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Politique

Abdou Latif Coulibaly décortique le rapport IGE : « Les sanctions peuvent aller jusqu’à ...»

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Abdou Latif Coulibaly sur le rapport de l'IGE
Au lendemain de la publication du rapport Ige pour les exercices 2016, 2017 et 2018-2019, le ministre Abdou Latif Coulibaly s’exprime dans un entretien avec Seneweb pour décrypter le sens à donner aux rapports des organes et corps de contrôle de l’Etat. L'ancien journaliste revisite dans cet entretien, l'historique de la loi portant statut des inspecteurs généraux d'Etat, les types de rapports produits par l'Ige, leur utilité et rappelle les sanctions encourues par les personnalités épinglées dans les rapports des corps de contrôle de l’Etat. 

Entretien.

Plusieurs institutions de la République ont été épinglées par les récents rapports de l'inspection générale d'État (IGE) pour des malversations dans la gestion des deniers publics. Mais pour d'aucuns, les responsables de ces mêmes institutions, auteurs desdites malversations, ne seront ni sanctionnés, ni punis ou même inquiétés. Qu'en pensez-vous ?

Avant de répondre à votre question, je souhaiterais au départ faire des précisions qui, me semble-t-il, pourraient aider à comprendre davantage la nature et le sens du rapport qui vient d'être rendu public et qui soulève sur certains points, et à juste titre d'ailleurs, des interrogations légitimes de la part de nombreux citoyens. Le Comité du Rapport public sur l'état de la Gouvernance a été institué par les dispositions de l’article 9 (loi n° 2011-14) du 8 juillet 2011 pour vérifier l'état de la Gouvernance publique au Sénégal, en vue de l'améliorer.  

A quelles fins ?

Rappelons que cette loi du 8 juillet 2011, a abrogé la loi (n° 2005-23) du 11 août 2005 portant statut des Inspecteurs généraux d’Etat, elle-même modifiée par la loi n° 2007-17 du 19 février 2007. Ce comité est une entité introduite dans l’organigramme de l'Inspection Générale d’Etat, elle est l’œuvre de l'ancien de l’ancien président Abdoulaye Wade, mais n’a été mise en mouvement qu'à partir de 2012, à l’arrivée du président Macky Sall au pouvoir. Son rapport est une véritable introspection qui assure un diagnostic lucide de la situation d'ensemble de la gouvernance dans le pays et faire apporter les ajustements nécessaires.

Quel mérite alors pour l’actuel Chef de l'État, si c’est son prédécesseur qui a mis en place l’instance ?

Une chose est de mettre en place un organe. C’en est toute une autre de le faire fonctionner. Pour cela, il faut une volonté politique inébranlable. Le mérite du Président Sall, c’est d'avoir fait fonctionner cette importante instance qui est une première au Sénégal, je le répète. Disons, pour faire bonne mesure, que le président Wade n'avait pas eu le temps, si vous voulez, de mettre en action cette instance, entre le 8 juillet 2008, date d'adoption de la loi et le 3 avril 2012, qui a consacré son départ du pouvoir. Macky Sall l’a fait. 

Quelle est en définitive son utilité ? Peu d’utilité, sinon qu’à chaque fois que l’IGE sort son rapport cela fait beaucoup de bruit, pour rien au final ?

Je disais tantôt que c’est une innovation majeure qui marque la volonté politique des autorités de travailler davantage à assurer une bonne gouvernance au Sénégal. Je précise bien : jamais, auparavant, cette instance n’a existé pour assumer la charge de vérifier et de rendre publiquement compte de l'état de la gouvernance et de la reddition des comptes, dans un rapport remis au Président de la République. Ce rapport qui fait l'actualité pose un regard critique sur l'état de la gouvernance, souligne les faiblesses relevées et met en exergue les points forts. Il examine également les progrès enregistrés d’une année à l'autre, dans le cadre de la reddition des comptes. Il propose toute réforme jugée utile afin d'améliorer la qualité de la Gouvernance publique. Le rapport rend également compte de la performance de l'Inspection générale d’Etat appréciée au travers de l'impact de ses missions sur la qualité de la gouvernance publique ainsi que leur valeur ajoutée, en terme monétaire ou non monétaire. 

En quoi faisant, par exemple ?

Souvenez-vous dans le rapport de 2013 qui fut le premier publié par l’IGE, les inspecteurs précisaient : « (…) La recommandation issue du rapport de l’IGE en octobre 2012 sur une enquête relative aux conditions de concession du terminal à conteneur du Port Autonome de Dakar à DP world a donné une valeur de 24 milliards FCFA, effectivement encaissés par le trésor public. Au total, la valeur ajoutée monétaire issue des travaux de l’IGE dans ces rapports présentés se chiffre à plus de 64 milliards FCFA. Cela signifie que pour chaque franc CFA dépensé par l’IGE dans ses interventions, un ratio de retour d’investissement de 8,99 a été rendu possible au profit du trésor public ». Au-delà des sanctions pénales auxquelles vous pensez bien plus souvent et qui peuvent éventuellement être décidées par un tribunal, ce type de rapport obéit fondamentalement à une autre logique. 

Seneweb : A quoi peut servir ce type de rapport, quand on sait que nul n’est finalement sanctionné ?

Je considère que des sanctions pénales peuvent dans certains cas être décidées. Je vais avouer une chose j’ai un fils qui, quand il a lu la partie concernant le ministère de la Culture, il a immédiatement cessé toute activité pour me faire part de ses préoccupations, celles de savoir si c’est son père, alors Ministre de la Culture qui a été l’auteur des faits évoqués dans le rapport. J’étais heureux de pouvoir lui répondre par la négative. Je ne dis pas cela pour critiquer ou mettre en cause, de quelque manière que ce soit et qui qu’il soit, mais je vous en parle, pour mettre en évidence la fonction de catharsis sociale que ce type de rapport peut jouer. C’est important dans le travail global de promotion et de diffusion de l’esprit de bonne gouvernance dans la société. Personne, à mon avis, ne serait-ce que pour des raisons d'honneur et de crédibilité, ne souhaite être jugé par le tribunal populaire qui sans doute, est plus redoutable que le tribunal pénal. Dans ce contexte de développement formidable des technologies de l’information et de la communication, de libération de la parole avec notamment les réseaux sociaux, le jugement de l'opinion est encore plus implacable. Figurez-vous, les responsables cités ont de la famille, des amis, des camarades de parti, s’ils sont des hommes ou des femmes politiques. Tous sont affectés d’une façon ou d’une autre par le fait d'être cité dans un rapport aussi solennel. Evidemment, précisons-le, l'objectif visé est loin de livrer à volonté les gestionnaires du système auteurs de certains manquements à la vindicte populaire. Loin de là.

En d’autres termes, pourquoi on ne sanctionne pas ou presque jamais, quand les responsables qui ont été reconnus coupables de faits de détournements et autres prévarications graves relevées dans le rapport ?

Je pense qu’il était utile de faire ces précisions, car elles permettent de faire un nécessaire départ entre ce type de rapport de l’IGE et d’autres, dont cette même Inspection Générale d’Etat en est également l’auteure. Des rapports qui sont, à certains égards, différents de celui qui fait aujourd’hui l'actualité. Cela dit, vos collègues ne mettent en avant que les sanctions pénales comme réponse aux manquements relevés. Or, il y a plusieurs d'autres types de sanctions qui ne sont pas pénales : des fonctionnaires peuvent être contraints à rembourser au trésor public par des ordres de recettes émis contre eux ; ils peuvent faire l’objet d’interdiction d’exercer des fonctions managériales, d'autres sanctions peuvent aller jusqu’à une radiation pour certains fonctionnaires. Il s'y ajoute à notre avis le fait que ces types de rapports sont toujours utiles, à la communauté. J’en suis convaincu, ils finiront par entretenir un esprit de bonne gouvernance et aider ainsi à l’ancrer davantage dans la tête de tous les dirigeants de ce pays. Et ce, quelques niveaux de responsabilités qu’ils se trouvent dans la vie publique. Nul responsable ne peut aujourd’hui se permettre l'audace de jeter cette prestigieuse instance aux orties. Nous sommes tous obligés de faire avec son travail. Ensuite, rares sont ceux qui s'intéressent aux directives issues de ces rapports. Pourtant, elles sont significatives de la ferme volonté de l’autorité d’amener les managers à se soumettre strictement aux principes de la bonne gouvernance.

Est-ce que l’on pourrait avoir une idée des différents rapports et comprendre les différences auxquelles vous avez tantôt fait allusion ?

Cela peut avoir son intérêt dans le contexte actuel. On retiendra que l'Inspection générale d’Etat produit plusieurs types de rapport : des rapports d'inspection, désignés sous le vocable de la vérification administrative et financière (VAF) ; des rapports de vérification intégrée, en particulier la vérification de l'optimisation des ressources (VOR) ; des rapports d’audit interne supérieur (AIS) ; un rapport annuel sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes ;  des rapports d’études ; et enfin, des rapports d'enquêtes et d’investigations. Les rapports de l'Inspection générale d’Etat sont destinés au Président de la République qui seul peut, selon le cas, décider de leur déclassification, lorsqu’ils sont classés ‘’secret défense’’, ou de leur diffusion. Dans le cas spécifique du rapport annuel sur l’état de la gouvernance et de la reddition des comptes, c’est la loi qui a décidé qu’il est rendu public. 

Quelle signification faut-il attacher à ce caractère public de ce rapport produit sur l’état de la gouvernance et la reddition des comptes ?

Cette option du législateur qui a décidé du caractère public de ce rapport est loin d'être un fait anodin. Elle traduit au contraire une volonté nette de la part de ce même législateur de préparer et de familiariser les esprits avec l’idée de bonne gouvernance. Il s'agit pour lui d’un parti pris résolu pour assurer la transparence qui est certes une affaire de sanctions pour les fautifs reconnus, mais elle dépasse de loin cette problématique, car la bonne gouvernance est d'abord et avant tout une question d'état d'esprit, une manière d'être et de se comporter. Ses règles de base intègrent ainsi la question spécifique des finances et leur sauvegarde, de même que celles de la comptabilité matière, mais elles les dépassent et les transcendent. Ces règles sont mal comprises, dès lors qu’elles se trouvent isolées, circonscrites à une ou deux dimensions. De telles règles assurent l’efficience et l'efficacité d’une entité, quand elles sont conçues et mises en œuvre dans une perspective systémique. L'organisation du temps de travail, les relations fonctionnelles, le respect des procédures, l’optimisation des ressources à des fins de résultats et de performances sont, entre autres, parfois autrement plus importantes que toute autre question, dans toute organisation.


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