Historien de l'art, spécialiste du XIXe siècle, Jean-Michel Leniaud fait la chronologie de l'existence mouvementée de l'édifice.
Bâtie sur l’île de la Cité au XIIe siècle, Notre-Dame de Paris a constamment évolué au cours de ses huit siècles d’existence. Ancien directeur de l’Ecole nationale des Chartes, Jean-Michel Leniaud, président de la Société des amis de Notre-Dame de Paris, retrace cette histoire, notamment l’apport majeur au XIXe siècle de l’architecte Eugène Viollet-le-Duc.
Qu’y avait-il avant la construction de Notre-Dame de Paris ?
Il existait une cathédrale mérovingienne qui datait du VIe siècle. Quand Maurice de Sully, l’évêque de Paris, l’un des personnages les plus puissants de l’époque, entreprend, au milieu du XIIe siècle, le chantier gigantesque de l’édifice gothique, cette cathédrale mérovingienne n’est plus, elle, adaptée à la mentalité de l’époque, ne correspond plus aux nécessités d’accueil des fidèles.
Pourquoi a-t-elle été bâtie sur l’île de la Cité ?
C’était le cœur de la capitale. La cathédrale fait face au siège du pouvoir royal, traditionnellement établi, lui, à l’emplacement du Palais de justice.
Notre-Dame de Paris a-t-elle été souvent remaniée ?
Depuis Maurice de Sully jusqu’au milieu du XIXe siècle, elle n’a cessé d’être embellie, enrichie et en même temps ruinée. Au XVIIe, des travaux importants sont conduits par Louis XIV afin de réaménager le chœur et réaliser le vœu de son père, Louis XIII qui était de placer la famille royale sous la protection de la Vierge. Le chœur de l’époque médiévale est détruit pour être remplacé par un autre à l’organisation liturgique très moderne ; le groupe de la Pietà, sculpté par Nicolas Coustou y est installé.
Que se passe-t-il pendant la Révolution ?
Notre-Dame de Paris n’a pas trop souffert. L’édifice a été utilisé pour des cérémonies laïques ou par l’Église constitutionnelle [celle qui avait prêté allégeance aux révolutionnaires, ndlr]. En 1804, Napoléon y organise son sacre. A partir de là, Notre-Dame de Paris, en particulier pendant la période concordataire, devient le lieu où se réunissent intimement la religion et le pouvoir politique. La cathédrale de Paris occupe, de fait, une place singulière dans l’histoire de la nation. D’autres lieux comme la basilique de Saint-Denis ou la cathédrale de Reims ont joué aussi un rôle mais sans qu’il soit aussi dense que celui de Notre-Dame ! On l’a même vue à l’époque contemporaine, par exemple lors des obsèques de François Mitterrand.
Qu’en est-il de la flèche ?
Avant la Révolution, la flèche initiale du XIIIe siècle menace ruine. Elle s’effondre sans même que le vandalisme révolutionnaire en soit responsable.
À quel moment intervient l’architecte Eugène Viollet-le-Duc ?
Avec l’architecte Jean-Baptiste-Antoine Lassus qui vient alors de restaurer la Sainte-Chapelle, il est chargé, à partir de 1840-1845, de redonner à Notre-Dame son allure médiévale. C’est une restauration majeure. En tant que spécialiste du XIXe siècle, je considère que c’est un grand moment dans l’histoire de l’édifice. Les structures générales du bâtiment (les arcs-boutants et les voûtes) sont reprises. Viollet-le-Duc fait aussi refaire une série de sculptures de la façade, détruites à la Révolution. C’est une très belle réussite et la plupart des gens pensent que ces sculptures datent de l’époque médiévale. Viollet-le-Duc a aussi reconstitué une partie de la décoration intérieure et a même envisagé un moment d’enlever le chœur installé sous Louis XIV. Il y a renoncé devant le tollé que son projet suscitait.
La flèche qui s’est effondrée lors de l’incendie est-elle sa plus belle réussite ?
C’est le résultat d’une prouesse technique et d’une prouesse artistique tout à fait remarquables. C’est la plus belle flèche construite au XIXesiècle en Europe.
Viollet-le-Duc a-t-il transformé Notre-Dame de Paris ?
Il l’a changée sur un nombre important de détails. Au fil du temps, le bâtiment avait, de fait, évolué dans le sens d’une modernité. Viollet-le-Duc, j’insiste, lui a rendu son allure médiévale.
L’édifice avait-il déjà subi un tel incendie ?
Les cathédrales, bien sûr, brûlent. Mais jusqu’ici, Notre-Dame de Paris avait été épargnée. C’était l’une des dernières charpentes médiévales qui subsistaient. C’est une perte immense tout comme l’effondrement de la flèche de Viollet-le-Duc. La catastrophe qui vient de se produire est, je pense, le résultat d’une responsabilité collective. Depuis un quart de siècle, il y a eu une série d’incendies dans plusieurs monuments historiques : le Parlement de Bretagne, le château de Lunéville, la cathédrale de Nantes, l’Hôtel de ville de La Rochelle. Certes, pour des raisons variables. Je crois qu’on aurait déjà dû réfléchir à des normes de sécurité efficaces.
Comment reconstruire Notre-Dame de Paris ?
En 1997, la chapelle du Saint-Suaire à Turin a été ravagée par un incendie. C’était un chef-d’œuvre du XVIIe siècle de Camillo-Guarino Guarini. En Italie, toutes les écoles d’architecture ont fait plancher leurs élèves sur les problèmes de sa restauration. J’aimerais qu’en France se crée, à l’occasion de cette catastrophe, un mouvement général, un appel à idées. Il ne faudrait pas que cela reste enfermé dans les mains de quelques spécialistes même si ce sont eux qui sont appelés à décider.
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