Des révélations qui font froid dans le dos. Un homme se présentant comme un tueur repenti a affirmé, jeudi 15 septembre, devant le Sénat philippin que le président Rodrigo Duterte a lui-même tué un enquêteur du ministère de la Justice et ordonné le meurtre d'opposants quand il était maire.
Edgar Matobato, 57 ans, a porté ces accusations devant la commission sénatoriale enquêtant sur la recrudescence d'homicides depuis l'investiture du chef de l'Etat, le 30 juin.
Edgar #Matobato as witness of #Davao Death Squad pic.twitter.com/V0azyEPjSr
— News Online Mindanao (@OnlineintlNews) 15 septembre 2016
Edgar Matobato a raconté ce jour de 1993 où l'"escadron de la mort" auquel il appartenait est tombé nez à nez sur une route avec le véhicule d'un certain Jamisola, un agent du Bureau national d'enquête, qui dépend du ministère de la Justice. D'après son récit, l'affrontement verbal a dégénéré en fusillade. Rodrigo Duterte, connu sous le nom de "The Punisher" ou "Duterte Harry" et à l'époque maire de la grande ville méridionale de Davao, est ensuite arrivé sur les lieux.
"C'est le maire Duterte qui l'a achevé. Jamisola était toujours en vie quand il est arrivé. Il a vidé deux chargeurs d'Uzi sur lui", a témoigné Edgar Matobato.
Son "escadron de la mort" composé de policiers et d'anciens rebelles communistes a, a-t-il assuré, assassiné en 25 ans (1988-2013) sur ordre de Rodrigo Duterte un millier de personnes, dont une jetée vivante aux crocodiles.
Beaucoup d'autres furent étranglées, leur dépouille brûlée, coupée en morceau et enterrée dans une carrière appartenant à un policier du sinistre groupe. Des cadavres furent abandonnés en mer pour y être dévorés par les poissons.
"Notre boulot était de tuer des criminels, des violeurs, des dealers et des voleurs. C'est ce que nous faisions", a-t-il reconnu.
"Sadiques"
Edgar Matobato a soutenu que son groupe prenait à l'époque ses ordres directement du maire ou des responsables de la police rattachés à son bureau.
Les membres de cet escadron de la mort se faisaient passer pour des policiers et emmenaient les victimes dans une carrière où elles étaient assassinées et enterrées. La sénatrice Leila de Lima, une ancienne ministre de la Justice, a affirmé que des squelettes avaient été mis au jour à cet endroit.
"Les policiers nous disaient de ne pas nous contenter de meurtres ordinaires. Ils étaient sadiques", a assuré le tueur repenti, en décrivant les strangulations. Puis on les déshabillait, on les brûlait et on les découpait en morceaux", a-t-il ajouté, avouant "une cinquantaine" de meurtres.
Parmi les victimes de ces meurtres, affirme Edgar Matobato, un étranger soupçonné de terrorisme, le petit ami de la soeur du maire, un journaliste trop critique, les gardes du corps d'un adversaire politique, des ennemis de Paolo Duterte, aujourd'hui maire adjoint...
Les accusations d'un "fou"
L'actuel ministre de la Justice, Vitaliano Aguirre, a qualifié de "mensonges" et d'"inventions" les propos tenus par Edgar Matobato, qui "ne dit manifestement pas la vérité".
Quant au porte-parole de Rodrigo Duterte, Martin Andanar, il a jugé peu vraisemblable que cet ancien avocat aujourd'hui âgé de 71 ans ait pu ordonner la mort de tant de personnes. "Je ne crois pas qu'il soit capable de donner une telle directive. La Commission des droits de l'homme a enquêté il y a longtemps sur ce sujet et n'a donné aucune suite judiciaire", a-t-il déclaré.
"Ce sont de 'simples ouï-dire' proférés par un 'fou'", a pour sa part réagi le fils du chef de l'Etat, Paolo Duterte.
"Guerre contre la drogue"
Rodrigo Duterte est de longue date accusé par les organisations de défense des droits de l'homme d'avoir financé des escadrons de la mort à Davao, dont il a été maire pendant l'essentiel des trois dernières décennies. Mais c'est la première fois qu'un témoignage aussi précis vient soutenir ces allégations.
L'organisation Human Rights Watch a réclamé l'ouverture d'une enquête de l'ONU.
"On ne peut attendre du président Duterte qu'il enquête sur lui-même. Il est donc crucial que les Nations unies soient chargées de mener de tels efforts", a déclaré Brad Adams, directeur pour l'Asie de HRW.
"Il s'agit d'accusations graves et nous les prenons au sérieux, nous les examinons", a déclaré Mark Toner, porte-parole du département d'Etat américain.
Rodrigo Duterte a été triomphalement élu en mai au terme d'une campagne populiste pendant laquelle il a promis d'en finir en six mois avec le trafic de drogue, quitte à faire périr des milliers de criminels.
Cette "guerre contre la drogue" a déjà fait 3.140 morts, en majorité des personnes tuées par des civils probablement encouragés par les appels présidentiels à rendre eux-mêmes la justice.
A.S.
1 Commentaires
Anonyme
En Septembre, 2016 (07:43 AM)Participer à la Discussion