Insultes, abandon de domicile, défaut de prise en charge, répudiation, violence économique… C’est un véritable supplice que vivent en silence certaines femmes de la région de Fatick. Dans ce milieu sérère très conservateur, mariage rime souvent avec endurance, résignation et soumission totale. Autant de sacrifices que la femme doit consentir tout au long de vie de couple pour espérer toucher plus tard les fruits de sa bonne conduite avec la réussite sociale de la progéniture ; preuve qu’elle a été une épouse modèle.
Cette conception du mariage fait donc le lit de toutes les violences dont elle fait l’objet. Des organisations féminines telles que le Comité de lutte contre les violences féminines (Clvf), le Centre départemental d’assistance et de formation des femmes et la boutique de Droit, un démembrement de l’Association des juristes sénégalais, s’évertuent à combattre le phénomène. Toutefois, les pesanteurs culturelles et sociologiques, la méconnaissance des femmes de leurs propres droits et l’autocensure des victimes rendent la lutte contre les violences psychologiques plus difficile.
« Ce ne sera pas facile de faire parler les victimes. En milieu sérère, les problèmes de ménage sont des questions taboues. Si c’était à Dakar, vous n’auriez aucune difficulté à trouver des femmes émancipées prêtes à en parler. Vous pouvez tout de même essayer…». L’assistante administrative de l’Association des juristes sénégalais (Ajs), Mme Bator Seck, nous avait bien prévenus dès l’annonce de notre projet d’enquête. Sur le terrain, l’on se rend vite à l’évidence quant à la complexité de la tâche.
Les violences psychologiques contre les femmes existent-elles en pays sérère ? « Le phénomène est réel dans la région de Fatick, mais les victimes en parlent très rarement. Beaucoup préfèrent se résigner et souffrir en silence », explique Ndeye Asta Diop, la présidente du Comité régional de lutte contre les violences féminines (Clvf). Elle ajoute que c’est souvent par personne interposée ou au moyen de ses propres investigations que sa structure arrive à entrer en contact avec les victimes de violences morales. « Les femmes qui sont l’objet d’agressions psychologiques n’ont pas toujours le réflexe de venir directement vers nous, pour recueillir nos conseils et se faire assister. Généralement, elles s’en ouvrent d’abord à des proches, avant qu’on ne leur recommande de voir les responsables du Clvf. J’ai été interpellée à deux reprises sur des cas de violence féminine d’ordre psychologique par un agent de police », révèle Mme Diop. Et pour les rares victimes qui osent franchir le Rubicon en venant se confier auprès des responsables du Clvf, Mme Diop indique qu’il faut beaucoup de tact et d’habileté pour gagner leur confiance.
Endurance et soumission au mari
« Même arrivées au centre, les victimes n’en demeurent pas moins méfiantes. Elles restent sur leurs gardes dans la mesure où elles considèrent toujours être en face de personnes inconnues, d’étrangers. Elles ont peur de voir leurs secrets étalés au grand jour sur la place publique. C’est pourquoi je leur parle en tant que sœur, et j’évite le maximum de prononcer devant elles le mot tribunal. Beaucoup pensent qu’une fois devant la justice, c’est l’emprisonnement assuré du mari. Il faut dire que la meilleure manière de ne plus les revoir c’est de leur conseiller de saisir la justice », raconte la présidente du Clvf.
Mme Diop pense que ce mutisme – en réalité de l’autocensure qui ne dit pas son nom – ne fait qu’empirer les choses. « Le fait d’en parler est déjà en soi un début de solution ; tout le contraire de la résignation qui débouche le plus souvent sur des solutions radicales telles que le divorce, la violence physique, la plainte etc.», affirme-t-elle. Et de relater une anecdote : « Il y a quelques temps, une femme est venue me dire qu’elle a traîné son mari devant les tribunaux. Je n’en revenais pas. C’est elle-même qui ressassait, lors de notre premier entretien, qu’il n’était pas du tout question de saisir la justice au sujet de son conjoint. C’est dire donc que la résignation a des limites », ironise un peu la présidente du Clvf. Elle est d’avis qu’il faut parfois trancher le nœud gordien pour pouvoir régler le problème.
Résignation ou « mougne » dans le jargon de la langue sérère, le mot est au cœur du mariage dans cette société. C’est une vertu que seules possèdent les femmes endurantes. « Cette vertu » est un régulateur de la vie de couple. Dans l’imaginaire populaire sérère, sans «le mougne» (l’endurance) et la soumission totale au mari, il est difficile pour une femme de goûter aux fruits du mariage que symbolise plus tard la réussite sociale des enfants. Cette conception fataliste du mariage explique les sacrifices et autres endurances inimaginables que sont prêtes à supporter ces femmes, convaincues de toucher le graal avec la réussite professionnelle espérée des enfants.
Mariée il y a plus d’une année à un jeune homme qui réside la plupart du temps à Diourbel, A. D., 25 ans, compte respecter à la lettre cette idéologie du mariage en pays sérère, quitte à avaler tout le temps des couleuvres et autres humiliations dégradantes ! « Il m’arrive d’être harcelée, insultée et humiliée par mon mari comme toutes les femmes. C’est difficile certes, mais c’est la vie de couple qui est ainsi faite. Et puis j’arrive à gérer tout cela. Le mariage c’est l’endurance. Dans notre société, il faut avoir la carapace dure pour sauver son mariage et trouver le bonheur plus tard », argumente, un peu ironique, cette jeune fille qui considère sa maman comme sa référence en tant qu’épouse modèle. « Ma mère a beaucoup supporté durant sa vie de couple. Aujourd’hui, c’est un vieux souvenir pour elle. Ses enfants ont grandi et réussi sur le plan professionnel, preuve qu’elle a été une épouse modèle », déclare-t-elle avec fierté.
«Mon mari me menace à chaque fois…»
Autre victime de violences psychologiques, A. F., 30 ans et habitante du village de Même à 15 kilomètres de la ville de Fatick, sur la route de Bambey. Réticente au début, la jeune dame a accepté de nous faire part de son « calvaire » après moult négociations et assurances. «Mon mari me menace dès que je lui demande la dépense quotidienne. J’ai quatre enfants à nourrir, mais à chaque fois il dit ne pas avoir d’argent. Pourtant, il travaille. Je ne sais pas ce qu’il fait de cet argent », s’inquiète-t-elle. Face à cette attitude de son conjoint, elle est obligée de prendre elle-même en charge les enfants.
« Je vends des cacahuètes et des melons au marché. Cela me permet de subvenir, tant bien que mal, à certains de nos besoins », fait-elle remarquer, avec résignation. Mais, à l’instar d’A. D., la jeune femme entend rester «digne» dans l’épreuve. En clair, il n’est pas question pour elle de dénoncer son mari, encore moins de parler de tribunal.
Professeur d’Anglais au Lycée Coumba Ndoffène Diouf, Birame Mbow témoigne que chez lui, à Languème, une bourgade située à 14 km de Fatick, les agressions verbales constituent le lot quotidien des femmes. L’homme, qui se défend cependant d’être un mari violent, explique le phénomène par le milieu qui veut que le conjoint affirme son autorité sur sa femme. « Il y a aussi la pauvreté et les problèmes de dépense qui font que les hommes sont très souvent de mauvaise humeur. De même que les caprices de la belle famille qui obligent parfois le mari à prendre des décisions impopulaires contre la femme », estime M. Mbow. Il souligne que les femmes victimes de stérilité souffrent plus des violences morales. « Il suffit de peu pour qu’on leur traite de tous les noms d’oiseaux », affirme-t-il.
Selon la directrice du Centre départemental d’assistance et de formation des femmes (Cedaf), Mme Aissatou Ly Niang, la question de la prise en charge constitue la source de conflit la plus fréquente entre maris et femmes en pays sérère. «Récemment, ma lingère m’a confié qu’elle n’avait pas vu son mari depuis cinq ans ; alors qu’elle a un enfant à nourrir. Une autre victime m’a dit que son conjoint l’a laissée dans son village à Diouroup (10 km de Fatick sur la route nationale) au profit d’une seconde épouse à Ziguinchor où il travaille. Selon elle, le mari vient rarement la voir, elle et ses quatre enfants », explique-t-elle, non sans déplorer la fuite de responsabilité de ces maris.
Les violences morales, source de stress et d’anxiété
A en croire la présidente du Clvf, à côté de la sempiternelle question de la dépense quotidienne, il existe plusieurs autres types de violences psychologiques contre les femmes. Outre le défaut de prise en charge et l’abandon du domicile conjugal, Madame Ndeye Asta Diop cite la répudiation, les insultes et les violences économiques que la directrice du Cedaf qualifie de « tortures morales ».
Sur le plan de la santé, les agressions morales peuvent avoir des conséquences néfastes dont le stress. « Récemment, une voisine est décédé à Fatick pour cause de goitre. On pense que c’est à cause des agressions morales de son mari qu’elle avait fini par avoir le goitre », révèle Aissatou Sène, habitante de Fatick. Le phénomène du goitre, ajoute-t-elle, est un peu répandu dans la région. « Je suis une dizaine de personnes qui ont le goitre, et toutes sont des femmes», explique Sitor Ndour, un des médecins en service au Centre médical de Fatick. En réalité, précise-t-il, le goitre n’est pas une pathologie. C’est plutôt une manifestation de la maladie de « Base dow ». Mais contrairement à ceux qui lient le goitre aux violences féminines, il soutient qu’on n’arrive pas à identifier les causes. « C’est une maladie idiopathique, c’est-à-dire sans cause. En tout cas, ceux qui en souffrent sont souvent très stressés et anxieux », fait-t-il savoir.
D’après Mme Diop, les pesanteurs culturelles et sociologiques rendent le combat contre le phénomène des violences psychologiques extrêmement difficile.
Les pesanteurs culturelles, l’autre facteur bloquant
« Chez les Sérères, les questions de ménage se règlent en interne. Plutôt que d’aller voir l’étranger, les victimes de violences préfèrent en parler à leurs familles et proches », renchérit la coordinatrice de la Boutique de droit de la Médina, Yandé Ndiaye Bodian. En tournée dans la région de Fatick en fin novembre et début décembre derniers, elle et ses collaboratrices ont sillonné plusieurs îles du département de Foundiougne (Toubacouta, Djirnda, Betenty etc.) pour mener des consultations juridiques gratuites au profit des femmes de ces localités. Au-delà de l’assistance juridique et psychologique qu’elle a apportée aux victimes sur des problématiques liées à l’accès au foncier, à l’état civil, aux violences conjugales, aux grossesses précoces, cette initiative vise à mieux sensibiliser ces femmes sur leurs droits. Elle ajoute que beaucoup souffrent du non-respect de leurs droits et font l’objet d’une marginalisation systématique dans la société.
Sur la quinzaine de femmes ayant pris part aux consultations juridiques, Madame Bodian souligne qu’une seule a parlé de violence conjugale. « Elle a été répudiée par son mari et voulait savoir la conduite à tenir. Quant aux autres, elles ont pour la plupart posé un problème ayant trait à l’état civil », fait-elle encore noter. En réalité, souligne-t-elle, cette femme qui a osé poser la question de la violence morale (répudiation) n’est que la partie visible de l’iceberg. Le problème fondamental, confirme Yandé Ndiaye Bodian, c’est que les femmes rechignent à débattre de cette question. Elles préfèrent laver le linge sale en famille ! Autant dire encore une fois que la lutte contre les violences conjugales dans la région de Fatick est loin d’être une sinécure pour les organisations féminines locales.
Sensibilisation et mesures de protection
Pour autant, ces structures ne comptent pas rendre les armes, loin s’en faut. A travers des émissions radio, des causeries et des caravanes de sensibilisation, elles multiplient les initiatives en vue d’endiguer le phénomène, mais aussi de conscientiser les femmes sur leurs droits. « Le fait que celles-ci ne connaissent pas assez leurs droits ainsi que les possibilités que leur offre la loi, notamment les mesures de protection, constitue une porte ouverte à toutes les violences que les femmes subissent de la part de leurs maris », argumente la présidente du Comité de lutte contre les violences féminines, Mme Ndèye Asta Diop.
La directrice du Centre départemental d’assistance et de formation des femmes (Cedaf), Mme Aissatou Ly Niang, abonde dans le même sens. Elle soutient d’ailleurs que le Cedaf met beaucoup l’accent sur la formation sur les droits des femmes, dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. « J’organise pour la commune de Fatick et les autres localités du département des sessions de formation sur les différents types de violences conjugales, les mesures de protection auxquelles peuvent recourir les victimes et les droits des femmes », ajoute-t-elle.
Si elle ne se fait point d’illusion sur l’éradication rapide des violences morales contre les femmes, la directrice du Cedaf reste toutefois convaincue que l’application stricte de la loi et les sanctions peuvent contribuer à diminuer l’ampleur du phénomène.
7 Commentaires
Braves Musulmans
En Janvier, 2015 (16:35 PM)et que dire des agressions physiques, sexuelles ( ça existe et c'est défendu même entre conjoints) ? et ces mêmes machos, lâches vont se rebeller contre des dessins .... LE MOYEN-AGE A L'ETAT PUR !
Serere Fatickoise
En Janvier, 2015 (17:30 PM)Mossanne
En Janvier, 2015 (18:07 PM)La Vérité
En Janvier, 2015 (18:47 PM)supprimer la poligamie
mariage à la mairie avant mariage traditionnel éventuel
appliquer la loi laïque en matière de divorce et succession
seules ces mesures peuvent protèger le couple et les enfants !
nous vous rappelons que le dernier recencement à démontrer qu'il y avait équivalance entre le nombre de femmes et d'hommes !
Bims
En Janvier, 2015 (19:34 PM)Decidemment
En Janvier, 2015 (19:58 PM)celle des problemes crées ou averées dans les couples. je m´explique: lorsqu´un couple divorce, il faudra dans la plupart des cas a l´epouse deux ans voir 3 avant d´avoir un second enfant............on retarde l´echéance procréation ! Donc le nombre d´enfant noir va diminuer par rapport au populations occidentales vieillissantes !
deuxiemement: la famille constituant une cellule protectrice, cassez la famille, vous aurez plus facilement accés a leurs enfants (Donc potentiels clients des milieux de la prostitutions, potentiels clients des multinationales et autres grandes sociétés de distribution etc...)
la plupart des assistances sociales sont la pour casser les unions que de trouver des solutions aux problemes de couples. Donc laissez nos couples africains tranquilles. Malheureusement tous ces groupements n y voient que du feu !!!!et contribuent a detruire les societes africaines !!!Donc laissez les serreres tranquilles !!!
Surprise
En Janvier, 2015 (13:14 PM)QUE FAIRE
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