«L’espace public est dominé par un amoncellement d’affaires (y compris une boulimie foncière) dans lesquelles des responsables de l’Exécutif sont cités sans pour autant attirer l’attention du président de la République qui a concentré tous les pouvoirs et garde un silence radio, alors que la République semble être atteinte à travers cette interaction entre espace public et espace politique».
Ces propos sont de Moussa Diaw, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’université Gaston Berger de Saint-Louis, dans une tribune intitulée «La démocratie étouffée».
A cela, d’après le politologue, s’ajoute ce que certains appellent «l’autre moyen de faire de la politique», c’est-à-dire la médiatisation des insultes qui, en réalité, étaient à usage strictement privé avant de se retrouver dans le paysage médiatique en mal de sensation. Le débat qui s’en est suivi, par média interposé, interpelle et renseigne doublement sur la personnalité et la médiocrité de certains leaders, autrement dit sur «les nuls qui nous gouvernent».
Le Pr. Diaw de souligner, dans la foulée, que dans leur registre de communication politique «mal digérée», on a droit à des raccourcis du genre : «Les nominations sont politiques ; il suffit d’avoir la confiance du président.»
«Voilà une simplification de l’argumentation politique qui reflète l’état d’esprit de ceux qui ont la charge de prendre des décisions en notre nom et que nous devrions subir les conséquences de leur action politique. Alors se pose la question de compétence et de moralité, eu égard à la répétition de dysfonctionnements observés ce dernier temps dans certains secteurs de la vie sociale et politique», a-t-il écrit.
Compétence sacrifiée
A la question de savoir s’il est possible de parler «de marchandisation du politique» ? Il répond : «Les logiques politiques n’obéissent pas à des critères d’engagement, de croyance à des valeurs et principes démocratiques, mais ‘l’agent politique’ s’investit et accompagne le leader pour aboutir à une éventuelle victoire afin de récolter les dividendes à la hauteur des montants dépensés pour le soutien du candidat.»
C’est la raison pour laquelle, poursuit l’analyste politique, dans cette guerre d’insultes, on ressasse les millions dépensés qui n’ont pas été récompensés sous forme de nomination au poste de ministre, ministre-conseiller ou Pca.
«Cette violence verbale n’est pas surprenante, en considérant la trajectoire atypique des hommes partis de rien, sans diplôme, ni expérience et qui se trouvent subrepticement propulsés à la tête d’un ministère ou d’une institution. Que peut-on attendre de ces hommes pour le développement de leur domaine de responsabilité ?», s’est notamment interrogé l’enseignant-chercheur en sciences politiques.
Il pense alors que la réponse est évidemment rien, car la compétence, si l’on se réfère à ce représentant du peuple ou député du président, n’est pas exigée, ni une référence, mais l’atout est de bénéficier des largesses du maître qui ne semble pas se préoccuper du sens de la responsabilité ou d’attachement à une quelconque morale dans les attributions de fonctions ministérielles.
«Il est donc évident qu’il n’y a pas d’obligation de résultat, sauf quand il s’agit de joutes électorales. En suivant cette logique, comment parvenir à un Sénégal émergent en confiant de telles responsabilités à des personnes qui n’ont pas fait leurs preuves en matière de gestion et de management ?», confie-t-il.
Avant d’ajouter : «La responsabilité politique est assez sérieuse pour être confiée à des personnalités peu enclines à donner sens à leurs fonctions dans une République trop affectée par diverses affaires dont le dénouement n’est pas aisé. Alors faudra-t-il penser aux propos de l’ancien président américain (Barack Obama) qui considère que l’Afrique a besoin d’institutions fortes, et j’ajouterai aussi d’hommes capables de les faire fonctionner au service des populations, sans quoi la démocratie paiera un lourd tribut dans le choix des hommes pour la gouvernance politique, sociale et économique. Il n’est jamais trop tard pour corriger. Tout dépendra de la volonté d’inscrire son action dans l’histoire du pays et de garantir la pérennité de la démocratie.»
Actions significatives
De son avis, nous devons relever des défis en agissant dans le sens du respect scrupuleux de nos institutions, des mécanismes de séparation des pouvoirs, surtout dans le domaine de la justice, en favorisant son autonomie pour lui permettre de jouer sa partition dans la consolidation des acquis démocratiques.
De même, «les modalités de choix des députés méritent d’être revues pour assurer une meilleure représentativité nationale et d’éviter qu’ils ne soient suspendus à la volonté d’un homme plutôt que d’œuvrer en direction de la prise en compte des préoccupations des citoyens. Le rôle de l’Assemblée nationale est fondamental dans l’architecture de nos institutions, notamment en termes de débats contradictoires, de contrôle de l’action de l’Exécutif, d’initiatives en matière de politiques publiques et de propositions de lois. Elle ne peut se réduire en chambre d’enregistrement, de manœuvres partisanes et politiciennes», selon toujours Moussa Diaw selon qui, l’irruption du coronavirus a bousculé tous les agendas. Au même moment, elle introduit un consensus dans le paysage politique pour faire face à la propagation de la maladie par des mesures idoines.
Il est vrai que la pandémie a surpris tout le monde, y compris les grandes puissances, mais elle apparaît comme un révélateur des errements et des erreurs d’orientations au niveau de la gouvernance économique et sociale.
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