Ils défient les forces de l'ordre en jouant du violon, en lançant des pierres ou en grimpant nu sur un véhicule blindé: cinq Vénézuéliens sont devenus les icônes de la vague de manifestations secouant le pays depuis bientôt deux mois.
Démarrées le 1er avril, ces protestations exigeant le départ du président Nicolas Maduro, en plein naufrage économique du Venezuela, ont fait plus d'une cinquantaine de morts.
Malgré la violence, "un nouvel imaginaire collectif est en train de se construire" autour de certains manifestants, érigés en figures emblématiques de la colère populaire, explique à l'AFP la psychologue sociale Magaly Hoogins.
'Wonder Woman'
Bras et jambes musclés, lèvres serrées, visage courroucé: quand Caterina Ciarcelluti lance, le 1er mai, une poignée de pierres vers les militaires, sur la principale autoroute de Caracas, un photographe AFP immortalise cette image.
Elle devient virale et rapidement les Vénézuéliens la surnomment "Wonder Woman".
"Mon énergie ne s'épuise jamais", confie à l'AFP cette professeure de fitness de 44 ans, qui manifeste en short et coiffée d'un casque de moto.
Assumant son rôle d'"inspiratrice", elle est persuadée que la mobilisation parviendra à ses fins: "Nous sommes en train d'y arriver".
L'homme en flammes
Transformé en boule de feu, Victor Salazar a couru désespérément après avoir été touché par l'explosion du réservoir d'une moto militaire qu'il avait incendiée, avec d'autres manifestants, le 3 mai à Caracas.
Torse nu, il a crié à l'aide avant de se jeter sur le bitume, le corps brûlé à 70%.
Entièrement couvert de bandages, cet étudiant en biologie de 28 ans, déjà présent lors de la vague de manifestations de 2014 - 43 morts officiellement - a ensuite lancé un appel par vidéo depuis l'hôpital: "Sortez dans la rue, pas en mon nom mais pour le Venezuela".
Nu sur un blindé
Sous une pluie de gaz lacrymogènes, il s'est dévêtu avant de grimper, Bible en main, sur un véhicule blindé faisant barrage aux manifestants à Caracas.
C'était le 20 avril et par ce geste insolite, Hans Wuerich, journaliste de 27 ans, voulait dire non à "la répression".
"Je ne suis pas un hippie mangeur de fleurs", raconte-t-il à l'AFP. "Mais je crois qu'en protestant pacifiquement, on fait plus de mal au gouvernement qu'en étant violents". Avec cette action, "le monde a posé les yeux pour un moment" sur le Venezuela.
Alors qu'il descendait du véhicule, il a reçu un tir de balle en caoutchouc dans le dos.
Ancien électeur de Maduro "repenti", il ne se retrouve pas non plus dans l'opposition. "Je suis comme la grand partie des gens, qui manifestent car ils ont faim, ils veulent un changement. Quoique ce soit, ce sera mieux que ce que nous avons".
Seule face aux militaires
Dressée devant un véhicule blindé de l'armée et portant un drapeau vénézuélien, Maria José Castro, 54 ans, a bloqué pendant de longues minutes l'avancée des militaires, le 19 avril à Caracas.
Ces derniers ont bien tenté de la déloger, lui envoyant des grenades lacrymogènes. Elle est restée ferme, le visage couvert d'un foulard, faisant la sourde oreille aux avertissements par mégaphone.
Finalement, c'est une moto militaire qui l'évacuera. Elle sera relâchée quelques heures plus tard.
Cette femme d'origine portugaise dit avoir agi ainsi par instinct maternel. "Cela me faisait mal de voir comment on tirait sur les jeunes" avec des gaz lacrymogènes et des balles de caoutchouc.
Son geste courageux rappelle celui d'un manifestant chinois photographié en 1989, défiant une colonne de chars sur la place Tiananmen.
Un violon pour la paix
Au milieu du chaos, Wuilly Arteaga a pris son violon le 8 mai à Caracas, marchant vers les militaires afin de transmettre en musique un "message de paix".
Trois jours plus tôt, il avait joué à l'enterrement d'un manifestant, formé comme lui dans un orchestre junior.
"J'ai eu très peur car j'ai pensé que même la musique n'avait pas le pouvoir de faire réfléchir, mais je suis sorti du cimetière et je suis allé manifester avec plus de force", raconte à l'AFP le jeune homme de 23 ans.
Il est désormais habituel de le croiser dans les cortèges, esquivant les bombes lacrymogènes. L'une d'elle l'a touché une fois au bras.
Son message, dit-il, est une métaphore du pays: "Maintenant tout le monde sait que le Venezuela a beaucoup de talent, mais on ne respecte pas ça".
Wuilly gagne sa vie avec la musique dans la rue et il joue aussi du piano dans un hôtel contrôlé par l'Etat... des représentations annulées depuis sa récente célébrité.
Mais cette semaine, une militaire lui a cassé son violon lors d'une manifestation. "Jusqu'à quand (cela va-t-il durer)!", gémit-il dans une vidéo ayant suscité un élan de générosité pour lui fournir un nouvel instrument.
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