Qui est Alassane Samba Diop, pouvez-vous
revenir un peu sur votre parcours ?
Alassane Samba Diop est un Sénégalais qui vient du Fouta, plus précisément
de Kanel, qui a fait ses études entre Kanel et Dakar. J’ai eu mon baccalauréat
au lycée Lamine Gueye où j’ai connu Yoro Dia (ancien ministre porte-parole de
la Présidence : NDLR). On a fait la seconde, la première et la terminale
ensemble. Après le bac, il est parti au département d’Histoire et moi je suis allé
faire mes humanités en Sociologie. Il se trouve que la même année, il y a eu l’année
invalide. Par un concours de circonstances, on a fait le concours d’entrée au Cesti
et on l’a réussi.
Nous avons retrouvé au Cesti des aînés comme Mamoudou Ibra Kane, Aliou
Ndiaye, Babacar Cissé, Abdoulaye Sekou Faye, entre autres. En 1997, nous avons
fait notre stage au journal « Le Matin » qui venait d’être lancé avec
les Baba Tandian, les Boubacar Boris Diop, Alain Agboton, Pape Samba Kane...
Nous avons retrouvé là-bas Aliou Ndiaye, Sidy Diop, Habib Demba Fall, Mamadou
Alpha Diallo dit Zak qui est maintenant aux Nations Unies, Samboudian Camara,
Yakham Mbaye...
Par la suite, Walf a lancé sa radio et Mame Less Camara a fait appel à nous. J’ai fait 8 ans à walfadjri. En tant que reporter, j’étais préposé à couvrir toutes les grèves à l’université. J’y étais avec les Jupiter Diagne, Aliou Ndiaye, Mamoudou Ibra Kane, Yoro Dia, Antoine Diouf, feue Reine Marie Faye, Abdoulaye Lam, Assane Gueye, on faisait une très belle équipe. A un moment, il y a eu des divergences entre le syndicat et Sidy Lamine Niasse sur l’orientation du groupe. A cause de ces tiraillements, Sidy avait décidé d’affecter tous les jeunes reporters dans les régions. Je me suis ainsi retrouvé à Matam. Finalement, on a démissionné de Walfadjri.
Le départ de Walfadjri, la traversée du désert, l’épisode
avec la RMD et Pape Diop
On est resté un moment sans travail, c’était vraiment difficile. C’est en
ce moment qu’on s’est rendu compte que la star, c’est le médium. Les gens qui
vous appellent c’est parce que vous êtes dans un lieu où ils pensent que vous
pouvez leur être utile.... Cela a contribué à renforcer notre humilité. Par la
suite, avant RFM, il y a eu l’épisode de la Radio Municipale de Dakar (RMD),
créée par Pape Diop, à l’époque maire de Dakar. Il l’avait confiée à Mamoudou
qui m’a parlé du projet et m’a confié la rédaction. On est resté huit mois là-bas,
mais le projet ne bougeait pas, malgré les multiples voyages de Mamoudou en
France pour commander du matériel... Un ami qui était à la Présidence à l’époque
m’a par la suite appelé pour me dire que c’est une mauvaise idée de rester à la
RMD. Il nous a fait comprendre que les gens de la Présidence considéraient que nous
avons été avec Walf et Sud pour beaucoup dans l’avènement de l’alternance en
2000, que nous faisions partie de ceux qui ont fait partir Diouf -même si ce n’est
pas vrai, parce que ce sont les Sénégalais qui votent-. Il m’a dit : « ils
veulent vous mettre là-bas (à la RMD), ils vont vous payer des salaires, mais c’est
juste pour vous neutraliser ». Comme moi je considère qu’un journaliste
qui n’est pas à l’antenne, qui n’écrit pas, n’en est plus un.
C’est en ce moment que j’ai appelé Youssou Ndour que je connaissais.... Je lui ai demandé si sa radio Sports FM marchait ? Il m’a dit que non et on a échangé.... Mon point de vue était que le concept de radio thématique ne marche pas trop au Sénégal. Nous, on aime les radios où les gens se chamaillent, parlent beaucoup politique... Par la suite, on s’est rencontré chez lui à Fann, on a discuté et je lui ai présenté le premier draft de ce qui allait devenir la RFM. Il m’a convaincu de venir travailler avec lui. Je lui ai demandé si je peux venir avec Mamoudou Ibra Kane et il a donné son accord. Youssou Ndour a voulu me confier la direction de la radio, je lui ai proposé de la donner à Mamoudou. Je l’ai fait parce que quand on quittait la RMD, il avait la position de directeur et je voulais qu’il occupe la même position ici. C’était aussi pour moi une manière de lui renvoyer l’ascenseur, parce que quand j’étais en chômage, il m’avait tendu la main. Et moi je suis comme ça, je n’oublie jamais ces genres de choses. Avec Mamoudou, comme on dit, on a toujours eu de bonnes vibes, on se comprend. Pour dire que RFM c’était vraiment notre bébé. Même le nom c’est moi qui l’ai donné. On pensait à Ndakaru FM, Liberté FM... J’ai dit à Youssou vous avez un groupe qui s’appelle Groupe Futurs Médias disons donc RFM, la radio futurs médias. D’ailleurs si vous regardez bien, vous allez voir que les logos qu’on avait au départ, c’était inspiré des logos de RFM France, avec du bleu sur du rouge. On utilisait même le jingle de cette radio. Au fur et à mesure, ça a changé. C’est comme ça que c’est parti. Ensuite, Youssou m’a chargé du recrutement ; la plupart des anciens qui sont à la RFM c’est moi qui les ai appelés. Youssou disait que GFM c’est le Real Madrid et il doit faire des transferts.
Vous en avez quand même pris beaucoup à Walf, comment cela avait été accueilli par Sidy?
C’est vrai qu’il ne l’avait pas bien pris. A un moment, il a eu à dire qu’ils nous donnent six mois pour ne plus tenir. Youssou Ndour a mis les moyens et on a fait le job. Par la suite, est venu L’observateur qui s’appelait d’abord ‘‘Pop l’original’’, ensuite la TFM qui a été pendant un temps bloqué par le régime d’alors. Je crois que le déclic qui a poussé Wade à donner à Youssou sa licence c’est quand Abdoulaye Wade avait lancé l’appel pour aller chercher les Haïtiens. Khalifa Diakhaté était parti dans l’avion avec le ministre Lamine Ba. Il a pu faire un travail remarquable, un bon reportage envoyé le jour même. On a pu le diffuser dans le journal du soir. Je pense que la Présidence était un peu ébahie parce que la RTS était là, elle n’a pas pu le faire, ou bien ils n’ont pas eu l’idée de le faire. Je pense qu’à partir de là, les gens se sont rendu compte qu’ils ont affaire à de jeunes professionnels qui ne font que leur travail. De manière très professionnelle.
N’y avait-il pas une certaine envie de
revanche vu les conditions dans lesquelles vous avez quitté Walf ?
Non non non. Au contraire ! Nous n’oublierons jamais ce que Walf et Sidy nous ont apporté, Walf a été une grande école pour nous. Je me rappelle d’ailleurs mes premiers pas à Walf, lors d’un stage en première année de CESTI. La première chose qu’on te demandait c’était de faire le thé pour les grands frères: Ousseynou Gueye Abdourahmane Camara, Jean Meissa Diop, Seydou Sall... Je me suis beaucoup bonifié au contact de ces aînés. C’était une famille. Sidy ne donnait certes pas de perdiem, mais il y avait le bol de Sidy qui réunissait tout le monde. C’était vraiment une ambiance conviviale et ce sont ces bons souvenirs que l’on a gardé de Walf.
Vous rappelez vous de votre premier salaire?
J’avais 30.000 francs CFA. J’habitais la Patte d’oie. Des fois, je prenais
le car rapide jusqu’à Khar Yalla. Des fois, je marchais. En 1998, quand je
partais avec Mamadou Alpha Diallo couvrir la guerre en Guinée Bissau, chacun
avait 10.000 francs CFA. L’argent n’était vraiment pas un problème pour nous.
La passion prenait le dessus. Nous sommes partis pendant trois mois. Il y avait
aussi d’autres confrères de Nouvel horizon, du Cafard Libéré, mais aussi le doyen
Amadou Mbaye Loum. C’est la première fois que j’allais au front j’entendais les
balles siffler... Nous aurions pu y perdre la vie. C’était une ambiance assez
éprouvante, pour la première fois, on a vu des morts. Cela m’a beaucoup forgé
dans mon travail, j’y ai aussi connu beaucoup de militaires, de très belles
rencontres.
Comment faisiez-vous pour l’envoi de vos
papiers, si l’on sait qu’internet n’était pas aussi développé ?
On a travaillé dans des conditions très difficiles. On n’avait pas internet
je squattais la valise de RFI ou de radio Portugal. Mame Less était le
directeur de la radio ; il était très inquiet parce qu’il avait peur que
les enfants d’autrui qu’il avait envoyés reviennent dans des cercueils. Je me
rappelle le premier papier que nous avions fait à notre retour de Bissau, il a
été publié dans la rubrique kiosques de Jeune Afrique. En ce moment, on avait
juste la convention collective : peut-être 100 ou 150.000 francs maximum. Nous
sommes partis parce que nous étions passionnés. Et je pense que c’est ce qu’il
faut pour être un bon journaliste. Malheureusement cette passion a tendance à disparaitre
de nos rédactions.
D’où vient le surnom Scoop que certains
vous collent ?
Cela vient des confrères. Je pense que c’était Madiambal Diagne qui m’a
affabulé du surnom scoop pour la première fois. Le plus important pour un
journaliste c’est de ne pas suivre les effets de mode, d’avoir sa stratégie
pour accéder à l’information, à la bonne information, de première main comme on
dit. Pour ce faire, il faut être dégourdi, mais patient ; il faut aussi préserver
sa crédibilité. Même quand on vous donne un document, tu dois vérifier, recouper,
trianguler.... Ce n’est pas toujours évident dans notre contexte notamment avec
les difficultés d’accéder à l’information. Il faut donc être patient et
rigoureux pour éviter d’être démenti.
En 2018, vous quittez GFM pour mettre en place Emedia invest. Pouvez-vous revenir sur les circonstances de votre départ et la création de ce groupe?
Nous avons quitté GFM qui, comme je le disais, est notre bébé et on a
toujours d’excellentes relations avec nos frères qui sont là-bas. C’est parti
sur le constat qu’il y a des engagements qui ont été pris et qui n’ont pas été
respectés. Pour la bonne et simple raison qu’on a toujours défendu que les
journalistes doivent être des actionnaires dans les entreprises de presse dans
lesquelles ils travaillent ; les patrons doivent avoir la générosité d’ouvrir
le capital aux travailleurs. Ensuite, on s’est rendu compte que la fonction de
journaliste était de plus en plus négligée au profit de « l’Entertainment »,
du spectacle. Ce qui est compréhensible parce que le groupe a été créé par un
artiste. C’est donc normal qu’il y ait une certaine sensibilité au spectacle. A
un moment donné, le seul rendez-vous qui existait par exemple en français c’était
le 20H. Les affaires de la cité, question directe, L’art, beaucoup démissions
ont été supprimées et remplacées par des émissions en wolof ou de
divertissement. Quand on ne se sent plus à l’aise dans ce qui se fait, il est
temps de partir.
On s’est réuni : d’abord Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Ndiaye et moi pour voir comment mettre en place un groupe. On s’est dit que la seule expérience de journalistes qui se sont réunis et qui ont monté quelque chose de solide, c’est Sud. Pourquoi pas imiter ce modèle? Sauf que nous, nous n’avions pas de capital. On s’est dit qu’il faut aller chercher des hommes d’affaires sénégalais à qui on va expliquer le projet. L’idée était de leur dire que le Sénégal va devenir un pays gazier et pétrolier. De plus en plus, les médias étrangers vont s’intéresser au Sénégal, et c’est déjà le cas. Nous leur avons dit : vous êtes des hommes d’affaires, vous avez des intérêts à défendre, nous, nous sommes des journalistes, je pense qu’on devrait s’associer et mettre en place des choses, et tout le monde va gagner. Sinon demain si on vous arrache vos droits vous n’auriez nulle part où vous plaindre, d’autant plus que ces médias étrangers vont défendre les entreprises de leurs pays. Ensuite, c’est pour contribuer à la démocratie sénégalaise. C’est une vision holistique qui a favorisé la naissance de ce projet. Les partenaires savent qu’ils ne vont peut-être pas gagner de l’argent, mais qu’ils vont contribuer à la création d’emplois, ils vont participer à la démocratie et cela a des effets sur leurs business.
Donc vous n’êtes pas contre la jonction
entre le capital et les journalistes pour mettre en place des groupes
viables.
Du tout. Allez en France, Bolloré a vendu tout ce qu’il avait et a investi dans les médias avec Canal, avec Cnews.... Aujourd’hui, rien ne se fait en France sans lui. Il a même créé un monstre qu’est Zemmour. Si vous allez aux Etat Unis c’est la même chose ; la plupart des grands groupes sont contrôlés par des firmes. La différence est qu’aux Etats Unis l’éditorial est différent de la rédaction. Quand tu es propriétaire d’un journal, tu peux faire un édito et soutenir qui tu veux mais cela n’engage pas la rédaction. C’est le business. Nous devons nous adapter.
On vous a reproché d’être parrainé par Macky Sall ou d’autres hommes de son régime. Qu’en est-il?
C’est totalement faux. Les gens font des raccourcis très faciles. Nous sommes toucouleurs, forcément quand un Al Pulaar monte quelque chose, c’est forcément Macky Sall qui est derrière. Ce sont des raccourcis très dangereux. Macky Sall n’a rien à voir ni de près ni de loin avec notre entreprise. Ce sont des hommes affaires sénégalais qui ont pignons sur rue qui ont décidé d’investir dans Emedia. Pour nous, ce sont des Sénégalais qui ont investi, comme les Sénégalais investissent dans n’importe quelle entreprise.
Cinq ans après, ce groupe que l’on croyait parmi les plus solides se retrouvent dans des difficultés financières. Comment on en est arrivé là?
Les gens ont pensé qu’on avait énormément d’argent, parce qu’ils n’étaient habitués à voir cela. Pour la première fois, on lance un groupe de presse avec une télé, une radio et un site internet en même temps. Et ensuite est venu le journal. C’est peut-être pourquoi on a pensé qu’on avait énormément d’argent. Ce qui est contraire à la vérité ; on n’avait pas beaucoup d’argent, mais on avait une force de frappe, c’est-à-dire nos carnets d’adresse, avec Boubacar Diallo, Mamoudou Ibra Kane, Mamadou Ndiaye. On s’est battu pour trouver des partenaires et lancer cette affaire. Malheureusement, notre ascension a été un peu perturbée par la COVID; ensuite est venue la crise ukrainienne.... Aujourd’hui la guerre au Yémen qui nous impacte aussi. Nous n’avons pas été encouragés par le contexte, mais nous tenons bon. Il faut préciser que nous avons juste des retards de salaire. Il n’y a aucun arriéré. Il y a dans la presse des entreprises qui ne paient pas depuis des mois. Mais nous on essaie de se battre bon an mal an, même si la conjoncture est difficile pour tout le monde. Mais je comprends aussi les jeunes, c’est tout à fait normal. C’est des jeunes mais ils sont des responsables qui ont des charges et qui ont des pressions, de leurs bailleurs, des familles... On comprend parfaitement parce que nous vivons avec eux. Vous le permettez de les remercier parce qu’ils sont travailleurs, ils sont professionnels et ils font des résultats. Nous pensons qu’on va travailler à trouver ensemble des solutions aux problèmes qui sont conjoncturels.
Est-ce que le départ de Mamoudou n’a pas
précipité le groupe dans des difficultés?
Mamoudou était le Directeur général. Quand il a pensé faire la politique, nous avons estimé que c’est incompatible. Notre concept est d’être professionnel, responsable et équilibré. Quand il a décidé de faire la politique, nous avons estimé qu’il devait aller s’occuper de son mouvement. Donc les déclarations ou positions qu’il peut prendre n’ont rien à voir avec le groupe. Certains font l’amalgame, parfois volontairement juste pour nous nuire. Ce que Mamoudou fait sur le plan politique ne nous engage pas. Il a décidé de se lancer en politique, nous autres membres de la rédaction avons choisi de rester journalistes. Donc les déclarations de Mamoudou ne doivent nullement engager Emédias. Il faut vraiment insister là-dessus et faire la part des choses entre les activités de son mouvement et le groupe de presse que je dirige. Le groupe reste équilibré et donnera la parole à tout le monde.
Ce que certains n’arrivent pas à comprendre, ce n’est pas propre à Emedia, c’est pourquoi les difficultés persistent dans les entreprises de presse, malgré toutes les mannes injectées par l’Etat, notamment à travers l’aide à la presse et l’effacement des dettes fiscales. Où passent ces mannes?
Moi j’ai toujours dénoncé qu’on donne de l’argent directement aux médias. Souvent quand on donne l’argent, ça couvre des dépenses, des dettes et d’autres charges. Je suis pour un changement de paradigme. L’Etat du Sénégal doit avoir une fiscalité adaptée à la presse. Il peut jouer par exemple sur le coût des intrants, sur la dette des entreprises de presse, sur l’Ipres la Caisse de sécurité sociale, les charges de la presse, au lieu de donner de l’argent à un patron qui peut en faire un usage non conforme. Aussi il faut surtout faire le nettoyage, assainir le milieu. N’importe qui peut se lever un jour et créer un journal. Ça pose problème dans un pays sérieux. L’Etat a failli dans son rôle de régulation. Nous sommes envahis par des gens qui n’ont rien à voir avec les médias. Il y a aussi la faillite des journalistes eux-mêmes qui n’ont pas défendu leur métier. Il faut aussi que les journalistes et les entreprises s’adaptent, en investissant davantage le digital par exemple.
Vous posez là le problème du modèle économique. Quel modèle pour des entreprises de presse viables ?
Le modèle actuel n’est plus opérant. Nous sommes appelés à nous adapter ou
disparaître. L’économie est dans le digital. Aussi, l’écosystème même est à revoir.
Ce n’est pas normal que les Gafam rémunèrent les contenus en Europe, aux Etats
Unis, en occident, et que rien ne soit fait en Afrique. Je pense que nos Etats
à travers les organisations comme l’UEMOA, la CEDEAO ou mêle l’Union africaine
doivent prendre en compte cette problématique. Les gens produisent des articles
avec tout ce qui va avec comme énergie et moyens déployés, on pompe, on met
dans Google, on génère de la pub, et d’autres perçoivent les retombées. C’est
inacceptable. L’Afrique doit aussi défendre sa presse.
Ces difficultés coïncident avec le changement de régime. Est-ce que cale a joué sur la situation ?
Non je ne le pense pas. Le seul impact possible c’est que les entreprises ont des contrats avec les ministères et institutions c’est tout à fait normal que les nouvelles équipes qui viennent veuillent comprendre ce qui s’est passé. Tous les médias ont des contrats et sont confrontés à ce genre de problème. Maintenant, moi je pense que les gens doivent chercher un modèle qui est moins dépendant de l’Etat. Il faut aller vers la digitalisation, même si le papier a aussi sa place. Il faut trouver l’équilibre qui doit être basé sur une étude sérieuse. Mais l’écosystème de la publicité aussi doit être revu. Aujourd’hui c’est la jungle. Chacun fait ce qu’il veut. Est-ce que vous pouvez comprendre que des journaux viennent de l’étranger gagnent des marchés de pub à 600, 800 millions qu’ils ramènent chez eux. Et pourtant quand il y a eu la COVID, on a eu recours à cette presse locale. Les gens ont fait le job. Lors des élections aussi, on voit le travail remarquable des médias locaux, les journalistes sont dans les bureaux de vote pour diffuser les résultats en direct, et contribuent ainsi à la transparence du scrutin ; vous pensez que tout ça a un prix ?
Malgré tout, on crie au scandale quand
des entreprises de presse signent quelques contrats avec des structures
étatiques, n’est-ce pas un paradoxe ?
Mais c’est scandaleux. Comment on peut se taire quand un journal étranger vient ramasser une pub de 800 millions et se scandaliser quand une entreprise sénégalaise gagne un petit contrat de quelques millions. Les gens sont méchants, ils ont la haine de soi. Quand un journal sénégalais s’en sort ça doit être une fierté. Ceux qui y travaillent sont des Sénégalais. Et après on va s’offusquer de l’émigration irrégulière. C’est un véritable paradoxe.
Vous avez parlé des grands groupes. On
les voit rarement faire de la publicité dans nos médias. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a une connivence entre ces groupes et les médias de leurs pays. Quand
le patronat a de la pub, ils le font dans leurs médias. Les Sénégalais n’y
voient que du feu. Pourtant, c’est de l’argent gagné ici. Vous ne verrez jamais
de grand marchés de publicités de ces entreprises étrangères être confiées à
nos entreprises. Ça pose problème. Et je pense que la rupture c’est aussi à ce
niveau. C’est une question de souveraineté au même titre que les autres.
Regardons le cas de Canal, si aujourd’hui il décidait de couper son signal,
beaucoup de sénégalais ne pourront regarder les télés, hormis la TNT qui n’est
pas présente dans toutes les localités. Voilà les véritables enjeux.
Avez-vous pris pour le cas de Emedia des
mesures pour assainir les finances ?
L’option de la digitalisation est irréversible. J’ai vu beaucoup d’expérience dans ce domaine. Aux Etats-Unis par exemple, à la VOA, où j’ai trouvé un de mes grands, Idrissa Fall, les réunions se font de façon virtuelle. Cela permet d’amoindrir les coûts, cela permet aussi d’avoir plus de traçabilité du travail.... Il faut aussi renforcer la qualité des contenus c’est également un des défis majeurs pour tous les médias.
Le constat dans les télévisions est qu’il
y a très peu d’émission en français, est-ce que n’est pas problématique ?
Je pense que c’est une bonne chose de faire davantage de place au wolof,
parce que c’est une langue parlée par tous les Sénégalais ; c’est une
langue de compréhension des Sénégalais ; c’est une langue d’unité
nationale. Que l’on soit Al Pulaar, Sérère, Njaago ou Diola, on comprend tous
le Wolof, qui nous unit, qui nous permet de nous parler et de nous comprendre.
D’ailleurs Tiken Jah Fakoly l’a dit: « heureusement qu’au Sénégal ils ont
le Wolof qui leur permet de se parler et de se comprendre ». Mais le
français doit aussi avoir sa place, parce que c’est la langue qui nous permet
de parler au monde. Nous devons même développer des émissions en anglais. Nous,
on en a à Iradio. Tous les dimanches, on fait la synthèse de l’actu de la
semaine en anglais pour nous faire comprendre par nos frères gambiens, les
autres anglophones qui sont là également. On doit développer davantage ces
formats. Comme disait l’autre, c’est enracinement et ouverture. Mais la langue
wolof a permis de décoloniser l’information. Si aujourd’hui, les chaînes
étrangères ne peuvent pas avoir une certaine audience dans notre pays, c’est
parce que le wolof a permis de démocratiser l’information, de la faire
comprendre. Le seul problème avec le wolof, c’est qu’on n’a pas parfois la même
exigence. Souvent c’est la porte d’entrée de tout le monde. Il suffit juste d’avoir
un bon niveau de langue, de parler bien, et on vous recrute, alors que sur le
plan professionnel vous avez des lacunes. Je pense que les écoles doivent
intégrer cet aspect leurs cursus.
Avec les nouvelles autorités, il y a eu trop de contentieux, notamment quand ils étaient dans l’opposition, pensez-vous que les relations peuvent se normaliser ?
Non, je ne vois pas de problème particulier. Ils viennent d’arriver, ils viennent de faire à peine un mois, il faut leur donner du temps et on avisera. Au début, il est normal qu’ils veuillent faire l’état des lieux. Je pense qu’ils ont l’obligation de travailler avec tous les Sénégalais, y compris les médias. En tant que Sénégalais nous ne sommes pas obligés d’avoir les mêmes points de vue, mais chacun doit pouvoir faire son travail dans le respect de l’autre. Pour la presse, elle doit continuer de travailler, aller chercher les niches d’argent là où ils sont, ne pas dépendre de l’Etat. Et les journalistes eux-mêmes doivent s’adapter à la mentalité digitale. C’est devenu important. Mediapart est un exemple. Midi libre qui est aujourd’hui exclusivement sur internet est un exemple. Nous devons imiter ce qui se fait de mieux dans le monde.
4 Commentaires
Modoumodou
En Mai, 2024 (12:14 PM)Bouba
En Mai, 2024 (15:02 PM)Le journaliste des choses terre à terre.....
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