est pas courant mais plusieurs d’entre eux ont atteint les caraïbes. A notre connaissance, 4 ont atteint les caraïbes au cours de ces 5 dernières années », précise par ailleurs Helena. A ces disparitions, s’ajoutent des morts en pirogue. Serigne Mor MBaye : « Des migrants peuvent avoir un mal de mer qui les rend malades au point de perdre la vie. Ou bien, d’autres à force d’avoir peur, perdent la raison. Et parfois, ils s’agitent au risque de faire couler la pirogue. Là, ils sont jetés dans l’eau pour préserver l’équipage. C’est le même sort que ceux-là qui meurent en mer.» Parfois même, un migrant, ne supportant plus le froid, peut perdre connaissance. Le croyant mort, ses camarades le jettent à la mer. Dans de telles situations, le pacte du silence est respecté. Tout ce qui se passe en mer, reste en mer. Et personne ne doit en parler !
L’activiste Sénégalais, Papitot Kara, meurt dans la pirogue allant en Espagne
L’activiste, Sénégalais, Pape Ibrahima Gèye, alias Papitot Kara, fait partie des migrants Sénégalais, morts en 2023. Arrêté quelques jours après son mariage, le jeune homme, qui animait une revue de presse, teintée d'humour, a été emprisonné dans l’affaire des Unes détournées avec Outhman Diagne du mouvement « Kacc Kacc ». Inculpé pour diffusion de fausses nouvelles, effacement, modification, fabrication et introduction de données informatiques, le jeune homme qui animait également sa propre chaîne YouTube et sa page Facebook « Papitot Kara l’Officiel » a fait 4 mois 10 jours dans les geôles avant de décrocher un contrôle judiciaire. C’était le 16 Janvier 2023.
Dix (10) mois après sa sortie, il a tenté l’aventure espagnole. Il est parti de Kayar. Au 4ème jour, il meurt. Une mort confirmée le 1 novembre 2023 par l’avocat français d’Ousmane Sonko, Me Juan Branco. Papitot, qui n’aurait pas supporté le froid, ne foulera jamais le sol espagnol. Derrière lui, il laisse une famille dévastée. Et une femme inconsolable.
Ousmane Sall de Mbour, 23 ans, introuvable
Comme Papitot Kara, beaucoup ont vu cette tentative d’entrer illégalement dans l’espace Schengen, s’achever dans la méditerranée. Mais le plus dur est ceux là qui ne donnent aucun signe de vie. Ceux-là dont les parents ne savent pas s’ils sont morts où vivants.
C’est le cas d’Ousmane Sall, 23 ans. Le jeune homme, qui habite Mbour, fait partie de la pirogue qui a quitté Joal le 01 octobre. Depuis lors, pas de nouvelles. Les passagers de cette pirogue qui habitent Mbour et Joal n'ont donné aucun signe de vie. Ousmane est arrivé ou pas ? Mystère et boule de gomme. Mame Cheikh Diouf, si. Lamp, comme l’appelle affectueusement ses proches, est porté disparu depuis son arrivée au port Restinga d’El Hierro. Plus aucune trace de lui. Maman Amy Fall a épuisé toutes les larmes de son corps. Chez elle, à Yeumbeul Comico, la tristesse peint les murs de sa maison, hantée par l'absence de Lamp. Son fils, un tailleur de 30 ans, qui a pris la pirogue depuis le 28 octobre 2023. Son fils était cette lumière qui apportait vie et joie dans sa maisonnée.
Plonger dans l’intimité des migrants disparus en mer est une épreuve difficile. L’émotion est souvent forte. Des larmes s’écrasent facilement. Et il faut parfois les dissimuler, en un battement de cils, pour qu’elles ne s'échappent pas des paupières. Ce que la maman de Lamp fera durant tout le long de son récit. Lamp était de ceux qui pensaient que les personnes qui prennent la mer sont insensées. Il le disait toujours à sa grand-mère. Le voir prendre une décision, si suicidaire, les a toutes les deux propulsées dans un état de choc émotionnel qu’elles ont du mal à surmonter. Déçue et angoissée de la décision de son fils pour qui elle a une grande affection, Nafy passe ses journées à implorer le Seigneur de lui rendre son enfant. Sain et sauf !
Lamp, disparu depuis plus de 4 mois
« Il nous a caché son voyage. C’est trois jours après que le mari de ma fille, Mame Diarra, a appelé cette dernière pour lui dire que Lamp lui avait laissé deux messages vocaux. Il lui disait avoir embarqué pour l’Espagne tout en demandant à ce que l’on prie pour lui. Dans un autre audio, il lui demandait de ne rien dire à personne, pour le moment. Même pas à sa femme, sa sœur.» Toujours pas informé de la destination de Lamp et sans nouvelles de lui, son jeune frère, El hadj, s’est rendu chez son ami avec qui il partageait une chambre. « Les parents de jeune homme lui ont dit que Lamp et leur fils avaient pris la pirogue pour l’Espagne. C’est là que nous avons appris la nouvelle.»
« A son arrivée à El Hierro, son ami dit que Lamp était très fatigué. On nous a annoncé deux fois sa mort »
Sept jours après le départ de Lamp, toujours aucune nouvelle. Son petit frère retourne chez les parents de son ami. « On lui dit que Yaya a appelé et qu’ils étaient bien arrivés. Mais Lamp ne donnait aucune nouvelle de lui. On nous a donné des numéros de téléphone. Lorsque l’on a appelé, on nous a dit qu’il y a eu des morts dans ce bateau et on a bien peur que Lamp en fasse partie. Ce jour-là, on a beaucoup pleuré. On croyait qu’il était mort. Et la famille a même commencé à organiser ses funérailles. Mais mon fils nous a dit que Lamp n’était pas mort et que Yaya lui avait expliqué que leurs téléphones s’étaient gâtés durant le voyage. Mais, Lamp était très fatigué à leur arrivée. Il a vu une ambulance le transporter. Lui aussi était si fatigué qu’il ne pouvait se relever. Depuis ce jour, il n’a plus de ses nouvelles.»
Plus de 4 mois se sont écoulés. « Depuis, il n’a ni appelé ni donné signe de vie. Celui qui devait l’héberger, Baye Lahat a échangé avec la Croix Rouge. Après enquête, ils lui ont dit qu’il était décédé. Mais pour voir son corps, nous devions faire un test ADN. J’ai encore appelé toute ma famille pour leur annoncer la nouvelle. Le marabout de la famille, Serigne Abdou Karim Mbacké, a demandé de patienter et d’attendre que ses talibés sur place fassent des recherches. On voulait envoyer notre sang pour la vérification mais Baye Lahat a dit que ce serait cher et que ça allait prendre du temps. Comme on avait aucune certitude sur sa mort, son marabout a demandé de poursuivre les recherches car on ne peut accepter cette mort sans photo ni rien. »
« On a consulté plus de 20 marabouts qui nous disent qu’il est vivant…Serigne Abdou Karim demande de continuer les recherches »
Allant de marabout à marabout, ces derniers donnent espoir à cette pauvre mère qui ne veut qu’une chose : retrouver son fils. Revoir son si beau sourire. «On a consulté plus de 20 marabouts. Ils nous disent tous qu’il est vivant mais il est juste gardé quelque part. Qu’il veut appeler mais ne peut le faire. Quelqu’un nous a même dit qu’il était certes malade mais il s’est rétabli et on le fait travailler quelque part. Un autre nous dit qu’il est du côté des îles. Qu’il a été déplacé. Et que ceux qui le gardent ne veulent pas que les enfants aient le moindre contact avec leurs parents. Ils nous tiennent tous le même discours. C’est pourquoi, malgré le fait que l’on nous ait annoncé sa mort à deux reprises, on a toujours espoir. Cette situation est insupportable. Je n’arrive plus à manger ni à dormir car je ne sais pas où il est. Si on avait la certitude de sa mort, ce serait plus supportable. Mais on ne sait rien de lui. Je ne sais pas s’il est en sécurité ou pas. Aidez-nous à le retrouver. On nous dit qu’il y a des camps de concentration où personne n’a accès. On demande à toute personne qui peut nous aider à retrouver Lamp de nous assister. Beaucoup de personnes ont organisé les funérailles de leurs enfants qui, 6 mois ou quelque temps après, réapparaissent. Nous demandons donc aux autorités de nous venir en aide. Qu’il soit mort ou vivant que l’on sache afin d’avoir une paix intérieure. »
Une paix intérieure que beaucoup de pères et mères de famille ainsi que des épouses et enfants recherchent. Ils sont nombreux à vivre la même situation que la maman de Lamp. Certains depuis 2006. Ils sont parfois dans le déni. Peut-être que leurs parents sont enterrés dans le parfait anonymat dans les cimetières des migrants. Peut-être qu’ils ne sont jamais arrivés. Sans nouvelles, ils ne peuvent savoir. Se résigner à croire en la perte de l’être aimé s’impose. Certains s’y plient. D’autres croient toujours en leur étoile. Une étoile qui pourrait, un jour, scintiller sous cette lueur qui s’est éteinte depuis la disparition de leur proche.
Malick Bâ, 45 ans, arrivé le 15 février en pirogue : « Être ici vaut toutes ces souffrances. »
Le voyage en pirogue a ses échecs. Elle a aussi ses réussites. Etienne et Mamadou ont échoué, Papitot Kara a perdu la vie en mer, Lamp a disparu, mais beaucoup arrivent à fouler le sol espagnol ou italien. Sain et sauf.
C’est le cas du groupe de Sénégalais, croisé à la page de «Las Canteras» de «Las Palmas». Caressés par la brise marine de ce grand bleu qui les séparait de l’occident, ils nagent dans le bonheur. Aliou (25 ans, de Touba) Abdou Salam (19 ans, originaire de Joal) Pape Sarr (de St Louis) Malick Bâ 45 ans, jubilent. « Mbeuk rek !» Malick : « Être ici vaut toutes ces souffrances. Le Sénégal est devenu un pays difficile à vivre et je ne pense pas y remettre les pieds dans les 10 prochaines années. Si ce n’était pas mon père et ma femme, je ne viendrai pas au Sénégal de sitôt. C’est tellement différent. Même l’air est différent. Je suis enfin en Europe. Je rêvais d’être ici, et je ferai tout pour m’en sortir. Cet homme (la mer), nous en a fait voir de toutes les couleurs mais il a aidé beaucoup de personnes. Et on prie beaucoup pour lui. Comme il nous a aidés à faire ce voyage, que le Seigneur l’aide aussi. Que ceux qui sont en route arrivent en paix. Je ne dirai à personne de prendre la pirogue mais que le seigneur permette aux autres candidats d’arriver en paix. Et en vie.»
Une rencontre, faite deux jours avant le chavirement de la pirogue de 317 personnes à Saint Louis. Un drame qui a fait 26 morts, 20 blessés et plus de 200 disparus. Comme ces jeunes, Malick a embarqué de Joal. Son ticket, il l’a payé à 400 mille francs Cfa. Après sept (7) jours de voyage, ce commerçant dont le business ne marchait plus est arrivé dans les îles Canaries, le 15 février 2024. Au port de Las Palmas, dit-il.
A 64,7 kilomètres de ce port, on retrouve Arguinegun. Province située au Sud de Grand Canaria, il faut 45 minutes pour atteindre ce petit port des îles. Ici, beaucoup de pirogues, venues d’Afrique, dont celle du mardi 12 mars 2024 avec 7 morts, ont débarqué. Ils sont toujours assistés par les éléments de « Salvamento Maritimo».
Des embarcations qui, une fois déchargées, sont transportées à Arinaga. A 4 kilomètres d’Arguinegun. Dans cette commune côtière au vent sifflant et poussiéreux, gît un cimetière marin. Jeudi 07 mars 2024, des pirogues, venues du Sénégal, de la Mauritanie, du Maroc...sont écrasées par un engin. Après le tri des déchets, habits, chaussures, ustensiles…, elles seront recyclées. C’est le sort que recevra surement «Mamadoun Wade » de «Boye Mbaye». Une pirogue, en provenance du Sénégal. Le bateau dans lequel a voyagé Malick connaîtra aussi le même sort. Quand à Malick, qui a tout fait pour fouler le sol espagnol, ne sait pas encore ce que l’avenir lui réserve.
« Les problèmes entre Ousmane Sonko et Macky Sall sont à l’origine des difficultés traversées par les jeunes »
Qu’est-ce qui peut pousser un homme de 45 ans à opter pour la migration ? Malick évoque la situation sociopolitique du Sénégal. « La vie est devenue chère au Sénégal et il est difficile de s’en sortir. Je vendais du béton et du sable mais mon business ne marchait plus. A tout ceci, s'ajoutent les problèmes entre Ousmane Sonko et Macky Sall, à l’origine des difficultés que traversent les jeunes. On ne pouvait plus s’en sortir. Beaucoup de jeunes ont perdu leur travail durant cette crise, certains leur business, d’autres ne s’en sortaient plus.» La première tentative de Malick a été le Maroc. «J’ai vécu des moments très difficiles. Je suis allé le 3 janvier 2023 et suis revenu, en voiture, le 3 février 2024. Je me suis rendu directement à Mbour. Puis à Joal où j’ai pris la pirogue. Mes parents n’en savaient rien. C’est lorsque je suis arrivé que je les ai informés. Au Maroc, j’ai travaillé comme aide-menuisier, j’ai creusé des trous avec les plombiers, j’ai fait de la plonge dans les restaurants et j’ai travaillé aussi dans la sécurité. C’était difficile. Mais aujourd’hui, Dieu merci. Aller en Espagne était mon rêve et je suis arrivé.» Un voyage, décrit par Malick, comme pénible : « C’était difficile. Lorsque l’on a quitté Joal, on a voyagé toute la nuit. C’est vers 5 heures que l’on est arrivé à St Louis. J’ai demandé et on m’a indiqué notre position. On est ensuite arrivé en Mauritanie. Puis, on s’est dirigé au Maroc avant de faire cap vers l’Espagne. C’est là que l’on a vu une île. Je ne savais pas où c’était mais j’ai entendu les gens dire que c’était Las Palmas. Un drone nous a survolés deux fois. C’est après que les secouristes de la Croix Rouge sont venus nous récupérer. On était tellement faible que l’on s’est tous écroulés en posant le pied en terre ferme. Quand je suis tombé, les secours m’ont soutenu et m’ont soigné. Une réaction normale car on est resté 7 sept jours, assis. Certes nos jambes ne tenaient plus mais on était heureux. On savait que l’on était bien arrivé. Beaucoup ont disparu en mer. Le seul fait d’être arrivé, en vie, est une grâce.»
« J’ai déposé beaucoup de visas en vain. C’est par la mer que je suis arrivé en Europe. J’ai été malade durant tout le trajet »
Aliou aussi est arrivé très fatigué. « J’ai toujours rêvé de ça. J’ai déposé beaucoup de visas en vain. Mon premier passeport a expiré sans que je ne puisse avoir de visa. J'en ai déposé un autre. Finalement, c’est par la mer que je suis arrivé en Europe. J’ai fait un mauvais voyage. Je suis resté trois jours malades et ce sont les autres qui me donnaient à manger. Ils étaient à mon chevet parce qu’ils avaient pitié de moi. Si j’ai pris de tels risques, c’est pour subvenir au besoin de mes parents, de mes proches et connaissances. Au Sénégal, on ne s’en sortait pas. Mais, toute personne qui prend la pirogue doit savoir qu'elle risque sa vie. A tout moment. C’est pourquoi, je prie pour toutes ces personnes qui sont en route. Je ne dirai à personne de la prendre mais chacun sait ce qui l’a poussé à quitter le Sénégal. C’est vrai qu’il est possible de réussir au Sénégal mais difficilement. Surtout avec les dirigeants que l’on a actuellement au Sénégal. Ces dirigeants nous ont poussés à quitter le pays. On aurait tous souhaité prendre le vol comme tout le monde mais on a été contraint de prendre une décision si drastique.»
Comme tous les migrants, Malick et les jeunes frères Sénégalais reçoivent une tenue à leur arrivée. Un ensemble en capuchon de couleur grise et des chaussures noires. Plus un bracelet, prouvant leur identité de migrants, vivant dans un campo (camp en espagnol). Malick loge au campo de «Canaria 50» de Las Palmas.
Un centre, posé dans un quartier populaire de Las Palmas. Mounass et Monique, deux jeunes filles Sénégalaises qui avaient promis de nous parler avant de se rétracter y vivent aussi. L’une dit qu’elle part à « Grand Espagne (Madrid), l’autre dit s’être désistée sur instruction de sa maman. Le 24 février 2024, trois jours avant notre rencontre avec Malick et les jeunes, on y a fait un tour. Non ouvert aux anonymes, seuls les occupants et le personnel ont le droit d’entrer dans ce célèbre centre aux tentes. Il faisait déjà presque noir quand on est arrivé à quelques mètres du camp. Certains migrants s’échappaient avant l’heure de la fermeture des portes, au moment où d'autres revenaient de leur sortie quotidienne. A quelques pas de la porte, un groupe de Sénégalais. Ils sont en grande discussion. A un moment donné, un des jeunes remarque notre présence et leur dit de regagner leur campement. Puis, il se dirige vers nous. « Hé, que tal ? » lance-t-il. Il reçoit une réponse en wolof qui le fait sourire. Informé des raisons de notre présence sur les lieux, il se braque. Il dit être venu en mer, a vécu dans les camps mais ne veut pas se prononcer sur le sujet. Son accompagnant, un autre migrant reste impénétrable sous un regard froid qui voulait tout dire. Dans ce camp, Malick vit depuis son arrivée. «Il y a des Sénégalais, des Maliens, des Tunisiens, des Marocains…Les femmes aussi, il y en a. Mais elles sont de l’autre côté et les gardes espagnols s’assurent que la séparation soit respectée. Il y a aussi des enfants. J’ai une femme qui a un bébé au dos et un enfant à la main. Les Espagnols et l’Union européenne sont d’un grand soutien. On ne sait pas encore le temps que l’on fera dans les camps. On reste à l’écoute pour savoir où on ira après. Ils nous ont questionnés, on leur a répondu. Ils nous apportent un soutien que l’Etat Sénégalais ne nous a pas apporté. Si on avait cette posture de nos dirigeants, on n’allait jamais prendre la pirogue. L’Etat ne soutient pas la jeunesse. S’il avait joué son rôle, la jeunesse n’allait jamais prendre les pirogues. Moi, y compris».
En 2023, le Sénégal était à la tête de liste des points de départ des embarcations clandestines. En 2024, 80% des pirogues viennent de la Mauritanie
La migration n’est pas un phénomène nouveau. Elle a toujours existé. Même les Européens ont migré ailleurs pour une vie meilleure. Mais, c’est en 1994 que cette forme d’émigration irrégulière a commencé en Espagne. La première pirogue est arrivée dans les îles Canaries. Depuis 30 ans, les africains empruntent cette route de la méditerranée pour espérer un avenir meilleur. Un phénomène qui, selon le président de la fédération africaine des îles canaries, Mame Cheikh Mbaye, a connu un boom en 2003 et en 2006. Puis une croissance exceptionnelle en 2023. Dans une interview qu’il m’avait accordé à l’Obs, il donnait ces chiffres : « Entre 2021 et maintenant, plus de 80 mille personnes sont arrivées. En octobre 2022, on avait décompté 3.000 migrants mais cette année 2023, on est à presque 4.000. Au mois d’août, le nombre en provenance du Sénégal est inédit. Depuis un mois et demi, deux (2) bateaux de 160 ou presque arrivent quotidiennement. Les passagers de deux (2) pirogues en provenance Fass Boye sont arrivés dans les îles Canaris sans compter celui qui a échoué.»
Le ministère de l’intérieur espagnol, qui publie chaque 15 jours des statistiques, a fait le bilan de l’année 2023. 610 pirogues de 39.910 personnes sont arrivées dans les îles Canaries. L’année 2024 risque d’être pire si la tendance continue. Déjà, le 29 février, le bilan ministériel parle de 181 embarcations de 11.932 personnes. Des chiffres qui dépassent de loin ceux de 2023. 42 embarcations de 1865 migrants étaient notées à la même période. Soit une hausse de 539,8%. Quid du Sénégal ? Il était en tête de liste des points de départ des embarcations clandestines en 2023. Il est toujours dans le Top 5. Au mois de janvier 2024, 6643 migrants sont arrivés, 5296 ne sont pas identifiés, 710 viennent du Mali, 360 du Maroc, 129 de la Mauritanie et 106 du Sénégal. Le Sénégal vient en cinquième position. Mais, le point de départ des embarcations qui était le Sénégal en 2023 s’est déplacé de 818 kilomètres. En Mauritanie. Le pays voisin a pris le relais. Et 80% des pirogues qui sont entrés en Espagne viennent désormais de la Mauritanie. Des chiffres du ministère de l’intérieur espagnol.
Après l’euphorie à l’arrivée, la réalité montre la face cachée de L’Eldorado européen
Pour Malick, Aliou, Cheikh et Abdou Salam, l’étape la plus difficile est la traversée du grand bleu. A 2660,5 kilomètres de Las Palmas, la réalité est autre. TouLouse. Sanou Diaby, 25 ans, nous raconte le film de l’expulsion des 267 migrants qui occupaient, depuis 2022, un bâtiment de l’université Paul Sabatier transformé en squat. « C’était vers 6 heures. Je partais au travail quand j’ai rencontré les policiers. Ils étaient nombreux et avaient entouré le bâtiment. Ils m’ont arrêté en me demandant mes papiers. Je leur ai montré mon récépissé. Ils m’ont ensuite demandé de les suivre. Je leur ai dit de partir au travail. Ils disaient vouloir juste me contrôler. Je les ai suivis. Il y avait des gens de la préfecture, de l’Ofi, des associations. J’ai été redirigé à L’Ofi. Une fois là-bas, je leur ai dit que je n’avais ni aide ni logement et ils veulent nous faire sortir. Ce n’est pas logique. Si c’était avec des français, ce ne serait pas la même chose. Vous alliez envoyer des courriers avant de nous faire sortir. C’est parce que l’on est noir que vous nous faites ça. (…). Après ils m’ont laissé partir en vérifiant que j’étais en règle. Quand je suis reparti au squat pour récupérer mes papiers, ils m’ont dit que personne ne pouvait plus monter. Que le squat sera fermé. Pour récupérer mes papiers, il a fallu que j’appelle un ami qui n’était pas encore sorti. Depuis, ils ont fait sortir tout le monde. Chacun se débrouille pour se loger actuellement. Je n’ai pas de parents ici. Je suis allé chez un ami qui a un appartement. Je vais me poser le temps de savoir où aller. Les ong disent qu’ils vont nous trouver un squat mais ce n’est pas facile. Ils avaient cassé celui de Ramoville avant que l’on ne vienne ici. Actuellement, à Toulouse, je ne pense pas qu’il y ait un squat. Si je sors de l’appartement de mon ami, je serai obligé de dormir dehors. 115, l’association qui aide les gens à trouver facilement un hébergement, je n’arrive pas à les joindre. Depuis 2021, je ne les ai eu qu’une fois. Sans solution, je vais devoir dormir dehors. En Europe, tu ne peux pas débarquer chez les gens comme ça.»
Nakata risque de dormir dans la rue. Les 110 migrants, qui affirment être mineurs, installés au gymnase Saint-Sernin après l’expulsion de Paul Sabatier, ont aussi été sortis de ce nouveau squat, le 01 mars, à 5 heures du matin. La préfecture affirmait, selon «Dépêche.fr», que l’opération avait duré 45 minutes et s’est déroulée dans le calme et sans heurts.
Dans l’univers pestilentiel du Squat de Paul Sabatier de Toulouse
Pourtant, le samedi 17 février 2024, une semaine avant l’expulsion des migrants de Paul Sabatier, nous étions dans ce squat. Un parcours en voiture qui s’est terminé à pied. Notre guide est un guinéen. Arrivé à Toulouse comme étudiant, il gère ses propres affaires. Avec lui, deux de ses compatriotes. Des migrants, sans papiers.
L’un est un footballeur qui n’a pas terminé sa carrière à cause d’une blessure qu’il a eu en traversant la frontière marocaine, l’autre un boutiquier qui a laissé la gestion de sa boutique à un employé avant de prendre la pirogue. En prenant de tels risques, ils pensaient découvrir l’Eldorado européen. La réalité est autre. A la place de la vie douillette qu’ils pensaient avoir, celle trouvée ne fait pas rêver. A l’entrée, les déchets, mégots de cigarettes mélangés à l’odeur de cet univers maussade parlent d’eux même. Au premier étage, il n’y a aucun doute. Seul le désespoir peut les pousser à vivre ainsi. Au fur et à mesure que l’on avance, l’agression de l’odeur pestilentielle s’intensifie. On est samedi. Et chaque nationalité est dans son espace. Les migrants, bercés au rythme de la musique de leur pays, s'accrochent avec une bouteille d’alcool, une clope ou un joint. Ils tentent d’oublier le temps d’une escapade, leur infortune. Plus on avance, plus l’univers devient bouleversant.
Rougeot, lui, est habitué à cette vie. C’est le boss de la famille guinéenne. Le bout d’homme, qui nous avait donné rendez-vous, nous installe dans une salle pleine de jeunes qui fixent un écran, diffusant des clips. Ici, on fume, on boit, on mange. Un business, tenu par un bonhomme qui ne veut personnellement pas se confier. Mais, il nous laisse la latitude d’interroger ceux qui voudraient bien nous parler. Dans le groupe, un jeune attire notre regard. Dans cette atmosphère incertaine, il envoie des ondes positives. Visage rayonnant sous un regard pétillant, il esquisse, tout souriant, des pas de danse au rythme de la chanson « Khaliss » de Youssou Ndour et Akon. Il n’a ni mégot ni bouteille d’alcool mais une télécommande pour choisir la musique à écouter. Il semble heureux. Un bonheur qu’il distille autour de lui. Un instant, il lance : « Sénégal dafa nekh ». Lui, c’est Nakata. Un guinéen qui, pour sa liberté, a été obligé de quitter sa Guinée natale. C’est lui qui, face aux Sénégalais qui se fondent dans la masse pour ne pas se faire remarquer, acceptera de nous parler le lendemain, dimanche 18 février 2024.
Nakata, après une traversée en pirogue, vit entre les squats et la rue, en attendant la réponse de sa demande d’asile
« Si j’ai quitté mon pays, c’est parce que mon père, Ismael Nanfo Diaby, a des problèmes avec les autorités guinéennes. C’est un imam qui faisait la prière avec sa propre langue. L’autorité guinéenne a commencé à le menacer. Mais, il n’a pas arrêté. Il disait prier au nom du prophète Mouhamed (Psl) mais dans sa langue, le Malinké. Quand je lui ai dit le pourquoi du choix de cette langue, il disait qu’il comprenait mieux avec et se sentait mieux avec quand il priait. Il a donc été emprisonné. A la deuxième arrestation, coïncidant avec une fête religieuse, les autorités guinéennes sont venues l’arrêter. Avec mes amis, on s’est opposés. Ils ont pu interpeller mon père. Moi, ils m’ont convoqué. Je me suis alors enfui.» Caché dans un camion, ce joueur de foot qui était aussi vendeur d’habits s’est réfugié au Sénégal durant quelques temps avant de se rendre au Maroc puis en Espagne. « J’ai pris une pirogue et j’ai fait 3 jours en mer. J’ai payé 3 mille euros pour faire le voyage. De l’argent que j’ai pu collecter en travaillant dans les usines de poissons. Je ne pouvais pas appeler ma famille. Je ne suis toujours pas en contact avec eux. Je ne peux pas les contacter pour éviter que les autorités guinéennes sachent où je suis car ma mère a reçu la convocation de la police qui m’a été envoyée. Mon père a été arrêté du temps d'Alpha Condé mais j’ai vu sur les réseaux sociaux qu’il a été jugé récemment. Il en encore pris un an dont 6 mois de prison avec une amende de 500 mille Francs Cfa guinéens.» Nakata, qui a fui son pays, caché dans un camion, qui a été gardien puis ouvrier dans la construction de route avec les chinois au Sénégal, qui a pris le risque de venir à la frontière guinéenne pour récupérer son passeport, qui a trimé au Maroc pour avoir de quoi payer son billet, qui a risqué sa vie en pirogue, est devenu ce sans papier, en attente d’une réponse de demande d’asile. Un sans papiers qui, le temps d’être régularisé par le gouvernement français, espère trouver un nouveau squat. A Toulouse, Nakata espère toujours avoir une vie meilleure. Loin de celle de migrants en situation irrégulière.
Moussa Koita, passe de zéro à héros
Cette vie meilleure, Moussa Koita (nom d’emprunt) l’a décrochée. A force de persévérance, il est sorti de sa galère. «Actuellement, j’ai ma licence en attaché commercial, j’ai deux ans d’expérience en sociologie, une année d’expérience en linguistique sans compter mes expériences du bled. J’ai quitté le squat, j’ai épousé ma femme, j’ai changé mon réseau, j’ai eu mes papiers et j’ai demandé ma nationalité. Mon décret est sorti et j’attends ma carte de nationalité. Comme disent les Toofan, on peut passer de zéro à héros même si je ne suis pas un héros.» Ce sésame, si prisé par les migrants, le Guinéen d’une trentaine d’années, l’a obtenu. Mais, il lui a fallu trimer pour arriver à ce niveau. Tout a commencé, chez lui, en Guinée. Le jeune homme, qui pense qu’en Afrique les jeunes ont moins de chance de réussir car n’ayant pas de travail, a connu les affres de la prison à cause de son militantisme. Membre de l’Union des forces républicaines (Ufr), il a rejoint l’Union des forces démocratiques guinéennes (Ufdg). Un élan politique, freiné par les tenants du pouvoir. Il est emprisonné par le régime d’Alpha Condé et se fait torturer. « J’ai été tabassé par les militaires. J’ai été victime de plein de choses de la part de ma propre famille et de mon entourage. Des bavures, subies à cause de ce que les politiciens font croire à la population car ils ne font que diviser pour mieux régner. Ils agissent selon leur ethnie et sèment la discorde au sein de nos propres familles. Avant 2010, nous n’avions pas ce problème mais aujourd’hui, il y a de la méfiance. Les partis politiques ne sont pas là pour nous. Et ça, je ne l’ai compris qu’une fois arrivé en Europe.»
Moussa paye 13 millions francs guinéens pour le billet, tombe sur un faux passeur et connaît son premier «kidnapping» à Gao
A sa sortie de prison en 2016, Moussa savait que sa vie était en danger s’il restait au pays. Avec un ami, il décide d’aller en Europe, en passant par la Libye. « On avait remarqué que la jeunesse subsaharienne partait de la Libye et arrivait en Europe trois à quatre semaines après. On s’est dit pourquoi pas nous ? On s’est dit que ce sera aussi facile pour nous. » Le 12 décembre 2016, Moussa et son ami qui est aujourd’hui en Allemagne, quittent la Guinée. Sans rien dire à leurs parents. 24 heures après, ils arrivent à 8 heures à Guinée-Gare de Bamako. Au Mali, ils passent plus de temps que prévu. « On n’avait pas d’expérience. Au début, on partait en boîte de nuit, on sortait. On se disait que l’on n’est plus en Guinée. Mais c’était le début de notre cauchemar. On dormait dehors, dans les gares…» Ils trouvent finalement un passeur. Chacun de leur côté. « A la gare de Mali, il y a tous les tickets. Bamako-Suisse, Bamako-Belgique. De passeur en passeur, ils nous disaient que l’on arriverait à destination. » Mais, Moussa n’avait que 6 millions de francs guinéens. Et le passeur en demandait plus. Son ami part sans lui. Il se retrouve seul. Sa sœur lui envoie de quoi compléter. Avec 13 millions de francs guinéens, (presque un million en francs Cfa) il obtient son ticket de bus pour Gao. « Après 24 heures on est arrivé. On a dépassé plus de 17 barrages. A chaque barrage, il fallait payer entre 15 mille à 25 mille Francs. Il y avait beaucoup de guinéens. On a formé un groupe. A chaque fois que l’on arrivait à un barrage, le chauffeur disait aux militaires que voulions traverser. On nous réclamait de l’argent.»
A un moment donné, Moussa dit à ses compatriotes de descendre du bus et de contourner à chaque fois qu'ils s’approchent afin de ne plus payer. Ce qu’ils feront. Le chauffeur, qui ne pouvait pas les attendre toujours, finit par les abandonner. «On s’est démerdé seul. Un autre bus est arrivé et il nous a emmenés. Arrivé au garage de Gao, il fallait aussi payer. On ne pouvait pas contourner certains barrages car il y a des rebelles d’un côté et des militaires de l’autre côté.»
A Gao, les problèmes de Moussa ont débuté. « Mon passeur n’existait pas. Il m’avait donné un faux numéro. Je l’ai appelé en vain. Mes autres amis ont été récupérés. Moi non. C’est là que mon cauchemar a commencé. J’étais seul. A un moment donné, des gens, des jeunes de l’ethnie Boro-boro sont venus à moi. Ils m’ont entouré et parlaient un dialecte que je ne comprenais pas. Je leur ai demandé s’ils connaissent le nom de mon passeur, ils m’ont dit non. Là, ils m’ont forcé à entrer dans le taxi avec eux. J’avais faim, je voulais être avec des personnes, je voyais qu’ils n’étaient pas cool mais je ne pouvais rester, à la tombée de la nuit, tout seul. Je leur ai dit que je n’avais pas d’argent sur moi, ils m’ont dit qu’ils allaient tout prendre en charge. Sur place, ils m’ont jeté dans la maison et m’ont ordonné des choses à faire. Je me suis plié. »
Moussa s’enfuit, paie 25 mille Francs à un rebelle touareg…
Seul dans le noir, du riz mélangé à des haricots comme repas, Moussa vit ses premiers moments d’incertitude. Ses kidnappeurs lui disent ne pas connaître le nom de son passeur et qu’il devra payer pour sortir de la maison. « Ils m’ont emmené vers Moussa 11. Les gens qui sont passés par Gao le connaissent. C’est un rebelle méchant. Un golboro. Ce sont les rebelles qui font le business de la migration. Ils travaillent avec les passeurs de chaque communauté. Des passeurs sénégalais, guinéens, burkinabés…Tout le monde travaille avec lui. Ce sont ces passeurs cherchent des passagers dans leur pays. Quant aux rebelles, ils assurent le voyage en mer et reçoivent une partie de l’argent encaissé. Les rebelles n’ont plus de travail, n’ont plus d’argent. L’argent du pétrole n’est plus pour eux mais part vers l’Europe. Ainsi que celui de Khadafi. C’est pourquoi, les citoyens libyens n’ont plus rien. Ils ne font que violer et prendre en otage les passagers en partance vers l’Europe. Ce sont des gens flippants mais savaient que je n’avais pas peur. Ils cherchaient à m’apeurer, moi à partir. Durant deux jours, ils m’avaient gardé enfermé. Au troisième jour, j’ai crié pour qu’ils me libèrent. Comme les rebelles vivent avec la population, les touaregs, les azawads ainsi que les militaires blancs, ils prennent peur quand les gens crient car les militaires croiraient qu’ils les maltraitent. Gao c’est un coin de guerre. C’est à mon huitième que j’ai réussi à m’enfuir de la maison. J’ai négocié avec un rebelle touareg qui fait le trafic de pétrole entre Kidal-Gao-Algérie. Il prend le pétrole du désert et l’emmène en Algérie. J’avais gardé 35 mille Francs Cfa sur moi comme argent de poche. J’ai remis les 25 mille au monsieur pour qu’il m’emmène en Algérie. Mais, au lieu de respecter le pacte, il m’a vendu aux rebelles de Timiaouine.»
« Les mêmes rebelles qui combattent le régime d’Assimi Goita nous ont kidnappé sur le continent africain. Ils nous ont fait travailler, nous emmenait dans les coins explosifs, miniers pour transporter les fûts de pétrole»
Moussa, qui pensait voir le bout du tunnel, se retrouve au fond d’un autre gouffre. «Dans leurs prisons, il y a toutes les nationalités. Si tu es guinéen, c’est un guinéen qui te fera du mal, si tu es malien pareil. Ils capturent les gens pour leur business. Ils m’ont demandé 300 mille Francs Cfa pour aller en Algérie ». Moussa leur dit n’avoir ni argent ni famille en Afrique et pouvait travailler à leur service pour payer le ticket de voyage. Les Azawads étaient ses bourreaux. « Les mêmes rebelles qui combattent le régime d’Assimi Koita nous ont kidnappés sur le continent africain. Ils nous ont fait travailler, nous emmenaient dans les coins explosifs, miniers pour transporter les fûts de pétrole. On a fait ça pendant huit jours. Ensuite, ils nous ont mis dans un pick-up nous faisant croire que l'on allait en Algérie » C’était encore du toc. «Ils nous ont emmenés à khalil, un autre coin des azawads. Une ville entre la frontière malienne et l’Algérie. Il y avait des sénégalais, des burkinabè, des ivoiriens, des guinéens… Il y avait toute l’Afrique subsaharienne. Surtout l’Afrique de l’Ouest. (…) A khalil, on s’est battu pour se libérer. On travaillait toujours dans le pétrole. Dans la prison que nous regagnions après le travail, on ne voyait que le sable. On a tout fait pour s'échapper. On était six, dont deux burkinabés et un malien à tenter l’évasion. La nuit, on voyait la lumière de la prison. Le malien, qui y a travaillé dans le passé, connaissait cette route. On a sauté et on est parti de là bas en courant. »
Les jeunes qui avaient entendu les rebelles dire que 18 kilomètres séparaient l’Algérie de l’endroit où ils étaient, se sont lancés. A pieds, ils arrivent à Bordj Bahri Moutawakil. A 5 heures du matin. Ils sont interpellés par des gendarmes algériens. Moussa et ses amis leur expliquent s’être échappés de la capture des rebelles. Les gendarmes leur ont laissé de l’eau pour se baigner avant de les laisser partir. C’était la nuit. Ils se sont reposés. A 6 heures du matin. « On s’est réveillé et on a vu des noirs sortir d’on ne sait où, aller chercher du travail. Chacun a cherché sa communauté. La même galère continuait. On nous demandait d’appeler nos familles pour qu’ils nous remettent de l’argent mais comme j’avais commencé à comprendre leur jeu, j’ai su comment m’en sortir. » Dans le foyer guinéen, Moussa devait donner 1500 dinars chaque samedi. C’était beaucoup. «On faisait le travail d’aide maçon, on creusait des trous. Mais j’ai creusé 1,5 mètre de trous. J’ai même fait de la maçonnerie alors que je n’ai jamais mélangé de ciment chez moi. J’ai creusé des trous avec des machines, j’ai chargé et déchargé des camions de sable, de béton et de briques. J’ai fait des travaux ménagers dans une famille algérienne, j’ai travaillé avec des vendeurs de légumes dans les marchés hebdomadaires.»
Frontière marocaine : « Parfois les militaires tirent sur les gens et qu’il y a même des fils barbelés électriques qui sont installés parfois. On était plus de 100. Les passeurs nous ont fait traverser.»
Moussa avait fait 3 semaines au Mali, 6 à 7 semaines en Algérie. La destination finale étant l’Europe, Moussa apprend que la route de Tanger passait. « Il fallait encore négocier. Toujours avec les Touaregs qui viennent du Mali et qui sont dans le désert de Tombouctou, Timiaouine, Algérie jusqu’à Debdeb, Tripoli. Ce sont les mêmes rebelles qui sont là bas. C’est eux qui gèrent les convois. Vous donnez l’endroit où vous voulez aller, ils trouvent des passeurs qui viennent avec des gens. Le rendez-vous fixé ainsi que le prix, le chauffeur démarre. On a négocié un voyage pour Oran. Mais, ils nous ont laissé dans le désert en nous disant de terminer le reste à pied. On a beaucoup marché. On s’est démerdé. On a trouvé un parc. On est resté dans ce parc jusqu’à l’Aube. On s’est lavé, on a acheté de belles chemises, on s’est bien habillé pour être présentable. Là bas aussi, c’est la galère. J’ai fait une semaine. On a trouvé un foyer avec mes potes de la route. La semaine, on a payé 3500 dinars. Après on nous a parlé d’un convoi qui allait au Maroc. Mais il ne s’arrêtait qu’à la frontière. Après, il fallait se démerder. A la frontière, c’est dangereux. Il y a des trous qui sont creusés et beaucoup de gens se sont bousillés la jambe. Parfois les militaires tirent sur les gens et il y a même des fils barbelés électriques qui sont installés parfois. On était plus de 100. Les passeurs nous ont fait traverser.» Moussa qui avait un ami qui l’attendait prend le bus de Casa. Ensemble ils sont partis à Tanger. Mais au Maroc, c’était aussi compliqué. Moussa n’a pas duré là bas. «Au Maroc, il n’y a pas de travail comme en Algérie. Les gens faisaient la manche pour vivre. »
Constantine : « Un taximan nous a vendu à Amara, un passeur guinéen. Il a deux foyers. L’un est pour les gens qui ne paient pas. Ils sont battus, leurs bras et mains cassés. Ils subissent toutes formes de torture. »
Pour ne pas dépenser inutilement le peu d’argent qui leur restait, Moussa et son ami retournent en Algérie. « Là bas, on pouvait travailler. L’argent que l’on gagnait on le dissimulait en creusant un trou quelque part puis on faisait caca dessus afin que personne ne puisse penser qu’il y avait quelque chose là bas. Au lieu d’aller en Algérie, on a pris un bus pour Tamanrasset. Mais, les algériens qui se sont peut-être dit que nous sommes des noirs et n’avions pas de carte, nous ont fait descendre à Constantine. On a encore beaucoup marché. Là bas aussi, on vend les gens. Un taximan est venu nous prendre et nous a vendu à un passeur guinéen. Il s’appelle Amara. Le gars lui a donné l’argent. Il a deux foyers. L’un est pour les gens qui ne paient pas. Ils sont battus, leurs bras et mains cassés. Ils subissent toutes formes de torture. L’autre foyer, c’est pour ceux qui paient et qui, une fois le convoi arrivé, partent. Comme il y avait trop de tension menaçante avec les rebelles, j’ai appelé ma maman qui m’a envoyé de l’argent. Amara l’a récupéré. Il devait m’emmener à Tripoli. Mais si je savais je n’allais jamais accepter ce voyage. C’est comme si je n’avais pas souffert depuis que j’ai quitté la Guinée. Déjà de Tamanrasset à Tripoli, on a fait trois semaines. On a changé une cinquantaine de chauffeurs Toyota qui se relayaient pour nous transporter. On descendait et un autre nous prenait. On ne peut compter le nombre de personnes qui nous a menacés, le nombre de personnes qui nous a frappées, le nombre de personnes tuées par ces gens. Le pire est qu'on ne pouvait savoir qui fait quoi. Ils nous prennent, ils nous font monter dans des pick-up de 15 personnes. On était parfois 35. On était assis, le corps courbé. Moi, un instant, je me suis juste rajustée mais le libyen m’a carrément giflé. Je me suis tu. Si je parlais, je sais qu’il allait me tuer. On avait des crampes, certains avaient des problèmes de mains, de pieds ou autre mais ils s’en foutent. Les enfants, ils foutent royalement. Pendant trois semaines on a voyagé ainsi. Ils nous ont emmené dans les coins pétroliers. Entre africains, se faire ça, c’est grave. Je ne sais pas comment on a pu mettre un tel désordre en Afrique. Entre africains, on ne devrait pas se faire tant de mal. Pourquoi on accepte que les gens nous donnent de l’argent pour vendre ton frère, le torturer, le maltraiter. Tout ça pour du matériel. Sur la route, ce n’était pas des blancs qui nous maltraitait mais des noirs, des métisses arabes, des guinées, des sénégalais, des ivoiriens comme nous. »
«Des amis sont tombés et ont été abandonnés dans le désert par le chauffeur. Une ivoirienne, aussi, est tombée. Sa fille, un bébé, s’est retrouvée toute seule »
Ce calvaire dans le désert, restera ancré dans l’esprit de Moussa : « On a traversé le désert avec beaucoup de souffrance, de violence, de torture, de famine. Durant ce voyage de Tripoli, ils nous demandent de nous agripper au véhicule pour que si la voiture connaît une secousse, on ne tombe pas. Mais certains tombent et ils ne s’arrêtent pas. On a eu des amis avec qui on a fait le voyage, ils sont tombés. Quand j’ai demandé au chauffeur de s’arrêter, il ne nous a même pas écoutés. Ça s’est répété plusieurs fois. Une ivoirienne est tombée. On a crié pour qu’il s’arrête. Il ne nous a même pas écoutés. Sa fille, un bébé qui marche à peine, était avec un autre voyageur qui l’a aidé le temps du voyage. On ne sait pas si elle est morte ou pas. Car, en route, on voyait des tombes de personnes. On voyait des corps sans vie, des enfants…On se disait que ce sont ces gens tombés lors des voyages et qui n’ont pas été sauvés.» C’est ainsi que Moussa a voyagé. Ils ont aussi dormi avec les chevaux, les chameaux, dans des enclos.
« A Ben Walid, c’est un ancien militaire de Khadafi qui est là bas. C’est est balèze. Il a des prisons, des jeunes qui travaillent pour lui. »
A Ben Walid, un autre périple commence. « Ils nous ont enfermés quelque part. C’est un ancien militaire de Khadafi qui est là bas. C’est un balèze. Il a des prisons, des jeunes qui travaillent pour lui. Ils nous ont tous mis dans une prison, nous ont demandé le nom de nos passeurs, les ont appelés un à un. On a fait une journée, le lendemain, il nous a cherché un taxi pour nous emmener. On était trois et il y avait une fille avec nous. C’est dans le coffre du taxi qu’ils nous ont caché pour que personne ne nous voit parce que Tripoli, chaque quartier à son clan. Ils vivent de la violence, du vol et du viol.» À Tripoli, Moussa et les autres candidats sont emmenés dans un campo. A Saboisirine. A 7 kilomètres de Tripoli, au bord de la mer. A l'arrivée des passeurs, Moussa pensait être au bout de sa misère. «Entre là-bas et la zone internationale, c’est 7 heures de trajet. Le gal, qui est un ballon gonflable, nous lui avons donné forme après avoir effectué le travail de menuiserie. Il fallait partir. »
Tripoli. Dans un gal de 7 mètres avec un moteur de 25 kilowatt, Moussa embarque à 00 heures. A 4 heures du matin, l’hélice se démonte et tombe à l’eau. Ils passent 3 jours en mer, 32 personnes meurent.
Ils étaient 172 personnes dans un gal de 7 mètres avec un moteur de 25 kilowat. « Le moteur était faible. On a quitté à la veille de la fête de Korité de l’année 2017. On se disait que l’on va fêter en Europe. On a embarqué à 00 heures. A 4 heures du matin, notre hélice s’est desserrée avant de tomber dans l’eau. On était sur la zone tunisienne. Le gal n’avançait plus. Ça ne bougeait pas. Le capitaine nous a dit que l’on ne pouvait plus avancer et que l’on allait appeler le passeur pour qu’il nous envoie une hélice. On l’a eu une fois. Après, on ne pouvait plus le joindre. On a fait trois jours dans la mer. Du lundi au mercredi. Il y a eu 32 morts. Le dernier jour où nous devions tous mourir, la marine libyenne, qui avait vu des corps au bord de la mer, est venue nous secourir. Quand ils nous ont récupéré, ils nous ont directement remis en prison à Al zawiya. J’ai passé trois semaines là-bas. »
Italie : « Mes parents pensaient que j’étais mort et ont tué un bœuf pour mes funérailles… Le 28 septembre 2017, je suis arrivé en Italie. On était 125 pirogues avec plus de 800 migrants»
Alors que Moussa cherchait toujours cet issu de secours qui le mènerait en Europe, ses parents perdent espoir. « Ils pensaient que j’étais mort car je n’appelais plus et je ne donnais plus de nouvelles. Ils ont tué un bœuf pour mes funérailles. Quand je suis sorti, j’ai appelé en Guinée, ils m’ont remis de l’argent. J’ai appelé mon passeur qui a envoyé un taximan pour qu’ils viennent me prendre à la prison. Au lieu de m’emmener chez mon passeur, il m’a vendu à un autre arabe. Qui, à son tour, me faisait travailler dans des champs de pommes de terre, d'oignons et autres. Il m’a soumis à un travail forcé. Je ne pouvais qu’accepter. Au troisième jour, il m’a laissé appeler mon passeur. On est parti dans un foyer. Je ne voulais plus appeler ma famille. Je me suis dit que je devais travailler pour régler mes problèmes moi-même. J’ai commencé à travailler dans un ancien camp bombardé durant la guerre situé au quartier Arada à Tripoli. C’est une ville pro khadafi. J’ai travaillé comme aide-maçon. » Moussa a aussi cherché un autre passeur. « J’avais entendu parler d’un malien, fiable qui n’aimait pas faire du mal aux africains. Il s’appelle Solo. Je lui ai expliqué mon histoire, il a promis de me prendre en charge. Il m’a emmené à Houmous, un autre coin pour traverser. Houmous et la zone internationale, c’est 4 heures. J’ai fait trente jours là bas. Le 28 septembre 2017, je suis arrivé en Italie. On était 125 pirogues. On était plus de 800 au total. On était content. On est arrivé à 1 heure du matin. Et ce n’est qu’à 15 heures que l’on nous a secourus car on était beaucoup. On est rentré par Catania, au sud de l’Italie. Ils ont fait des transferts par la suite. Via des bus. Nous, c’est à Brescia qu’ils nous ont emmenés.»
Un parcours, parsemé d'embûches, entre la terre et la mer, que Moussa a du supporter pour afin humer l’air européen. Comme Malick, Nakata, Moussa a aussi cru que tout était accompli. Mais c’était loin d’être fini…
Serigne Mor Mbaye : « Le pire est que les autorités n’en parlent pas. C’est choquant. Leur jeunesse s’en va, mais elles n’en parlent pas. C’est le mutisme total. Les enfants ne pensent qu’à partir”
L’Afrique, ce berceau de l’humanité, qui voit sa jeunesse, décimée au quotidien, disparaître dans les eaux, ne cesse de pousser un cri de douleur. Mais, les autorités qui la dirigent semblent ne pas entendre ses hurlements. Ce silence assourdissant des autorités sénégalaises, Serigne Mor Mbaye le dénonce : « Le pire est que les autorités n’en parlent pas. C’est choquant. Leur jeunesse s’en va, mais elles n’en parlent pas. C’est le mutisme total. Les enfants ne pensent qu'à partir. Par conséquent, les foyers se disloquent. La faute à nos autorités. Ce manque de patriotisme en est la faute. Alors que L’Espagne et la France sont en pleine crise. Ils migrent aussi. Et si nous avions une meilleure gestion, on aurait une meilleure posture. L’avenir est en Afrique et non ailleurs mais il faudrait s'investir à fond avec patriotisme.» Ces drames qui frappent le Sénégal n’ont pas été la tasse de thé des autorités sénégalaises.
C’est après la visite du ministre de l’intérieur espagnol, Fernando Grande-Malaska, à son homologue Sénégalais, Sidiki Kaba, le 30 octobre 2023, que le chef de l’Etat Macky Sall a, dans un communiqué du 08 novembre 2023, demandé au gouvernement « de faire prendre des mesures sécuritaires, économiques, financières et sociales d’urgence afin de neutraliser les départs d'émigrants à partir du territoire national ». Dans le communiqué qui fait référence à une stratégie nationale de lutte contre la migration irrégulière présentée en juillet par le gouvernement, les ministres de l’Intérieur, des Armées, de la Jeunesse ou encore de la Pêche ont aussi été associés à l’effort. Une note, suivie 4 jours après, d’une sortie du ministre, Abdou Karim Fofana, porte-parole du gouvernement dans le journal Afrique de Tv5. Il disait : « Ce qu’il y a de nouveau, c’est le profil des migrants. Nous voyons de plus en plus des gens qui vont à l’aventure avec des entreprises qui marchent. Alors qu’ils ont un salaire. Le déterminant n’est pas seulement économique». Après l’extrait d’un jeune de Fass Boye qui soulignait n’avoir plus d’espoir au Sénégal et qu’il n’hésitera pas à prendre la pirogue pour aller en Europe parce qu’il veut satisfaire les besoins de sa famille et n’en a pas les moyens, le ministre évoque une analyse globale macroéconomique et donne des chiffres de l’Union européenne…
Me Lamine Dobassy : « Les gouvernements africains ne font absolument rien pour qu’il n’y ait plus d’émigration. Ce sont les jeunes qui manifestent, qui font des marches. S’ils partent, ils seront beaucoup plus à l’aise.»
Ce «silence coupable» des dirigeants, Me Lamine Dobassy, avocat au barreau de Toulouse, l’explique froidement. Dans son cabinet à Toulouse, l’avocat Sénégal n’y va pas par le dos de la cuillère pour analyser cette posture des états. Surtout, celui Sénégalais. « Les gouvernements africains ne font absolument rien pour qu’il n’y ait plus d’émigration. Ce sont les jeunes qui manifestent, qui font des marches. S’ils partent, ils seront beaucoup plus à l’aise. C’est ce que je vois. Ils se disent que ce sont ces jeunes entre 18 et 23 ans qui peuvent leur rendre la vie difficile. Partez et je resterai tranquille. Pour moi, c’est une mascarade de dire que nous allons les arrêter. Si vous empêchez les gens de partir, donnez-leur du travail d’abord. Si vous n’arrivez pas à leur donner du travail, tant qu’ils restent affamés, ils trouveront une solution pour partir. C’est clair. » Quid du gouvernement Sénégalais ? « Politiquement, le gouvernement sénégalais n’a rien à dire. J’ai entendu, je pense que c’était un marabout sénégalais, peut-être que je peux m’abuser, dire que ceux qui prennent la pirogue, sachez que si vous mourez, c’est du suicide. Je me suis dit que lui-même n’a pas compris ce qu’il a dit. Quelqu’un qui, pour aller chercher pitance, pour pouvoir se sauver et sauver sa famille, accepte le suicide… Pouvez-vous interpréter ce degré de désespoir ? Ce n’est pas quelqu’un qui a une idée suicidaire mais c’est quelqu’un en bonne santé, en âme et conscience, avec la force psychique qui dit : peut-être que je vais mourir mais je ferai de sorte que mes parents soient dans de bonnes conditions. Celui qui vend sa vie pour pouvoir sauver ses parents. Essayez d’avoir la perception de ce désespoir pour voir à quel niveau ils peuvent être. »
« Pour éradiquer tout ça, il faut la bonne gouvernance. Le jour où au Sénégal être un fonctionnaire ne sera pas un luxe, ce jour-là, les gens vont rester. »
Pour Me Dobassy, les autorités sénégalaises ne prennent pas conscience du mal. «Et pour éradiquer tout ça, il faut la bonne gouvernance. Le jour où au Sénégal, être fonctionnaire ne sera pas un luxe, ce jour-là, les gens vont rester. Tant qu’au Sénégal, être fonctionnaire restera un luxe, ça ne sera pas le cas. Ici, être un fonctionnaire n’est pas totalement un luxe. Être un agent de la mairie n’attire pas les gens ici. Un privé oui. Un chef d’entreprise, qui a monté sa boîte oui. J’ai un ami Sénégalais qui est inspecteur des finances ici. C’est la jonction de l’inspecteur des impôts et du trésor, ça ne fait pas de lui un riche. Il a un salaire comme tout le monde. Au Sénégal, il serait milliardaire. C’est pourquoi j’ai compris l’éveil des consciences des jeunes. Les jeunes commencent à se questionner sur la fortune des fonctionnaires. Dès l’instant où les gens vont commencer à se questionner sur comment tu as eu ça, rassure toi, ils vont de demander des comptes. Et ceux qui ne l’auront pas compris et qui pensent que la politique, c’est du bavardage comme avant, se leurrent.»
Pourtant, en 2021, feu Alioune Badara Cissé, après avoir participé à une conférence sur l’immigration en Espagne, à Santa Cruz de la Palma, voulait trouver une solution à ce problème, véritable drame social.
« L’objectif de Me Alioune Badara Cissé était d’essayer d’étudier comment ces gens là, une fois arrivés en Europe, vivent. Il voulait aussi étudier les causes réelles de ce phénomène qui frappe l’Afrique »
Me Lamine Dobassy, qui était avec lui, se rappelle des ambitions de l’ancien ministre des affaires des étrangères Sénégalaises : « Son objectif était d’essayer d’étudier comment ces gens-là, une fois arrivés en Europe, vivent. Il voulait aussi étudier les causes réelles de ce phénomène pour savoir les raisons qui les poussent à se déplacer aussi facilement dans des conditions aussi précaires et très difficiles et qui sont parfois mortuaires. Son objectif était de connaître ce fléau migratoire qui frappait l’Afrique. Lors de cette conférence, il a donné des suggestions et des orientations à faire. On s’était quittés au mois de juin, il est reparti au Sénégal. Au mois d’août, il terminait naturellement sa mission au niveau de la Médiature de la République du Sénégal. Malheureusement, il a été terrassé. » Abc n’aura pas le temps de faire grand chose pour cette jeunesse africaine qui meurt en Afrique. La faucheuse ne lui en a pas donné le temps. Du ciel, il voit comment la mer avale encore et encore les jeunes. Qui, dans leur désespoir profond, malgré le climat défavorable, continuent à braver l’interdit pour une vie meilleure. Une fois en Europe, l’espoir vire souvent au désespoir. Que deviennent-ils ? Que deviendront Nakata, Malick, Aliou, Abdou Salam et Cheikh ? Trouveront-ils le bonheur en Europe ? Quels sont les dangers qui guettent les filles et les enfants mineurs qui prennent la pirogue ? Comment se passe la vie dans les camps ? Et le passage des îles à « Grand Espagne » ? Nous en parlerons dans la deuxième partie du documentaire. A suivre…
13 Commentaires
Mbidou45
En Mai, 2024 (11:29 AM)Reply_author
En Août, 2024 (08:02 AM)Mouhamadou Bamba
En Mai, 2024 (12:48 PM)Vendeur De Kepas
En Mai, 2024 (12:50 PM)Vendeur De Kepas
En Mai, 2024 (12:53 PM)Ashanty
En Mai, 2024 (13:04 PM)Dans cette AFRIQUE eparse demembrée dechiquetee désiquilibre par la traite negriere par la colonistaion et enterree par des dirigeants fosseyeurs nous ne pouvons plus crier ni pleurer nos douleurs donc nous dansons chantons pour noyer nos detresses voe
Daba
En Mai, 2024 (13:50 PM)c'est faux!
y'a des opportunités au Sénégal. Si tu veux faire au Sénégal le travail que tu va faire en Italie, genre cueillir des papayes , ramasser des salades, tu peux le faire au Sénégal.
l'émigration clandestine existait déjà en 1980. La rasion pour laquelle les gens partent c'est parce que ceux qui sont partis sont considérés comme des dieux au détriment de ceux qui sont restés!
les immigrés ne travaillent pas plus que les autres. Contrairement à ce qu'on dit, ils n'apportent rien au Sénégal. C'est eux qui ont appauvris les Sénégalais en limitant la créativité et l'investissement local. Si tu envoies de l'argent à tes frères et sœurs chaque mois, ils vont rien tenter pour eux-memes.
Des générations de sénégalais grandissent avec l'argent de l'immigré qui les nourrit et devenus adultes ils ne font que reproduire le même schéma!!! L'aide internationale fait la même chose, elle rend les récipiendaires paresseux, non créatifs, hautains et ignorants!
conne disait guelewar, au Sénégal le mot le plus utilisé est " jeureujeuf jeureujeuf "
on fait tout pour eux , tchimmm
Madrid
En Mai, 2024 (14:03 PM)Ibou
En Mai, 2024 (14:40 PM)Tirailleur
En Mai, 2024 (17:58 PM)886
En Mai, 2024 (18:00 PM)Les siecles passent, certains comportements demeurent; a quand la recolonisation de l Afrique car si l histoire se repete, ce serait la suite logique et pour de bon cette fois.
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