Si le Code électoral sénégalais viole le droit de libre participation aux élections comme l’atteste la Cour de justice de la Cedeao qui, dans sa décision rendue le 28 avril 2021, ordonne à l’Etat du Sénégal de supprimer le système de parrainage électoral, le débat fait rage au sein de la classe politique où le maintien du parrainage en vue des élections législatives de juillet prochain est perçu comme une nouvelle provocation de la part du pouvoir. Seneweb donne la parole à des acteurs politiques.
« Un appareil d’espionnage au service des tenants du pouvoir »
« Il faudra le supprimer à défaut de l’améliorer. Le parrainage dans sa formule actuelle menace des carrières politiques pour la simple raison que le pouvoir a la possibilité de choisir ses propres adversaires. Il s’y ajoute le fait qu’il soit un appareil d’espionnage au service des tenants du pouvoir sur les intentions de vote. C’est un filtre au service d’un camp et d’un clan », campe d’emblée, l’ancien parlementaire Thierno Bocoum, président du mouvement Agir.
Le point de vue est partagé par le Dr. Abdoul Aziz Mbodj, chargé de communication du Parti républicain pour le progrès (PrP). « Le parrainage à la sénégalaise avec sa formule magique "parrainage unique " est antidémocratique et asphyxie le pluralisme politique. Il nous mène à la limite dans des élections sans choix alors que le propre de la démocratie électorale c'est la compétition dans la transparence et l'égalité », pense-t-il.
Mbodj d’ajouter : « Maintenir le parrainage est aussi un coup dur à la crédibilité démocratique du Sénégal du fait que la pratique du parrainage est censurée par la Cour de justice de la Cedeao. Il va s'agir d'une défiance inutile et incohérente à une organisation régionale à laquelle la commune volonté des Etats membres a donné naissance », note le proche de Déthié Fall. Convaincu que « le maintien du parrainage ne garantit pas une sérénité et la confiance entre acteurs dans le jeu politique sénégalais. Il présage des tensions pendant le processus électoral », met-il en garde.
Parrainage et caution : « un filtre permettant une bonne organisation des élections législatives »
Alors, y aurait-il des risques de garder le parrainage pour la démocratie sénégalaise ? « Le risque dans la formule actuelle est de donner la possibilité antidémocratique et liberticide aux tenants du pouvoir d’éliminer ou de choisir qui ils veulent comme adversaire », tranche Thierno Bocoum. Un avis loin d’être partagé par Adji Mbergane Kanouté, vice-présidente du groupe parlementaire Benno Bokk Yakaar. « Je trouve pertinent et opportun de maintenir le parrainage parce que nous pouvons considérer le parrainage et la caution comme un filtre permettant une bonne organisation des élections législatives. Vous conviendrez avec moi qu’il est extrêmement difficile d’aller aux élections avec une multitude de listes de candidats. Je reste convaincue que tous ceux qui veulent aller aux élections locales sont assez sérieux quant à leur candidature, raison pour laquelle, il est incompréhensible que ces derniers rejettent le parrainage », martèle l’élue de la mouvance présidentielle.
Par ailleurs coordonnatrice de Macky2012, elle estime que « ceux qui rejettent le parrainage ne pèsent certainement pas lourd et sont déjà sûrs de ne pas avoir le nombre de pourcentages requis pour les législatives à venir ».
Quid des risques que pourrait faire courir ce système à la démocratie sénégalaise, « Le parrainage ne peut impacter négativement notre démocratie. Au Sénégal, nous avons une démocratie très avancée, avec de profondes réformes, un État de droit, une séparation des pouvoirs, le pouvoir au peuple entres autres…Nous avons de quoi être réellement fiers de l’énorme travail abattu par son Excellence le Président Macky Sall », se réjouit Adji Mbergane Kanouté, là où Bocoum soutient, qu’en cas de maintien du parrainage, « Il n’y a que le pouvoir qui y gagne. Il pourra, contre ses adversaires, faire d’une pierre deux coups : recaler et espionner ».
Adji Mbergane Kanouté en est convaincue: avec le maintien du parrainage, « il n’y a pas de perdants, aussi bien le pouvoir que l’opposition y gagnent avec le parrainage car ça fait appel à la méthode, à l’organisation et à une démocratie qualifiée et profitable au peuple sénégalais », dit-elle. Non sans jeter une pierre dans le jardin de l’opposition : « nous avons une opposition qui ne veut pas aller aux élections législatives et nous comprenons leur attitude car les élections locales viennent de prouver à suffisance que la coalition Benno Bokk Yakaar reste majoritaire dans ce pays ».
« Le Sénégal applique les décisions quand ça l’arrange »
Spécialiste des questions migratoires, Boubacar Sèye, président de Horizon sans frontière dénonce une démocratie censitaire. Il regrette que « Le Sénégal qui est un membre important et déterminant de la Cedeao applique les décisions quand ça l’arrange ». D’ailleurs notre pays « a été épinglé par la cour de justice de la Cedeao dans le cadre de la mise en place d'un parrainage qu’elle considère comme anti démocratique et qui vise à limiter la participation des citoyens aux élections législatives. Aujourd’hui, cette situation n’a pas été prise en compte par le Sénégal qui continue de défier l’institution Ouest-Africaine », regrette le leader de Tabaxaat Sénégal, candidat aux législatives pour le compte de la diaspora sénégalaise.
La non application de la décision de l’instance communautaire est « inacceptable » selon lui, « d’autant plus que lorsqu’il s’agissait de sanctions contre le Malin, le Sénégal a apposé sa signature à la prise d’une telle décision ». De ce fait, il trouve « inapproprié cette situation qui n'honore pas le Sénégal dans les instances de décisions régionales encore moins internationales ». « Nous condamnons avec la plus grande fermeté le parrainage qui est un filtre réservé tout simplement aux gens qui visiblement ont des moyens financiers. Finalement, on est dans le cas d’une démocratie censitaire et pourtant le Sénégal est un fervent défenseur de l’application stricte de toutes les mesures de la CEDEAO », souligne le chercheur en migration.
Dr Abdoul Aziz Mbodj est du même avis. « Si on comprend pourquoi le pouvoir avait prélevé des millions de signatures pour le parrainage lors de la présidentielle de 2019 et pourquoi le pouvoir s'était battu pour obtenir la première place des listes de parrainage à contrôler par le conseil constitutionnel, on peut répondre à la question posée. Éliminer ou diminuer les candidats ou listes en compétition pour éviter l'éclatement des voix sont des objectifs que le parrainage permet d'atteindre. Cela favorise le pouvoir qui peut, par l'efficacité du scrutin majoritaire, se tailler une majorité confortable tout en ne disposant pas de la majorité des voix. L'opposition court de voir comme lors de la dernière présidentielle le rejet de ses listes du fait d'un mécanisme de contrôle non maîtrisé et dont la fiabilité pose encore problème », tente de convaincre le proche de Déthié Fall.
Toutefois, pour Adji Mbergane Kanouté, députée à l'Assemblée, il n’y a pas péril en la demeure : « Le Sénégal est un pays souverain, un État où la liberté d’expression est une réalité. Ce n’est que dans ce pays qu’un citoyen insulte les institutions et se promène tranquillement sans être inquiété. J’ai fais pas mal de pays en ma qualité de vice présidente de l’UIP, l’organisation mondiale des parlements mais le Sénégal est très en avance par rapport à d’autres pays en ce qui la démocratie et la mise en place d’infrastructures répondant aux normes internationales », relativiste l'élue parlementaire. Arme politique ou acquis démocratique, à 4 mois des élections législatives, le parrainage continue de diviser la classe politique sénégalaise. En attendant la forte mobilisation promise par l'opposition sénégalaise pour dire non au filtre des candidats.
9 Commentaires
Benga
En Mars, 2022 (14:40 PM)Apr
En Mars, 2022 (14:42 PM)Benga
En Mars, 2022 (14:43 PM)l'opposition n'est pas sure d elle
Alwa6076
En Mars, 2022 (17:57 PM)Participer à la Discussion