Le choléra a tué des dizaines de Yéménites en quelques semaines. Les agences et organisations humanitaires alertent pourtant depuis des mois des risques de dégradation de la situation sanitaire dans ce pays en guerre. Elles dénoncent notamment le sévère embargo imposé par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite, soutenue par les pays occidentaux. Les explications du docteur Jean-François Corty, directeur des opérations internationales de Médecins du Monde.
Comment expliquer l'explosion du nombre de cas de choléra auYémen actuellement?
Maladie endémique, le choléra a été réactivé il y a plusieurs mois dans le pays. On estime à 20 000 le nombre de cas depuis le mois d'octobre et une centaine de morts. Récemment, la situation s'est nettement aggravée avec 8000 nouveaux cas, ces trois dernières semaines, et des dizaines de morts supplémentaires.
Le choléra est causé par la propagation d'une bactérie via les eaux usées. En temps normal, on guérit facilement du choléra, grâce à la réhydratation des patients et à des antibiotiques. Pour nous, l'étendue de l'épidémie et sa gravité sont directement liées à la guerre au Yémen et à ses effets collatéraux.
C'est-à-dire?
Le choléra se développe quand les conditions d'hygiène sont dégradées. Elles le sont particulièrement au Yémen, déjà le pays le plus pauvre du monde arabe, en raison de la destruction des infrastructures, causée par les combats et les bombardements. 50% des établissements de soins qui ne sont plus fonctionnels, soit parce qu'ils ont été détruits par la guerre, soit parce que les personnels soignants manquent.
Hodeidah,14 mai 2017. "L'offensive annoncée contre le port aggraverait plus encore la crise sanitaire".
Reuters/Abduljabbar Zeyad
Le choléra prolifère facilement au sein d'une population fragilisée: or, 18 à 20 millions de personnes (pour un pays de 26 millions d'habitants) sont en situation d'urgence alimentaire, 500 000 enfants en état de malnutrition sévère, Enfin l'aide internationale a le plus grand mal à atteindre la population, dans ce pays qui importe 90% de sa nourriture et ses médicaments. En cause, le blocus aérien, maritime et terrestre imposé par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite à la partie du pays contrôlée par les rebelles.
Comment les ONG peuvent-elles travailler au Yémen?
Leur tâche est compliquée par les problèmes de sécurité: à la fois les bombardements aveugles qui ont souvent visé des centres de santé, les risques d'enlèvement, mais aussi les taxes imposées par les Houthis aux déplacements, dans les régions sous leur contrôle.
Nous tenons à alerter la communauté internationale sur sa responsabilité quant à cette crise sanitaire qui s'ajoute à l'urgence déjà absolue subie par la population yémenite. Dans ce conflit aux multiples acteurs, la France comme le Royaume-Uni soutiennent la coalition arabe qui ne respecte aucunement le droit humanitaire. Elle est responsable de la majeure partie des bombardements, ainsi que du siège responsable de la hausse spectaculaire de la malnutrition. L'offensive annoncée contre le port de Hodeida aggraverait plus encore la crise sanitaire.
Avez-vous pris contact avec le Quai d'Orsay à propos de cette crise?
Oui. Nous avons, avec plusieurs ONG, rencontré le ministre des Affaires étrangères Jean-Marc Ayrault il y a peu. Nous avons demandé que la France remette en cause la nature de son partenariat avec les pays responsables de cette crise exceptionnelle. Nous alertons depuis des mois du risque d'une catastrophe sanitaire.
L'aggravation de la crise sanitaire au Yémen coïncide avec l'arrivée d'Emmanuel Macron à l'Elysée. L'attitude qu'il adoptera vis-à-vis de la coalition menée par l'Arabie saoudite sera un test de sa diplomatie. La France va-t-elle enfin réagir, ou va-t-elle se laisser emporter par la mécanique de soumission de notre politique étrangère à nos ventes d'armes?
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