Le débat tabou sur l’éventuel troisième mandat de Macky Sall vient de faire sa troisième victime. Après Sory Kaba et Moustapha Diakhaté, le desormais ex-directeur général de Dakar Dem-Dikk Me Moussa Diop vient d’être démis de ses fonctions pour avoir osé afficher sa position sur ce sujet qui fâche. Chronique d’un débat ‘’blasphématoire’’.
C’est le terminus pour le désormais ex-directeur général de Dakar Dem-Dikk, Me Moussa Diop qui vient de confirmer sur Sud Fm son limogeage suite à sa dernière sortie sur l’éventuel 3e mandat pour Macky Sall. L’avocat avait déclaré sur la Sen Tv la semaine dernière qu’il n’y a pas matière à interprétation, un 3e mandat est impossible en vertu de la constitution. Une sortie qui lui coutera son poste comme d’autres dignitaires du régime avant lui : Sory Kaba et Moustapha Diakhaté.
En octobre 2019, le débat sur le 3e mandat, un sujet tabou dans la mouvance présidentielle, faisait sa première victime : Sory Kaba. « Par décret n°2019-1763 du 21 octobre 2019, Monsieur le Président de la République a nommé Monsieur Amadou François GAYE, expert financier, titulaire d’un MBA de l’Université des Sciences de Philadelphie, Directeur général des Sénégalais de l’Extérieur, au Ministère des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’Extérieur, en remplacement de Monsieur Sory Fantamady KABA », note un communiqué du ministre porte-parole du gouvernement, Ndèye Tické Ndiaye, le lundi 21 octobre.
Rewind ! « Macky Sall entame son dernier mandat à la tête du Sénégal. La Constitution lui interdit de faire un troisième mandat. Notre constitution a été verrouillée. Deux mandats pas plus. Il n’y a aucune possibilité de rétroactivité », déclarait la veille (dimanche 20 octobre 2019) le désormais ex-directeur des Sénégalais de l’extérieur, Sory Kaba sur le plateau de l’émission Grand Jury de la Rfm. Le ciel lui tombe sur la tête à sa sortie de studio.
Honni soit qui ‘’mal’’ y pense !
Ses déclarations notamment sa position tranchée sur la question du mandat, fait vaciller la stabilité précaire de l’Apr. Kaba reçoit le soir même, une pluie de quolibets et de menaces de la part des sbires du locataire du Palais et c’est la section Apr de Fatick qui se signale en première : « c’est avec regret que nous avons suivi, ce matin (Dimanche 20 octobre 2019), les graves allégations de Sory Kaba qui, comme à l’accoutumée, vient de manifester encore une fois sa déloyauté envers le président de la République. Chômeur de son état, émigré clandestin, rapatrié sans papier, M. Kaba a bénéficié des largesses du Président Macky Sall, soucieux de lui éviter la dépression qui avait déjà fini de manifester ses signes précurseurs ».
Le directeur du quotidien national, Le Soleil, Yakham Mbaye enfonce le clou : « c’est de l’indiscipline et une atteinte à l’autorité du président »…avant que le sabre supersonique de Macky Sall ne s’abatte aussi sec qu’un couperet sur la tête de Sory Kaba juste 24 heures après sa ‘’gaffe’’. La célérité avec laquelle le leader de l’Apr a réagi, renseigne, si besoin en était encore, sur la sensibilité du sujet : l’éventuel 3e mandat. Estampillé tabou, même les têtes brûlées du parti au pouvoir se gardent de tout commentaire hasardeux sur ce sujet qui fâche.
Une semaine après, exactement le 29 octobre 2019, Moustapha Diakhaté qui a remixé, la veille (28 octobre), le Cd de Sory Kaba, sera lui-aussi démis de ses fonctions de chef de cabinet du président de la République. « La manière dont Macky Sall veut mettre un terme à cette polémique est contreproductive. S'il veut limoger toute personne qui en parle (…) Cela m'est égal d'être limogé ou maintenu à mon poste. J'ai rejoint Macky avant même qu'il ait un pouvoir de nomination. Si aujourd'hui il souhaitait me démettre de mes fonctions, je le remercierais », réagissait-il sur Sen Jotaay au limogeage de Sory Kaba.
Ballon-sonde ?
La question a été soulevée au lendemain de la réélection de Macky Sall par d’éminents membres de son parti notamment l’ancien ministre de la justice, Ismaïla Madior Fall dans un entretien accordé à Enquête en mars 2019. « Je pense que la constitution est assez claire. En principe, c'est le deuxième et dernier mandat du chef de l'État », lance-t-il. D’aucuns voyaient derrière son ‘’en principe’’, un nuage qui cache les intentions inavouées de Macky Sall. Une vive polémique s’en suit.
Embouchant la même trompette, Sitor Ndour est on ne peut plus clair sur le sujet : « légalement, le troisième mandat est possible. La Constitution dit à peu près ceci : le mandat présidentiel est de 5 ans. Nul ne peut exercer au-delà de 2 mandats consécutifs. Cette loi a été prise au moment où le premier mandat de Macky Sall était en cours. Tout le monde sait qu’en droit, la loi ne vaut que pour l’avenir, elle n’a point d’effet rétroactif ». Diop Sy et Abdou Ndéné Sall vont plus loin, ils estiment que Macky « peut briguer jusqu’à 10 mandats si, ça lui tente, parce qu’il est le meilleur président de la République jusqu’à 2035 pour exécuter le Plan Sénégal émergent ».
Emmuré dans un silence assourdissant alors que la polémique était des plus vives, ce n’est qu’un mois plus tard que Macky décide de clore ce qu’il qualifie de « faux débat » sans clarifier sa position. « Ne me parlez pas de troisième mandat. Parlons du quinquennat et des réformes à engager », dit-il, en marge d’une rencontre avec les parlementaires de sa coalition.
Macky sur les pas de Wade ?
La question qui taraude après les limogeages de Sory Kaba, Moustapha Diakhaté et aujourd’hui Me Moussa Diop qui n’ont fait qu’interpréter la constitution, c’est : Macky Sall va-t-il suivre les pas de son père idéologique, Abdoulaye Wade ? Pour beaucoup, certaines décisions de Macky Sall portent à le croire, notamment : l’absence de numéro 2 à l’Apr, la suppression du poste de Pm pour tuer toute ambition de succession, entre autres.
Pour beaucoup d’analystes politiques, un troisième mandat de Macky Sall dans un contexte sous régional tendu au Mali, en Côte d’Ivoire et en Guinée, risque d’exacerber le chaos en Afrique de l’Ouest. Seulement, au vu de la posture de ses pairs de la sous-région, notamment Ouattara et Condé, il sera difficile de lui accorder le bénéfice du doute.
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