Vous rêvez d’un MBA Business ou d’un Master Informatique ? Contre quelques centaines ou milliers d’euros, ces fausses universités en ligne vous délivrent leurs sésames sans aucun cours ni examen. Selon les sources, on en dénombrerait 300, voire 800 dans le monde. Un secteur en pleine croissance, surfant ces dernières années sur la démocratisation de l’accès à Internet.
Aux Etats-Unis, le système est rodé. La plupart des moulins à diplômes profitent de la notoriété d’écoles anglo-saxonnes en jouant sur l’orthographe : la très prestigieuse Stanford University.edu devient ainsi sur le web une Standford University.edu.tf beaucoup moins tatillonne sur la sélection de ses élèves. Le phénomène n’épargne pas la France.
Une étrange "Ecole supérieure Robert de Sorbon"
C’est au cœur des vertes campagnes de Poitou-Charentes, à la Trimouille plus précisément, que se niche la surprenante Ecole supérieure Robert de Sorbon. Contrairement à ce que son nom pourrait laisser penser, il ne s’agit pas d’une antenne rurale de Paris IV-Sorbonne.
Sur son site web en anglais, toutes les rubriques correspondent à celles d’une "university" : le mot d’accueil du doyen, la devise, le coin des anciens élèves… et une boutique (supposée "not for profit"), où l’on peut acheter quelques "goodies" (la casquette à 15 euros, l’autocollant pour 6 euros).
Allons jeter un œil au rayon des diplômes. On trouve de tout, des MBA, des Bachelors, des Doctorates : commerce, agriculture, science, aérospatiale ou théologie ! Vous pouvez même choisir l’intitulé du diplôme. Ici, le client est roi.
Comment est-ce possible ? L’argument est implacable : la Validation des acquis de l’expérience (VAE). En France, ce dispositif, légal, vous permet de transformer des années d’expérience professionnelle en diplôme. Exemple : vous avez été éducateur pendant quinze ans. Vous pouvez faire reconnaître cette expérience pour acquérir par exemple un Master. Or, de l’avis de ceux qui l’ont vécu, le parcours est long et n’a rien d’une formalité.
L’université "Robert de Sorbon" profite d’un vide juridique
L’Ecole supérieure Robert de Sorbon, elle, vous demande seulement l’envoi un CV succinct par email et surtout un virement PayPal de 50 euros avant toute chose (et un autre de 500 euros si votre dossier est accepté). La réponse du jury est garantie en 30 jours chrono.
C’est sur un vide juridique que l’activité de Robert de Sorbon s’est nichée. Sauf pour les professions réglementées (médicales notamment), n’importe qui peut dispenser une formation professionnelle et offrir un diplôme sans agrément particulier. Dans ce no man’s land, il existe des établissements sérieux et d’autres beaucoup moins.
Robert de Sorbon fait partie de la seconde catégorie. Concrètement, l’université n’a pas d’existence réelle. Elle a simplement été immatriculée en 2004 comme association à la Trimouille. Sur place, pas de campus, comme nous l’a confirmé le responsable du Point Relais Conseil chargé de la VAE sur le secteur Sud-Vienne.
Le site a été enregistré par le doyen de la pseudo-université lui-même, John Thomas. On retrouve la trace de ce curieux personnage de l’autre côté de la planète, à Wallis-et-Futuna, collectivité d’outre-mer française où il a enregistré le site web d’une non moins étrange Université de Wallis. Cette dernière propose à peu près le même système de diplômes que Robert de Sorbon, et ne dispose pas non plus de locaux, ce que nous a confirmé le vice-recteur de Wallis.
Un serial-universitaire en Floride
John Thomas est en fait le pseudonyme utilisé par un Français devenu Américain, Jean-Noël Prade, qui a certifié en 1999 devant le tribunal du comté de Sarasota, utiliser ces différents pseudonymes.
L’homme a de multiples casquettes. Outre Robert de Sorbon et Wallis, il possède également une autre université floridienne, Saint Augustin. Prade est également à la tête de l’AUAP un organisme qui évalue et conseille les étudiants étrangers pour leur recherche d’une faculté américaine et gère parallèlement d’autres activités, notamment la vente à distance de cosmétiques roumains.
Faute de pouvoir le joindre par téléphone, nous avons réussi à le contacter par email. Il nie être le créateur de ces différentes universités, même s’il dit connaître l’Université Robert de Sorbon.
"Je vous assure que l’AUAP et moi-même n’avons eu aucun contact avec cet établissement depuis au moins deux ans et dem. Pour moi, les institutions que vous mentionnez (Wallis, Sorbon, Saint Augustin) ne sont pas les moulins à diplômes puisque ils ont le droit d’accorder des diplômes et ont, d’après ce qu’ils en disent, des procédures sérieuses."
En tout cas, l’homme s’occupe de ses universités en bon père de famille. Il n’hésite pas, quand les notices Wikipédia mettent en doute la probité de ses écoles, à faire le ménage depuis son ordinateur de Sarasota sur les articles Sorbonne.
Multi-casquettes, Prade traîne également quelques casseroles. En 2000, il est condamné pour avoir acheté les noms de domaines Internet Louis Vuitton. En 2006, l’AUAP est condamné pour s’être revendiquée d’une accréditation qu’elle n’avait pas.
Alertés, quelques journalistes locaux, notamment du Sarasota Herald Tribune, ont publié une enquête sur les agissements de ce personnage…
Un marché mondial de 200 millions de dollars
La France n’est pas la championne du monde des moulins à diplômes, elle n’en abrite, selon notre enquête, que cinq. Le Centre national de la certification professionnelle recueille de temps en temps des doléances et des questionnements d’étudiants sur la validité de ces établissements, rassemblée dans un dossier intitulé "arnaques".
Outre Robert de Sorbon, plusieurs questions d’utilisateurs concernent l’Université multiculturelle internationale, basée en Dominique. Cette université, qui, renseignement pris auprès du CNCP, n’a aucune valeur, propose le même système d’accréditation par la VAE que Robert de Sorbon. Détail amusant, son recteur est également l’auteur d’un guide de la VAE, publié en 2004 chez Eyrolles.
En tout cas, avis aux entrepreneurs : en ces temps de crise, la création d’un moulin à diplôme est un marché plein d’avenir. John Bear, consultant pour le FBI, estimait en 2001 que le marché pouvait aller au-delà des 200 millions de dollars par an.
Le chiffre d’affaires de certaines fausses universités oscillerait entre 10 à 20 millions d’euros. Certaines ont une base arrière dans des paradis fiscaux : Etat du Delaware, micro-états des Caraïbes, Libéria, Panama…, comme l’a répertorié l’Etat de l’Oregon. Résultat : la justice est souvent impuissante.
Aux Etats-Unis, le phénomène est pris très au sérieux, accusé d’être une porte d’entrée pour l’immigration illégale et le terrorisme. En France, l’échelle de l’arnaque est bien sûr beaucoup moins importante. Mais si ce marché est si florissant, c’est qu’il existe un vivier de consommateurs prêts à franchir le pas.
Il suffit d’aller sur certains réseaux sociaux professionnels comme Viadeo ou Linkedin pour se rendre compte que ces diplômes sans valeur trouvent preneurs. La preuve qu’en France comme ailleurs, le diplôme, même bidon, reste une valeur sûre.
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