Opinion
Cohérences institutionnelles et réhabilitation de l’Etat, de la planification et du partenariat. Professeur Moustapha Kassé
Il a échappé à notre presse comme aux observateurs avisés de la vie économique et politique du pays, les nouveaux dispositifs de management public décidé par le Chef de l’Etat et décliné par son Directeur de cabinet lors du dernier remaniement ministériel. Sans doute, le débat sur l’efficience des institutions de gouvernance est loin d’être clos. Mais des avancées consistantes sont opérées en direction de la reconstruction et du réarmement d’un Etat malmené durant des décennies par les pratiques d’un jacobinisme politique caractérisé par le fameux slogan «moins d’Etat et mieux d’Etat».
Au-delà des fantasmes, les théories et pratiques néolibérales étriquées n’ont jamais montré que la gestion publique de certains secteurs de production est obligatoirement plus mauvaise que la gestion privée ni même que la planification est à la fois non nécessaire et illusoire. Au demeurant, la mise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes avec une allocation optimale des ressources en faveur des activités productives, la promotion d’un secteur privé dynamique par création d’un environnement assaini des affaires, la mobilisation de la communauté internationale dans le cadre d’un nouveau partenariat, sont des objectifs majeurs qui appellent impérativement la construction d’un Etat fort, réactif et efficient pour réaliser le bien-être et la qualité de vie de toutes les couches sociales. Pour atteindre ces objectifs, il faut à juste titre, des réformes structurelles de l’économie et de l’Etat afin qu’il dispose d’une panoplie d’instruments d’action pour l’élaboration et l’application de sa stratégie de développement. En prenant l’exemple de la Chine, à la fin du maoïsme (1980), les dirigeants ont abandonné la confrontation directe, pour s’engager dans la voie du développement par « la réforme et l’ouverture». Lors du dernier remaniement ministériel, des jalons importants sont posés en direction de l’opérationnalité des institutions et de leur mise en cohérence. Quelle est la portée et les limites des nouveaux dispositifs?
1°) L'Etat est plus utile que jamais, toutefois, il doit être fortifié et inséré dans jeu économique et social par des institutions fonctionnelles. Il faut dépasser la focalisation sensationnaliste sur la taille gouvernementale et le personnel qui l’anime pour aller aux questions de fonds relatives à sa vision stratégique, son fonctionnement et ses instruments d’action. En termes techniques, au-delà de la vision, face à la complexité croissante de notre société, à la diversité des espaces territoriaux, l’Etat doit être fortifié, adapté et capable d’agir efficacement sur l’économie et le social. Il lui faut alors dépasser les modes bureaucratiques et poncepilatistes d’action pour privilégier deux principes : premièrement l’imposition d’un système méritocratique où chacun peut grimper l’échelle sociale et politique en faisant la preuve de sa valeur et deuxièmement l’obligation de l’évaluation permanente qui est un acte stratégique. En termes de fonctionnalité, l’Etat doit se rapprocher du modèle «d’Etat Pro» (producteur, promoteur, programmeur et prospecteur). Cette institution est l’architecte des énormes succès en Asie. Sans cet acteur essentiel pas de sécurité des biens et des personnes, pas de marchés organisés, pas de production de biens publics porteurs d’externalités positives sans lesquelles aucune économie ne peut se développer durablement, à commencer par une éducation garantie et obligatoire ou un système de santé de qualité.
2°) Réhabiliter la planification en la plaçant au cœur de l’architecture économique. Les néolibéraux avaient supprimé la planification en imposant partout (et en tout domaine) la logique des marchés. Ils avaient sciemment occulté le fait que le marché laissé à lui-même est non seulement myope mais parfois même aveugle : il ne voit pas les faibles, les pauvres, les inorganisés (J. Delors). Le marché en soi est dépourvu de conscience active et ne connait pas la vision à long terme et la recherche de l’intérêt général (holisme). Or, on sait « qu’il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait où il va » (Sénèque) et on sait également que «l’avenir appartient à ceux qui ont la mémoire la plus longue » (Nietzsche). Une fois la stratégie adoptée, la planification devra être cet instrument qui fixe le système normatif des choix économiques et sociaux ainsi que le cheminement reliant le court, le moyen et le long terme. En conséquence, elle doit centraliser les projets et programmes (techniquement évalués et priorisés), éclairer les processus décisionnels et conforter la pertinence et la cohérence des choix économiques et sociaux. Dans tous les pays émergents particulièrement en Chine et en Inde la planification occupe une place centrale dans le dispositif économique et financier. La Chine a, depuis 2005, publié le projet pour 2050 dans lequel il est écrit « pour être un peuple respecté, il faut appliquer pour l’essentiel ce qu’on annonce….Cela revient à participer complètement au grand jeu mondial et à s’en donner les moyens ».
Dans notre pays, les limites antérieures du processus de planification résidaient dans le caractère trop formaliste des plans qui prétendaient embrasser à la fois tous les secteurs d’activité économique, dans l’agrégation de projets mal évalués, dans l’absence de mécanismes institutionnels permettant de relier la gestion courante à court terme (budget) et la programmation à moyen et long termes, dans la très faible mobilisation des acteurs et enfin dans l’instabilité institutionnelle et le caractère constamment changeant de la politique gouvernementale. C’est dire que la planification, aujourd’hui, est un vaste chantier à reconstruire et cela, au moins, dans deux directions : d’abord, celle de la mise en cohérence des quatre documents d’orientation stratégique que sont le Plan National, le Document des Politiques Stratégiques, la Stratégie de Croissance Accélérée et le Programme du Yoonou-Yokouté et ensuite celle de l’élaboration et de l’évaluation des projets des ministères techniques et des administrations décentralisées conformément aux techniques préconisées par la Déclaration de Paris des partenaires (2002).
3°) Exploiter les nouveaux partenariats du monde multipolaire pour mettre en valeur les potentialités du Sénégal. De la Déclaration du Millénaire des Nations Unies au plaidoyer en faveur du NEPAD, la communauté internationale avait engagé, en 2000, toutes les institutions de développement notamment l’ONU, l’OCDE, le FMI et la Banque Mondiale à faire de la croissance des économies africaines le fondement commun de leurs actions et de leurs programmes. Cette posture découlait de la nouvelle configuration des rapports de puissance dans la mondialisation. En effet, l’hégémonie de l’Occident construite pendant deux siècles à partir de la révolution industrielle du 19ème siècle et de la prédation des matières premières (découlant du Congrès de Vienne de 1815) semble prendre fin avec la montée des puissances émergentes notamment les BRICS dont l’âge d’or commence. Ces pays constituent, aujourd’hui, un nouveau pôle de puissance, d’attractivité et de croissance et sont à la base de l’embellie des économies africaines (croissance d’environ 5%) depuis plus d’une décennie. Ils ont permis les modifications du fonctionnement des marchés internationaux des matières premières et contribué à l’amélioration des termes de l’échange. Pour rappel, la Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique et son principal bailleur de fonds.
Ce nouveau contexte économique, financier et technologique mondial se traduit par une remise en question de l’ancienne coopération Nord-Sud et la constitution de nouveaux partenariats en faveur de l’Afrique : l’AGOA et le MCA pour les Etats-Unis, la TIGAD pour le Japon, le Plan d’Action de Beijing avec la Chine, la Coopération indo-africaine et les multiples révisions des conventions UE-ACP. Même le secteur privé international, lors de sa deuxième rencontre à Dakar les 16 et 17 avril 2002 regroupant plus de 500 entreprises, avait manifesté un intérêt pour le continent.
Manifestement, d’énormes opportunités sont entrouvertes par ces diverses offres de partenariat économique et financier. Toutefois, ces nouveaux accords ne profiteront qu’aux Etats capables de définir, de formuler et d’appliquer des politiques sectorielles économiques et financières pertinentes. D’ailleurs, des pays comme le Maroc, la Namibie et le Cameroun ont élaboré des stratégies de moyen et long terme vis-à-vis de leurs partenaires des pays émergents. En effet, les BRICS disposent d’environ 72% des réserves financières du monde et un potentiel scientifique et technologique appréciable. Ils peuvent transférer, à des conditions douces les capitaux et les technologies pouvant permettre à nos opérateurs économiques de disposer de moyens financiers et autres pour construire des usines et des pôles commerciaux à la place des étals qui structurent actuellement notre secteur informel commercial.
En définitive, les initiatives en cours rendent possible une véritable contractualisation du développement avec l’acceptation par les parties concernées d’une stratégie à long terme pertinente, cohérente et « gagnant-gagnant ». Cette perspective commande un nouvel élan à l’intégration régionale qui souffre du manque de volonté politique claire, de définition et d’exécution de projets intégrateurs, et de structures de commandement (leadership). Une chose est sûre, il faut créer de nouveaux outils de coopération avec les partenaires et veiller à leur application dans une approche communautaire par organisation, par exemple, de pôles de compétitivité dans les secteurs vitaux comme ceux retenus par le NEPAD (infrastructures, énergie, technologie, agriculture, ressources humaines, etc.). Les ZES (Zones Economiques Spéciales) répondent parfaitement à ces préoccupations.
4°) Une structure de gestion autonome des défis énergétiques. La création d’une structure ministérielle en charge de la question de l’énergie est hautement positive. Les multiples et complexes problèmes actuels du secteur et la perspective dans les prochaines décennies, d’une augmentation de la demande induite par l'expansion démographique et l’accès au développement, oblige à trouver des solutions sérieuses. D’ou la nécessité de repenser complètement la production et la consommation pour un pays pauvre et peu doté en pétrole. Dans ce contexte, il s’impose à faire de la modification des modes de production et de consommation ainsi que du développement des énergies renouvelables un enjeu de premier plan. D’ailleurs, sur ces deux points, les progrès technologiques et les outils offerts par l’électronique programmable permettent d’optimiser la consommation et la production dans le temps et dans l’espace. Aujourd’hui, il est possible de réaliser d’importantes économies en contrôlant la consommation par des réseaux intelligents et en modifiant les comportements des utilisateurs (surtout publics), de veiller à l’efficacité énergétique des équipements et d’investir dans le développement des énergies renouvelables. Les techniques de transformation de l’énergie solaire ou éolienne en électricité sont maintenant bien maitrisées, il faut sortir de l’état de projet-gadget et passer à la production comme solutions d’appoint et de proximité, permettant de répondre à des situations spécifiques.
En conclusion.
Les chantiers des réformes économiques et institutionnelles sont lancés pour participer à la stratégie de transformation de la société et doivent donner une priorité effective aux objectifs sociaux d'éradication de la pauvreté, du chômage et de la précarité. Pour cela, il importe de mobiliser (tout autrement) les moyens disponibles pour diversifier et dynamiser tous les secteurs de production afin d’octroyer à l'économie une plus grande efficience en libérant les initiatives individuelles et collectives. Le credo, pour répondre à ces multiples défis est de réussir la croissance, encore la croissance et toujours plus de croissance. En fait, il n’existe pas de mystère : il faut travailler dur pour réussir, travailler encore plus et toujours mieux, un travail patient et de longue haleine dans lequel il faut engager la société toute entière.
Toutefois, l'expérience de l'Afrique a été assez édifiante sur la faillite du modèle néolibéral d’ajustement structurel imposé comme un modèle de développement clé en mains : plus l'on parlait de croissance, plus la pauvreté se répandait. Dès lors, les populations avaient fini par se demander à quoi sert une « croissance » qui broie les êtres humains et accroît la misère et l'exclusion? L’alternative est une croissance qui profite équitablement à tous, aux femmes et aux hommes de toutes les conditions, aux jeunes et aux personnes âgées. Nous pouvons nous en sortir si nous parvenons à revitaliser la citoyenneté par recréation d’une véritable citoyenneté de développement et à maîtriser nos « démons » internes qui ont nom impatience et corruption, laxisme (« thiakhneries » dénoncées par le Président Senghor), incivisme et libertinage, cérémonies familiales innombrables et dispendieuses, pollution et encombrement, forte tendance à nombriliser nos problèmes etc.
13 Commentaires
Pith
En Octobre, 2013 (12:10 PM)Tamn
En Octobre, 2013 (12:44 PM)Deug
En Octobre, 2013 (12:45 PM)Pepes
En Octobre, 2013 (13:29 PM)Papa Amadou Mbaye
En Octobre, 2013 (13:57 PM)" Mak mat na bayi thi réuw" aussi.
Théorie et Pratique : c'est difficile de palier les deux !!!
Respect au Doyen Kassé
Salam Ndiaye
En Octobre, 2013 (15:33 PM)La première question posée lors d'un cours d'histoire des faits économiques c'est de savoir s'il existe des lois d'évolution des sociétés humaines. Après Karl Marx et Verner Sombart, vous venez de répondre brillamment. Les décideurs politiques gagneraient à solliciter votre éclairage. les jeunes demandeurs d'emploi aussi qui ont du lire votre dernier article. merci encore.
Diallo
En Octobre, 2013 (15:39 PM)Apprecie
En Octobre, 2013 (15:48 PM)Senenmut
En Octobre, 2013 (19:11 PM)Boumiputra
En Octobre, 2013 (19:57 PM)Nous devons depasser cet etape et etre plus pratique et rigoureux dans l'analyse economique. Je veux dire il faut des donnees chiffrees, comme disent les anglais "you must support your arguments with facts and figures".
Un economiste comme Prof. Kasse qui a accompagne tous les pouvoirs de Diouf a Wade, nous aiderait a commenter les donnees economiques.
Elabore sur la masse monetaire, parle nous de l'epargne, donne des chiffre sur le niveau financier prive et public, et comment generer des ressources financieres consequentes pour financer notre developpement. Etudie le niveau de notre economie pour emettre des chiffres sur le niveau d'investissement minimum pour atteindre une croissance de 7 a 10% afin de creer de la richesse, des emplois et baisser la pauvrete. Commente la strategie de la creation du fonsis et fongip, etudie le niveau de notre dette et le deficit budgetaire, comment resorber notre balance commerciale deficitaire; quel est notre compte current; fonne des idees sur les surpriorites economiques et ciblant des secteurs vitaux etc...
Voila tant de domaines economiques et financiers specifiques qui meritent analyses et prospections pour un debat fecond et interessant au lieu de discours fleuve fait que de theories aeriennes et abstraites sans donnees statistiques et economiques.
Wassalamr
Mbalka
En Octobre, 2013 (20:33 PM)Bassam
En Octobre, 2013 (20:59 PM)Ass Malick
En Novembre, 2013 (10:16 AM)ne comprendront jamais ceux qui se focalisent sur le nom ou la personne et non les idées. merci pour la bonne formation qui nous permet de nous épancher - avec succès - sur plein de dossiers dans la pratique de tous les jours en entreprise. vous ne cesserez de nous illuminer...
bravo!
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