Si le vote populaire direct devait départager Obama et McCain, il est quasi certain que le premier l’aurait emporté. Mais voilà, le Président des Etats-Unis doit être élu au suffrage universel indirect. Ce qui laisse place à diverses manœuvres allant du comportement des grands électeurs à la gestion des listes électorales en passant par le trucage possible des votes. Un ensemble d’incertitudes qui ne garantit pas la victoire du candidat démocrate plébiscité par la totalité des sondages.
Les images des longues files de citoyens appelés à élire le Président des Etats-Unis d’Amérique font le tour du monde tous les quatre ans et tous les premiers mardis du mois de novembre. Le choix de l’homme que l’on considère comme le plus puissant sur terre ne passe donc jamais inaperçu. Le déferlement médiatique impressionnant qui accompagne le processus électoral, depuis les primaires jusqu’au scrutin proprement dit, consacre l’importance que la planète entière accorde au devenir de la puissance étasunienne. Les Américains, qui restent très attachés à la démocratie en général, essaient, tant bien que mal, de rester fidèles aux principes nobles de la Déclaration d’Indépendance rédigés par Thomas Jefferson. Une tâche pas toujours évidente face à une superstructure politico-militaire qui a démontré qu’elle savait contourner les lois et imposer la terreur à l’intérieur comme à l’extérieur du pays.
L’Amérique fascine, subjugue, mais son système politique souffre de tares qui en déprécient la quintessence. Malheureusement, les spécialistes de la science politique le critiquent rarement, justement parce qu’il s’est imposé comme l’un des moins mauvais qu’il est donné aux peuples de disposer aujourd’hui.
En fait, les Américains votent indirectement pour élire leur président. Ils le font par procuration, les intermédiaires étant les membres du Collège électoral présidentiel mis en place dans chaque Etat fédéré. Il y a donc un système de 538 grands électeurs répartis de manière plus ou moins proportionnelle selon la taille de la population de chaque composante fédérée. La majorité absolue est fixée à 270 voix. En principe, le choix populaire du 4 novembre (et quelques jours avant pour le vote anticipé) doit être rigoureusement respecté par les grands électeurs le 15 décembre, jour du vote des grands électeurs. Comme l’explique un spécialiste de la vie politique américaine, une sorte de mandat impératif s’impose à cet effet aux membres du collège électoral présidentiel de l’Etat fédéré. Il n’y a pas de demi-mesure car le parti arrivé en tête des suffrages emporte la totalité des voix, sauf dans les Etats du Maine et du Nebraska où une dose de semi-proportionnelle est en vigueur.
Le 6 janvier, le dépouillement des bulletins est effectué par le vice-président sortant qui, pour l’occasion, assure également la tutelle sur le Sénat dont une partie aura été renouvelée le 4 novembre. Après la proclamation des résultats, le locataire élu (ou réélu) de la Maison Blanche entre en fonctions le 20 janvier.
Néanmoins, dans la pratique, des entorses ne sont jamais à exclure. Les historiens des sciences politiques aiment à rappeler qu’en 1836, le candidat démocrate à la vice-présidence, Richard Johnson, perdit les voix de 23 grands électeurs sous prétexte qu’il entretenait des rapports extra conjugaux avec une femme…noire. En 1876, le démocrate Samuel Tilden, vainqueur à la majorité absolue du vote populaire, perdit la Maison Blanche au profit du républicain Rutherford Hayes qui avait bénéficié du vote d’un grand électeur. Le même scénario se reproduisit en 1888 quand le républicain Benjamin Harrison rafla 58% des suffrages des grands électeurs après avoir été battu au scrutin populaire - 49% 48 - par le démocrate Grover Cleveland.
Des précédents qui font peur
Cent douze ans plus tard, en 2000, la psychose du grand électeur «infidèle» frappa encore les démocrates. L’extrême efficacité de l’ancien gouverneur de la Floride, Jeb Bush, lors de la polémique rocambolesque sur le (re) comptage des bulletins n’a pas peu contribué à la victoire contestée de son grand-frère… Georges Walker Bush. Le démocrate Al Gore fut majoritaire en voix, ce qui, théoriquement, lui ouvrait les portes de la Maison Blanche. Mais la Cour Suprême Fédérale en décida autrement. Un système n’est jamais parfait ! Barack Obama n’est pas à l’abri d’une déconvenue. Le peuple américain est sans doute souverain, mais la réalité est que cette souveraineté est aux mains de cette oligarchie de 538 décideurs choisis pour élire son président. Qu’est-ce qui peut bien se passer dans la tête des 435 représentants (députés), 100 sénateurs et des 3 grands électeurs du District de Columbia au soir d’une décision aussi capitale que le choix du président de la première puissance mondiale ?
La répartition inégalitaire des grands électeurs constitue également un danger pour Obama. La Floride et New York en disposent respectivement de 25 et 32, contre 54 pour la Californie. Ces trois Etats font partie des fameux Swing states (Etats clés) où l’enjeu est énorme. Les experts politiques soulignent une anomalie de grande ampleur : si la Californie, avec ses 37 millions d’habitants, n’a rien de commun avec un Etat comme le Wyoming, qui compte 3 grands électeurs pour 500 mille habitants. La conséquence négative qu’ils en tirent est que ce petit Etat dispose d’une représentation politique quatre fois supérieure à celle de la Californie, cinquième puissance au monde. Mais cette injustice là n’est rien face à la machinerie de fraudes à outrance qui bénéficie plus souvent aux Républicains.
Le premier levier en mesure de fausser la volonté populaire est dans la généralisation des machines de vote que d’autres comparent à des «machines à truquer». Dans les pays de démocratie directe, explique un spécialiste du système électoral américain, «ce sont les citoyens qui dépouillent les suffrages» en présence des représentants des candidats. Au pays de l’Oncle Sam, «la tenue des bureaux de vote est sous-traitée à des firmes privées» qui n’hésitent jamais à recourir à l’ordinateur, en particulier pour alléger le poids organisationnel de plusieurs scrutins qui ont lieu simultanément. Ce qui est en cause, c’est à la fois l’inscription sur les listes électorales, le trucage largement possible des votes, les déperditions voulues de centaines de milliers d’électeurs. Les critiques du système ne s’y trompent pas. Ils s’appuient sur les études du Pr Avi Rubin de l’université John Hopkins, selon qui les ordinateurs spécialement conçus pour le vote n’offrent «aucune garantie de sécurité». Le concepteur de la plupart d’entre ces machines serait, comme par hasard, Jeff Dean à travers la société Global Election System (Ges). C’est ainsi que des observateurs et journalistes américains mettent en garde, depuis de longs mois, contre la floridisation de certains Etats comme le Nouveau Mexique, le Nebraska, etc. Dans ce dernier Etat, Election Systems &Software, une entreprise créée par le sénateur républicain Chuk Hagel, est l’objet de tous les soupçons car «chaque fois que ES&S s’occupe d’une liste électorale, souligne le journaliste Greg Palast, la liste devient étonnamment républicaine».
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