Le ministre tchadien de la Justice, Me Jean Bernard Padaré, est très formel : La délégation de la Commission rogatoire internationale va ramener à Dakar les précieux documents de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds) pour la poursuite de l’instruction. Ce trésor traqué jusqu’à Ndjamena par cette Commission est considéré comme une pièce du puzzle des accusations qui pèsent sur l’ex-Président tchadien, poursuivi pour crime de guerre, crime contre l’humanité et tortures.
Dans cet entretien, il a révélé que le Procureur général de Ndjamena a déjà mis la main sur tous les biens immobiliers de Hissène Habré répertorié sur le sol tchadien. Dans son bureau, le garde des Sceaux annonce une possible constitution de partie civile de l’Etat tchadien et évalue le «butin» emporté par Habré, dans sa fuite à Dakar, à plus de 20 milliards. Renversant !
(envoyée spéciale à Ndjamena) - M. le ministre, vous avez signé récemment avec le Sénégal un accord de coopération dans le cadre de la tenue d’un procès de Hissène Habré par les Chambres africaines extraordinaires. Quel est le contenu de cet accord ?
Cette coopération est très importante pour le Tchad dans la mesure où elle nous donne l’opportunité de pouvoir faire juger Hissène Habré par les Chambres africaines qui sont totalement indépendantes et qui ne sont liées à aucun pays sinon simplement qu’elles vont travailler sur le territoire sénégalais et tchadien. Cet accord permet à ce que ces juges puissent venir au Tchad pour chercher des éléments de preuve à charge et à décharge dans le cadre de cette affaire.
Pourquoi avoir attendu 23 ans malgré le combat acharné des victimes à réclamer justice pour organiser le procès de Habré?
Ce n’est pas que nous avons mis du temps. Quand Hissène Habré était chassé du pouvoir, il n’y avait plus d’Etat. Tout était pillé. En plus, Habré n’est pas du genre à laisser au premier essai. Même étant parti, il a essayé de reconstruire ses forces pour déstabiliser le pays à partir du lac Tchad. Il y a eu un mouvement qui s’appelait Mdd qu’il avait financé. Ensuite, il a toujours tenté par l’Est, par le Nord-ouest de déstabiliser le Tchad. Donc il fallait sécuriser le pays. Il fallait aussi reconstituer l’administration. Remettre la justice en état de marche. Donc nous avons laissé le temps à la société pour se reconstituer.
Maintenant, nous estimons que la sérénité est revenue et que tout le monde s’accorde sur le fait que ce qui est en train de se faire n’est pas un règlement de compte, mais la recherche de la vérité. Le temps peut paraître long. Ça était dénoncé par les associations de défense de droit de l’Homme. Elles étaient dans leur rôle, mais nous aussi, notre responsabilité était de forger l’unité nationale. Aujourd’hui, nous avons cette unité nationale. Maintenant, nous voulons savoir ce qui a poussé Hissène Habré à commettre de tels crimes contre ses propres concitoyens. Est-ce-que c’est simplement par soif de pouvoir ou bien parce qu’il avait d’autres raisons. C’est ce que tous les Tchadiens attendent. La justice africaine aussi.
Dans le cadre de cette recherche de vérité, la Commission rogatoire internationale a demandé à ce que les documents originaux se trouvant à la Dds puissent être transportés sur Dakar pour leurs exploitations. Est-ce-que des dispositions ont été prises dans ce sens?
Tout à fait ! Des dispositions ont été prises et nous sommes en train d’exécuter cette requête de la Commission rogatoire. D’ailleurs, toute l’équipe de la Commission était aujourd’hui (mercredi) à la Présidence, où sont logés ces documents et surtout pour visiter la Piscine. Donc des dispositions sont en train d’être prises de sorte que dés demain (Ndlr : hier) ces documents soient mises à la disposition des juges pour leur exploitation.
On peut dire donc que les juges pourront rentrer à Dakar avec ces documents mardi prochain?
Sans difficulté. Sans ces documents, le procès n’aura pas de sens. Il faut bien étudier ces documents pour étayer les charges pour pouvoir appuyer les éléments qu’ils ont et préciser les charges contre Hissène Habré. Donc ils vont les amener avec eux et à la fin du procès, ils vont nous les ramener. Nous travaillons en parfaite collaboration avec l’Etat du Sénégal.
Il se dit aussi que Hissène Habré dans sa fuite a emporté avec lui 7 milliards de francs Cfa du Trésor tchadien. Vous confirmez cette information?
Les 7 milliards, c’est le minimum qu’il a emporté. Cela constitue l’argent qu’il a récupéré au niveau du Trésor public et de la direction nationale des Banques des Etats de l’Afrique centrale (Beac). D’ailleurs, l’Etat tchadien continue encore à rembourser cet argent à la Beac. Ces 7 milliards constituent ce qu’il fait prendre le jour de sa fuite. En plus de tout, il y a ce qui était à la Présidence, la régie de la Douane. Parce que la douane rapporte énormément de sous au Tchad. Donc nous, nous estimons que Hissène Habré serait parti avant la dévaluation au bas mot avec 20 milliards de francs Cfa. Ce chiffre est même sous estimé parce que Hissène Habré a eu à placer énormément de sous en dehors du Tchad pendant son règne. C’est quelqu’un qui a saigné le Tchad à blanc sur le plan économique en plus de commettre ces atrocités. Il n’a pas son pareil en Afrique par rapport aux crimes qu’il a commis.
Vous dites que vous avez perdu énormément d’argent. Alors pourquoi l’Etat tchadien ne s’est pas constitué partie civile pour réclamer cet argent ?
Ce n’est pas qu’on ne s’est pas constitué partie civile. L’accord entre l’Union africaine et l’Etat du Sénégal ne traiterait pas de crimes économiques. C’est cela qui nous a handicapés. Mais, il n’est pas exclu qu’on engage une procédure pour exiger un remboursement sur le terrain civil.
Allez vous le faire ?
Nous allons le faire. (Il se répète). Au jour d’aujourd’hui, ce qui est important pour nous c’est que la plaie des victimes soit pansée. Que les victimes soient dédommagées sur les avoirs de Hissène Habré. S’il reste un reliquat, bien évidemment, l’Etat tchadien s’engagera à le récupérer. Il faut bien que nous le récupérions et que nous engagions cette procédure.
Vous avez instruit le Procureur général de Ndjamena suite à la demande de la chambre d’instruction d’enquêter sur les biens de Habré au Tchad. Où-est-ce que vous en êtes?
Sur les avoirs en numéraire, nous avons trouvé qu’il lui restait un compte où il y avait à peu près 8 millions de francs Cfa. Sur les biens immobiliers qu’il détient directement ou par personnes interposées, nous avons toute la situation. Les cadastres nous ont envoyé la situation de ses biens confirmés par le service des domaines. Probablement, le Procureur général près la Cour d’appel de Ndjamena remettra ces éléments au Procureur général près les Chambres africaines extraordinaires pour éventuellement, en cas de dommages et intérêts, accorder aux victimes les indemnisations.
Et quelle est la situation de ses biens immobiliers au Tchad?
Nous n’avons pas fait l’estimation. Vous savez qu’au Tchad surtout à Ndjamena, les maisons coûtent excessivement chers. Toutes ses parcelles se situent dans des quartiers résidentiels. Je pense que sans exagération, ça peut aller loin en termes de montant.
D’anciens collaborateurs du Président Habré sont actuellement en détention. Certains seront jugés ici au Tchad si des charges sont retenues contre eux. Seront-ils jugés selon le droit commun ou vont-ils comparaître devant une juridiction spéciale?
Ils seront jugés selon le droit commun. Parce que nous n’avons pas encore inséré dans l’ordonnancement juridique tchadien les traités réprimant les crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Je suis en train de le faire par le biais du Code pénal qui est en révision. Nous allons les juger malheureusement en appliquant notre Code pénal actuel. Ceux que le réquisitoire du Procureur général incriminera, nous allons peut-être apporter un amendement. Une modification à l’accord de coopération de façon à faire appliquer ce qui se fait déjà devant la Cour Pénale Internationale. C’est-à-dire la procédure de remise. Aucun pays ne peut extrader son propre ressortissant. Par contre, nous allons contourner cette difficulté par le biais de la procédure de remise. Nous allons les remettre aux Chambres africaines qui vont continuer la procédure.
Certains vous ont reproché d’avoir financé le procès de Habré pour avoir sa tête?
Financer le procès de Habré pour avoir sa tête ? Nous n’en avons pas besoin. Nous avons assumé notre part de responsabilité qui était de débloquer des fonds de façon à ce que le procès puisse se tenir. Si au finish, il s’avère que Habré n’a commis aucun crime ce n’est pas parce qu’on aura débloqué deux milliards que les juges vont changer le verdict. En plus, si nous n’avions pas débloqué un rond et que Habré est déclaré coupable, il sera condamné. Donc, je pense que c’est de la mauvaise foi. Malheureusement, nous ne pouvons pas empêcher aux gens de raconter leur vie. Le plus important, c’est que tout un Peuple attend le travail d’une équipe constituée essentiellement de juges compétents, indépendants. Quelque soit le résultat, le fait que ce procès puisse se tenir est déjà quelque chose de positif pour nous et pour l’Afrique.
Vous avez contribué à hauteur de combien de milliards ?
Ce n’est un secret pour personne. Le Tchad a apporté sa contribution qui était de deux milliards de francs Cfa. Nous sommes prêts à aider matériellement mais de manière vraiment désintéressée pour que ce procès se tienne. Ce n’est pas que nous faisons de l’affaire Habré une fixation. Ce n’est pas une fixation. Mais, c’est pour que plus jamais ces choses ne se répètent au Tchad, au Cameroun, au Sénégal au Mali et dans d’autres pays du continent. Et pour nous c’est un motif de fierté que Habré soit jugé par des juges africains. Quand il y a eu les tergiversations sous le régime de Abdoulaye Wade, nous avions accepté qu’il puisse être jugé en Belgique parce qu’il fallait nécessairement qu’on le juge. Il faut que les Tchadiens arrêtent de se regarder en chiens de faïences. Aujourd’hui, tout le monde soupçonne tout le monde. Tout le monde traite tout le monde de collabo comme sous Vichy. Il faut qu’un arbitre siffle la fin de la récréation et départage les parties. Si Habré n’est pas coupable, il rentrera au Tchad. Il apportera sa pierre à l’édifice de ce Tchad émergent. Mais s’il est coupable, il faut qu’il paye et que nous tournons la page de cette histoire sombre de notre pays pour nous tourner résolument vers le développement.
Après le procès envisagez-vous de créer une commission vérité et réconciliation nationale?
Je laisse au chef de l’Etat la primauté. Il s’exprimera là-dessus. Il attend la fin de ce procès comme tout Tchadien et il y aura quelque chose de ce genre probablement. En tout cas, il est en train de mûrir une idée dans sa tête de façon à ce que tous les Tchadiens puissent se retrouver et s’excuser mutuellement. Chaque Tchadien peut se sentir coupable dans l’affaire Habré d’une certaine manière. Parce que quelque part, il l’a dénoncé. Ou bien, il n’a pas pris de risque. Y en a qui ont pris des risques et ils l’ont payé. Le président de la République actuel qui était son conseiller militaire a pris le risque de le dénoncer quand il a constaté que Habré déraillait. Sa famille et lui-même ont payé au prix fort. Toute sa famille a été décimée. Lui-même a failli y passer.
5 Commentaires
Petition
En Août, 2013 (16:25 PM)VÉritÉ
En Août, 2013 (16:47 PM)Un signal fort, car nul ne sait ce que la défense de Habré pourrait mijoter en coulisse avec ou contre les autorités politiques ou judiciaires pour éviter au procès d’arpenter certains sentiers périlleux. Une preuve de cohérence, car à moins de circonscrire a priori les limites de ce futur feuilleton judiciaire, on devrait déblayer le terrain pour rendre disponibles toutes les informations pouvant éclairer cette affaire. On ne peut pas prétendre juger un criminel au nom de l’Afrique, avec l’argent des Africains et de la communauté internationale, tout en gardant sur son sol de l’argent spolié par la facilitation d’un ancien directeur de banque aujourd’hui premier ministre. Il n’ya pas de sens à tenir ce procès au nom de la bonne gouvernance, de la justice et de la lutte contre l’impunité et garder à la tête de son gouvernement un homme qui fut partie prenante d’une longue et nébuleuse affaire d’argent ayant permis à un criminel d’acheter sa liberté.
Que serait aujourd’hui le sort d’Hissène Habré sans les relations complexes qu’ils ont bâties autour de l’argent recyclé par l’entremise de l’actuel PM ? Á la jeunesse du Sénégal, on renvoie l’image que le passé n’importe pas tellement dans la promotion politique et sociale. Il faut comprendre l’exigence de la démission d’Abdoul Mbaye, non sous l’angle de l’émotion, mais sous celui des principes. Qu’est-ce qu’une exigence de bonne gouvernance qui est sélective ? Qu’est-ce qu’une bonne gouvernance qui n’est telle que lorsqu’on l’applique conjoncturellement ? Voici un Tchadien qui, parce que dans les années qui ont suivi la chute du dictateur, n’a pas pu bénéficier du vaccin contre la poliomyélite, est handicapé à vie. Cette victime indirecte apprend que c’est le pays qui a protégé et fructifié l’argent qu’a volé Habré au peuple tchadien qui juge ce dictateur : que pensera-t-il du Sénégal ? Que pensera-t-il de la bonne gouvernance sénégalaise, lui qui voit les premiers bénéficiaires de l’argent spolié à son pays parader et chanter la bonne gouvernance sous tous les toits ?
Deug
En Août, 2013 (16:53 PM)Diaw
En Août, 2013 (18:09 PM)Cheikh O.
En Août, 2013 (01:29 AM)Ah non c'est pas sérieux koi.
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