"Les choses ont empiré depuis les émeutes de Los Angeles"

Le mouvement est loin de s'essouffler. Aussi désorganisé et spontané soit-il. Pour la troisième fois, les rues et certaines portions d'une autoroute de Los Angeles ont été paralysées par un cortège de manifestants avançant sous le crédo "The people united will never be defeated".

Le fantôme de Rodney King
Marquée par 183 arrestations mardi, la marche contestataire conserve un enthousiasme et une détermination intacts. Parmi les centaines de personnes présentes, Michael pousse sa maman, la soixantaine bien frappée et immobilisée dans une chaise roulante. "Nous manifestons pour dénoncer les brutalités policières répétitives et la corruption qui gangrène le système", lancent-ils en choeur. "Les choses ont empiré depuis les émeutes de Los Angeles en 1992. Il n'y a toujours aucune justice pour la population afro-américaine ou espagnole" déplorent-ils. 

Le fantôme de Rodney King, tabassé par la police et à l'origine des soulèvements de la population afro-américaine, rôde au-dessus de la foule à l'instar des hélicoptères en nombre ce mercredi dans le ciel obscur de la ville. Vingt ans plus tard, les discriminations perdurent. "Nous protestons parce qu'un jeune a été tué. Un américain. Un citoyen", s'indigne Lamonte, 28 ans, chemise blanche impeccable et badge de sécurité d'une multi-nationale accroché à la ceinture. "La brutalité à l'encontre des noirs est historique. Et l'arrivée de Barack Obama à la Maison Blanche n'a rien changé. Il se soucie peu de notre cause. Il ne nous représente pas. Il n'engage aucune poursuite fédérale contre ce flic". 

Système injuste et malade
D'autres défendent le président, l'estimant impuissant. La discussion s'engage. Quel que soit l'intervenant, le discours sort machinalement. Frise parfois la naïveté, mais véhicule un idéal, celui d'une jeunesse majoritaire et extrêmement déterminée. "Nous combattons l'injustice", avancent Margaux et Léa. "Nous sommes fières et éveillées. Notre génération a voté pour un président noir à la Maison Blanche. Nous exerçons nos droits civiques, mais nous exprimons aussi notre mécontentement contre un système injuste et malade". 

"Le comportement de Darren Wilson a été conduit par un sentiment de supériorité stimulé par son insigne de police", enchaîne Jordan Brown, 27 ans, casquette aux couleurs éthiopiennes sur la tête. Plus fataliste, il doute de l'efficacité d'un tel mouvement. "Je crains qu'en dépit de nos protestations, ce genre de choses arrivera encore. Outre la question raciale, c'est une question de pouvoir. Beaucoup de choses ont changé mais le système reste le même. Notre génération doit faire bouger les choses". Derrière lui, Luis distribue des tracts mêlant racisme et capitalisme. Le message se brouille, mais retrouve une certaine lucidité lorsque ce jeune trentenaire évoque son expérience de terrain rabotée de trois années passées derrière les barreaux.

130 arrestations
"La police est coupée des réalités. Elle vit en dehors des communautés de la ville, ignore les préoccupations des gens, ne fait absolument pas preuve d'empathie. Tout le monde rêve de vivre dans un environnement propre et sécurisé. Même si de nombreux policiers sont issus de différentes communautés, ils ne vivent pas notre quotidien. Les liens sont brisés. Il y avait une classe moyenne, un syndicat, désormais, tout a volé en éclat".  

L'ambiance, jusqu'alors pacifique, change. Au bout de quatre heures de marche, la police décide de bloquer les issues et d'encercler le cortège. Nous apprendrons que 130 récalcitrants seront arrêtés pour avoir refusé de se disperser. Tous ont toutefois promis de poursuivre le combat. Même le jour de Thanksgiving.