Chasser «les juifs et les croisés» des terres d'islam, renverser les gouvernements «apostats» et unifier l'oumma: c'était l'objectif de Ben Laden, et c'est toujours celui de ses épigones.
Les attentats du 11 septembre 2001 furent un choc incommensurable pour l'Amérique de Nord. Le président des États-Unis, George W. Bush, compara cet événement à l'attaque-surprise de Pearl Harbor en 1941. Il répliqua par le déclenchement d'une «guerre globale contre le terrorisme» dont le premier théâtre fut l'Afghanistan. Le régime taliban –qui avait refusé de livrer Oussama Ben Laden– fut balayé en quelques semaines et les camps d'entraînement d'Al-Qaida furent détruits. Nul n'aurait alors songé que vingt ans plus tard, les talibans seraient de retour à Kaboul, ni qu'Al-Qaida et ses épigones auraient essaimé dans de nombreux pays.
Deux décennies après l'effondrement des tours du World Trade Center, les djihadistes peuvent-ils gagner? Cette question est plus compliquée qu'il n'y paraît. Commençons par rappeler que les djihadistes –partisans d'une doctrine politico-religieuse qui prône la lutte armée au nom d'une conception fondamentaliste de l'islam– ne forment pas un ensemble homogène. Une manière de les différencier consiste à distinguer les groupes ayant des objectifs locaux de ceux poursuivant des buts globaux.
Djihad local et djihad global
Les talibans sont généralement classés dans la première catégorie, mais ils entretiennent historiquement des liens avec Al-Qaida qui appartient à la seconde catégorie. Un point essentiel de l'accord de Doha, signé en février 2020 par le diplomate américain Zalmay Khalilzad et le mollah Abdul Ghani Baradar, est que l'émirat islamique d'Afghanistan s'engageait à ne pas héberger Al-Qaida ni à lui fournir la moindre assistance. De sérieux doutes, émis notamment par l'Organisation des Nations unies (ONU), existent néanmoins sur la crédibilité de cet engagement, d'autant que la formulation de l'accord était relativement ambiguë.
Les États-Unis, de leur côté, promettaient de retirer leurs troupes du pays. Profitant de ce retrait et de l'effondrement subséquent de l'armée nationale afghane, les talibans ont réussi à s'emparer du pouvoir à l'été 2021, à l'issue d'une offensive-éclair. Ils ont ainsi gagné leur guerre et rempli leur objectif stratégique. On ne peut pas en dire autant d'Al-Qaida –même si différentes filiales de l'organisation terroriste se sont réjouies de la victoire talibane.
Talibans, Al-Qaida et Etat islamique en Afghanistan, entre liens étroits et fractures idéologiques | par @MadjidBennaceur https://t.co/cEya1BQ1cN
— Le Monde (@lemondefr) September 2, 2021
Oussama Ben Laden avait exposé publiquement ses objectifs: «Chasser les juifs et les croisés» des terres d'islam, renverser les gouvernements «apostats» et unifier la communauté des croyants sous l'autorité d'un calife. Force est de constater qu'au cours des deux dernières décennies, ces buts n'ont été atteints ni par Al-Qaida, ni par son principal concurrent au sein de la mouvance djihadiste internationale: Daech. Si ces deux organisations paraissent aujourd'hui affaiblies, minées par leurs divisions internes et traquées par les unités contre-terroristes, elles disposent néanmoins de trois grands atouts qui ont rendu jusqu'à présent leur éradication impossible.
La force de l'idéologie
Le premier atout est la force de l'idéologie salafo-djihadiste qui plonge ses racines dans les écrits d'Ibn Taymiyya (1263-1328), Sayyid Qutb (1906-1966) ou encore Abdallah Azzam (1941-1989). Les partisans de cette mouvance ont le sentiment de défendre l'islam contre des agresseurs et d'œuvrer pour une cause sacrée. Ils perçoivent l'interventionnisme occidental dans le monde musulman comme une forme de guerre contre l'oumma et présentent l'engagement dans le «djihad défensif» comme une obligation individuelle pour tous les musulmans. Ceux qui refusent de suivre ce précepte ne peuvent être considérés à leurs yeux comme de véritables croyants. Dans cette vision de la «guerre sainte», les «croisés» doivent être combattus jusque sur leurs terres, ce qui permet de légitimer les attentats dans les pays occidentaux.
Les djihadistes sont persuadés de jouir d'une forme de supériorité morale et développent par conséquent une détermination hors du commun au service d'une cause sacrée. Ils mènent une guerre totale et se vantent de ne pas craindre d'aller au-devant de la mort. Leur propension à mourir est d'autant plus élevée que mille félicités sont promises aux martyrs. La devise «Nous aimons la mort autant que vous aimez la vie» n'a pas uniquement vocation à terroriser les adversaires: elle est aussi le reflet d'un système de valeurs fondamentalement différent de celui des Occidentaux. La lutte contre le djihadisme n'est peut-être pas un clash des civilisations, mais c'est assurément un choc de valeurs.
La capacité à innover
L'idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants et attirer de nouvelles recrues, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d'un mouvement. Or, d'un point de vue matériel, les djihadistes ne font pas le poids face à leurs ennemis. S'ils engageaient toutes leurs forces dans un combat frontal face aux armées occidentales –sans même mentionner d'autres adversaires comme la Russie ou l'Iran–, ils seraient vaincus. Conscients de cette faiblesse matérielle, ils misent sur un deuxième atout: la capacité à surprendre et à déstabiliser leurs opposants en misant sur l'innovation.
L'idéologie est un socle essentiel pour motiver les combattants, mais elle ne suffit pas à garantir la puissance d'un mouvement.
Ainsi, Al-Qaida et Daech ont su innover à différents niveaux: organisationnel, stratégique et tactique. Un exemple d'évolution organisationnelle est la décentralisation de la nébuleuse qaïdiste qui a pris deux formes: d'une part, l'ouverture de «filiales» régionales et, d'autre part, le déploiement d'un vaste appareil de propagande sur internet en vue, notamment, de susciter du «terrorisme d'inspiration». L'innovation stratégique peut être illustrée par la volonté d'Abou Bakr al-Baghdadi d'unifier les théâtres syrien et irakien en 2013, puis de rétablir le califat en 2014. Au niveau tactique, enfin, les exemples sont nombreux, de l'utilisation quasi industrielle de véhicules-suicides à la confection de drones armés artisanaux.
5 Commentaires
Khana Nèkh
En Septembre, 2021 (16:21 PM)Boo daanèh dèm adiana, bougnoula néweulèh dollèh tognela rayla nga dèm adiana ! Gagnant partout dans tous les sens :)
Chacun Chez Soi
En Septembre, 2021 (16:32 PM)Pour votre tranquillité acceptez qu'il y'a des gens qui n'aspirent absolument pas aux délires qui vous sont personnels.
Comprenez une bonne fois que vous ne pouvez pas agresser des gens dans ce qu'ils ont de plus précieux et vouloir que ces gens blessés restent là à pleurer seulement ou à se laisser dicter par leurs agresseurs la façon dont ils devraient réagir …
Respectez les autres, arrêtez de tuer des innocents pour récupérer leurs richesses, le monde ne vous appartient pas. Restez chez vous et arrêtez d'armer des génocidaires !
Kholko Sa Bop Rek …
En Septembre, 2021 (17:17 PM)Tes compatriotes qui fuient ton pays le monde entier les voit chaque année, si tu trouves une explication pour leur cas il te suffira juste de l'appliquer aux Afghans qui se bousculaient à l'aéroport : ils avaient devant eux l'espoir de migrer et ils ont pensé que leur vie économique serait meilleure chez ceux qui sont tellement riches qu'ils se permettent d'envahir n'importe quel pays qu'ils veulent....
Merci de partager avec nous ultérieurement les résultats de ton introspection sur les cas de tes propres compatriotes qui meurent en mer ou dans le désert pour fuir ton bled
Reply_author
En Septembre, 2021 (20:38 PM)Ass Niang
En Septembre, 2021 (22:12 PM)Sénégal
En Septembre, 2021 (05:38 AM)Participer à la Discussion